« Soixante-cinq » … Nombre magique, nombre d’or dans l’enceinte du parlement libanais composé de 128 représentants d’une nation qui n’existe pas comme telle. Nombre ensorcelant qui définit la ligne de démarcation de la majorité absolue de la Chambre. Et pourtant, le récent scrutin législatif du 15 mai dernier avait clairement indiqué que le Liban est devenu ingouvernable, aucune majorité de gouvernement n’ayant pu sortir des urnes du suffrage universel revu et corrigé par une loi électorale dont la perversité n’a d’égale que la scélératesse. Mais n’enterrons pas si vite la magie des nombres. Il y a certes l’increvable nombre « π » (3,1416 etc.) qui s’insinue dans les méandres des mathématiques. Et il y a ce fatidique « 65 » du parlement libanais qui permet au citoyen, en un coup de baguette magique, de prendre sa propre vessie pour une lanterne.
Le plébiscite, renouvelé pour la 7ème fois le 31 mai, de Nabih Berri au perchoir de la Chambre, fut donc obtenu grâce à (64+1) 65 voix. L’élection de son vice-président fut acquise, elle aussi, à (64+1) 65 voix. S’agit-il d’un effet de la magie libanaise propre au nombre 65 ? Ou bien, s’agirait-il du poids exceptionnel d’un ou de plusieurs jokers capables de faire apparaître, à la demande et selon la nécessité tactique du moment, une majorité à géométrie variable que nul n’est en mesure de prévoir, de cerner, ou d’identifier si on s’en remet au seul verdict du suffrage universel. Dans un jeu de cartes traditionnel, deux cartes supplémentaires, appelées jokers, peuvent prendre, selon la volonté du joueur qui les détient, n’importe quelle valeur et être affectées de n’importe quelle couleur. Y aurait-il donc un joker, ou plusieurs, au sein de la nouvelle chambre qui peuvent apparaître, par surprise, de la besace du maître du jeu ?
Pour prendre des décisions ordinaires, la majorité absolue de 65 voix est nécessaire. Existe-t-elle réellement ? Le suffrage universel a dit NON le 15 mai dernier. A la première séance de la Chambre le 31 mai dernier, l’arithmétique du vénérable hémicycle a fait retentir un OUI assourdissant. OUI, il y a une majorité de (64+1) 65 voix a clamé le préposé au décompte. Nabih Berri fut donc plébiscité à 65 voix comme président au perchoir; son vice-président Elias Abou Saab fut élu à 65 voix également, de même qu'un des deux secrétaires généraux, l’autre ayant été plébiscité par manque de concurrent. Sont-ce les mêmes 65 personnes physiques qui ont voté lors de ces différents tours ? Nul ne le saura. Depuis lors, toute la république spécule pour savoir qui est, ou qui sont, les députés qui ont pu jouer le joker à tour de rôle. Il suffit d’un seul pour faire pencher la balance, point n’est besoin d’un rapport numérique de la démographie des groupes parlementaires.
Si on part de l’hypothèse du joker, on doit poser la question de savoir s’il s’agit du même personnage comme, jadis, le fameux « ministre-roi » (al wazir al malik) des gouvernements où le Hezbollah avait réussi à imposer le tiers de blocage, paralysant ainsi toute décision stratégique. Au sein d’un tel gouvernement, on avait aisément compris qui était la taupe. Mais en est-il de même au sein de l’actuelle Chambre ? Ce joker est-il quelqu’un ou serait-ce simplement une fonction opportune que le maître du jeu peut confier, selon les circonstances, à l’une des personnes d’un groupe réduit, sorte de bouquet ou de petite réserve opportune de caméléons politiques ? Ceci change tout sur le plan politique.
Le maître du jeu n’accorde aucun intérêt à l’arithmétique parlementaire. Son message du 31 mai est très clair : « Vous pouvez faire ce que vous voulez, je serai toujours en mesure de faire passer ce que je veux à la majorité absolue ». Dont acte.
Qui peut actuellement parler ainsi au Liban, en dehors de la milice iranienne, le Hezbollah ? Dans Le Prince de Machiavel, le lecteur apprend qu’un prince souhaitant exercer et conserver le pouvoir, doit mettre à distance la compréhension morale des vices et des vertus. Il doit accepter de ne pas être vu comme bon. Il doit également consentir d’avoir une réputation de cruel et de méchant si cela lui permet de conserver le pouvoir. Le corollaire de ceci est qu’il doit abandonner toute velléité d’avoir une réputation de vertueux tant cela nuirait au maintien du pouvoir.
