De la transparence comme esthétique chez Azza Abo Rebieh
C’est de transparence qu’il s’agit avant toute chose dans l’exposition que la Galerie Saleh Barakat consacre à l’artiste syrienne Azza Abo Rebieh. Car cette transparence, qui est d’abord celle d’un état d’esprit et une manière de communiquer avec le monde, Azza Abo Rebieh l’obtient aussi par un jeu savant de superposition de textures et de matières, le tulle en particulier qui, dans ses tableaux, est un matériau de choix.

Ce matériau, formé par un réseau de fils et un maillage régulier, s’est en réalité imposé à l’artiste dont l’œuvre reste marquée par son expérience de la captivité et qui y voit comme la transposition d’une cellule imaginaire. Une cellule translucide toutefois, qui lui permet d’aller au-delà d’elle-même. Il trouve également un écho dans le registre vestimentaire où il remplace parfois la dentelle, renvoyant à un imaginaire féminin que l’artiste intègre et redéfinit tout à la fois, car c’est effectivement dans des problématiques relatives à la féminité et à son corollaire, la masculinité, et plus largement au corps, que se déploie le travail de l’artiste.

Ce travail tout en transparence est donc obtenu par des applications de ce tulle que manipule Abo Rebieh comme s’il s’agissait d’aplats de couleurs. Il en résulte un effet «d’évaporation» du dessous vers le dessus. On ne pense pas si bien dire: Azza a choisi de communiquer l’essentiel de son univers à travers la figure, tout aussi privilégiée, de l’essor du papillon.

Car tout commence aussi avec un papillon qui s’introduit dans son atelier et dont elle investira les symboles liés à la fragilité, mais surtout à la métamorphose. C’est l’avènement du papillon qui nous amène alors à reconsidérer l’ensemble du travail d’Azza Abo Rebieh à la lumière de ses évolutions: d’une première période, d’inspiration goyesque, celle des gravures en noir et blanc, scènes de prison et femmes endormies comme des chrysalides en attente que l’artiste exécute au sortir de son séjour dans les prisons syriennes, vers une deuxième période où la palette s’éclaircit considérablement et qui, sans cesser d’être grave, sous les vapeurs du tulle, a la légèreté du papillon. Si l’on considère donc ce passage du récit de la captivité à celui de la libération, il y a quelque chose qui se décante, qui émerge, qui monte, et qui prend son essor. C’est de cette matière qui affleure dont il est question ici dans cette transparence qui ressemble effectivement à un envol.

Azza Abo Rebieh, Two Souls in One Body, encre et aquarelle sur papier lavé, 70 x 31 cm chacune, 2022.

Dans cet univers papillonnaire, où les dimensions organique et sexuelle sont omniprésentes et pleinement revendiquées, certaines formes corporelles ne sont pas sans évoquer le travail de Niki de Saint-Phalle et la série des Nanas. Une corporéité parfois envahissante, incarnée par des formes massives rendues légères par l’intercession du papillon.




Tout cela culmine avec les «Funérailles du papillon», une œuvre à la fois épique, élégiaque et fantastique à forte dimension politique, qui s’offre comme une méditation sur la fragilité des libertés et la précarité du papillon.

Azza Abo Rabieh, Les funérailles d’un papillon, tulles et fil sur toile, 170 x 340 cm, 2022.

Cette exposition où les grands formats et les petits se côtoient et alternent, où les différentes techniques (peinture, collage, gravure, céramique, dessin, aquarelle) se fréquentent dans une impressionnante profusion est à même de rendre compte de l’univers à la fois riche, complexe, léger et grave tout à la fois de Azza Abo Rebieh.

Une exposition polyphonique aussi qui rend compte du dialogue entre les travaux des deux artistes Azza Abo Rebieh et Nelsy Massoud dont l’installation de Luffas-chrysalides intitulée «Métamorphosis» se développe, dans ses thèmes, ses couleurs, et les matières qu’elle affectionne (la luffa ressemble au tulle par sa transparence et sa légèreté), en interaction avec le travail de Azza dont elle partage l’atelier. Un dialogue où les matières organiques et les motifs sexuels se nourrissent et se répondent.

«Tawk» ou aspiration, il s’agit de suivre Azza Abo Rebieh dans son envol.

Azza Abo Rebieh, Attente, tulle et fil sur toile, 110 x 150 cm, 2022

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