« Il n’est donc pas nécessaire à un prince d’avoir en fait toutes les qualités (…), mais il est bien nécessaire de paraître les avoir (…) de manière que tu puisses et saches devenir le contraire, lorsqu’il ne faut pas l’être » (Machiavel, Le Prince, chapitre 18).
Machiavel parle de deux sortes d’outils stratégiques dans le combat politique : soit par les lois, démarche propre aux hommes, soit par la force, démarche propre aux bêtes. Mais, constatant que l’usage des lois est parfois insuffisant, il convient dès lors de recourir à l’outil bestial, à savoir la force. Cicéron avait évoqué cela mais du point de vue moral. Il parle de « débats » là où Machiavel évoque les « lois ». Il constate lui-aussi l’insuffisance de ce premier mode et admet la nécessité du recours au mode violent. Mais si Cicéron a pour souci permanent la protection du corps politique, Machiavel par contre privilégie la conservation du pouvoir comme les maîtres hégémonioques au Liban.
L’hypothèse du joker permet donc de dire que le maître du jeu politique libanais ne privilégie pas la règle du droit. Il préfère la force qu’il sait manier efficacement par la ruse. Cicéron déclare : « On peut être injuste de deux manières, ou par violence ou par ruse. (…) l’une et l’autre sont tout ce qu’il y a de plus étranger à l’homme, mais la ruse est la plus détestable des deux ».
Il est clair que le maître du jeu, c'est à dire le Hezbollah, use et abuse de la ruse grâce à la violence de son arsenal, au détriment de l’État et du corps politique. La leçon à tirer, telle qu’elle est apparue lors de la séance parlementaire du 31 mai, est que la stratégie du joker révèle un message fortement déterminé, violent et redoutablement dangereux. Malheureusement, ce message demeure incompris par l’opinion publique, notamment celle qui se réclame du souverainisme ou de ladite société civile ou encore des acteurs réformistes du changement apparus sur la scène publique grâce au mouvement populaire du 17 octobre. Le message du maître du jeu, via la stratégie actuelle du joker, est que les voies démocratiques sont largement défigurées. Un constat réaliste s’impose ; il se formule ainsi : « Rien ne changera au Liban par les seules voies constitutionnelles ». Le fruit est plus que pourri. Tout espoir d’un recours thérapeutique de l’intérieur est une entreprise vouée à l’échec.
Les forces politiques dites souverainistes sont invitées à prendre conscience de la gravité de la mesquinerie de leurs tactiques respectives, notamment les 13 députés dits du changement. Ils sont priés de se rendre compte que le débat sur les places publiques n’a rien à voir avec les prises de décision au sein de l’hémicycle. L’arithmétique parlementaire engage le sort de tout le corps politique et n’est pas un débat d’opinion. Cette arithmétique leur commande d’user d’intelligence politique, c’est-à-dire de l’art du compromis dans l’intérêt de la chose publique. En face d’eux, les requins voraces usent de ruse et de violence, enfreignent la loi non en faveur du bien commun mais pour jouir de la seule volonté de puissance.
L'initiative demeure entre les mains du peuple et non au sein de la législature actuelle.
Le plébiscite, renouvelé pour la 7ème fois le 31 mai, de Nabih Berri au perchoir de la Chambre, fut donc obtenu grâce à (64+1) 65 voix. L’élection de son vice-président fut acquise, elle aussi, à (64+1) 65 voix. S’agit-il d’un effet de la magie libanaise propre au nombre 65 ? Ou bien, s’agirait-il du poids exceptionnel d’un ou de plusieurs jokers capables de faire apparaître, à la demande et selon la nécessité tactique du moment, une majorité à géométrie variable que nul n’est en mesure de prévoir, de cerner, ou d’identifier si on s’en remet au seul verdict du suffrage universel. Dans un jeu de cartes traditionnel, deux cartes supplémentaires, appelées jokers, peuvent prendre, selon la volonté du joueur qui les détient, n’importe quelle valeur et être affectées de n’importe quelle couleur. Y aurait-il donc un joker, ou plusieurs, au sein de la nouvelle chambre qui peuvent apparaître, par surprise, de la besace du maître du jeu ?
Pour prendre des décisions ordinaires, la majorité absolue de 65 voix est nécessaire. Existe-t-elle réellement ? Le suffrage universel a dit NON le 15 mai dernier. A la première séance de la Chambre le 31 mai dernier, l’arithmétique du vénérable hémicycle a fait retentir un OUI assourdissant. OUI, il y a une majorité de (64+1) 65 voix a clamé le préposé au décompte. Nabih Berri fut donc plébiscité à 65 voix comme président au perchoir; son vice-président Elias Abou Saab fut élu à 65 voix également, de même qu'un des deux secrétaires généraux, l’autre ayant été plébiscité par manque de concurrent. Sont-ce les mêmes 65 personnes physiques qui ont voté lors de ces différents tours ? Nul ne le saura. Depuis lors, toute la république spécule pour savoir qui est, ou qui sont, les députés qui ont pu jouer le joker à tour de rôle. Il suffit d’un seul pour faire pencher la balance, point n’est besoin d’un rapport numérique de la démographie des groupes parlementaires.
Si on part de l’hypothèse du joker, on doit poser la question de savoir s’il s’agit du même personnage comme, jadis, le fameux « ministre-roi » (al wazir al malik) des gouvernements où le Hezbollah avait réussi à imposer le tiers de blocage, paralysant ainsi toute décision stratégique. Au sein d’un tel gouvernement, on avait aisément compris qui était la taupe. Mais en est-il de même au sein de l’actuelle Chambre ? Ce joker est-il quelqu’un ou serait-ce simplement une fonction opportune que le maître du jeu peut confier, selon les circonstances, à l’une des personnes d’un groupe réduit, sorte de bouquet ou de petite réserve opportune de caméléons politiques ? Ceci change tout sur le plan politique.
Le maître du jeu n’accorde aucun intérêt à l’arithmétique parlementaire. Son message du 31 mai est très clair : « Vous pouvez faire ce que vous voulez, je serai toujours en mesure de faire passer ce que je veux à la majorité absolue ». Dont acte.
Qui peut actuellement parler ainsi au Liban, en dehors de la milice iranienne, le Hezbollah ? Dans Le Prince de Machiavel, le lecteur apprend qu’un prince souhaitant exercer et conserver le pouvoir, doit mettre à distance la compréhension morale des vices et des vertus. Il doit accepter de ne pas être vu comme bon. Il doit également consentir d’avoir une réputation de cruel et de méchant si cela lui permet de conserver le pouvoir. Le corollaire de ceci est qu’il doit abandonner toute velléité d’avoir une réputation de vertueux tant cela nuirait au maintien du pouvoir.
« Il n’est donc pas nécessaire à un prince d’avoir en fait toutes les qualités (…), mais il est bien nécessaire de paraître les avoir (…) de manière que tu puisses et saches devenir le contraire, lorsqu’il ne faut pas l’être » (Machiavel, Le Prince, chapitre 18).
Machiavel parle de deux sortes d’outils stratégiques dans le combat politique : soit par les lois, démarche propre aux hommes, soit par la force, démarche propre aux bêtes. Mais, constatant que l’usage des lois est parfois insuffisant, il convient dès lors de recourir à l’outil bestial, à savoir la force. Cicéron avait évoqué cela mais du point de vue moral. Il parle de « débats » là où Machiavel évoque les « lois ». Il constate lui-aussi l’insuffisance de ce premier mode et admet la nécessité du recours au mode violent. Mais si Cicéron a pour souci permanent la protection du corps politique, Machiavel par contre privilégie la conservation du pouvoir comme les maîtres hégémonioques au Liban.
L’hypothèse du joker permet donc de dire que le maître du jeu politique libanais ne privilégie pas la règle du droit. Il préfère la force qu’il sait manier efficacement par la ruse. Cicéron déclare : « On peut être injuste de deux manières, ou par violence ou par ruse. (…) l’une et l’autre sont tout ce qu’il y a de plus étranger à l’homme, mais la ruse est la plus détestable des deux ».
Il est clair que le maître du jeu, c'est à dire le Hezbollah, use et abuse de la ruse grâce à la violence de son arsenal, au détriment de l’État et du corps politique. La leçon à tirer, telle qu’elle est apparue lors de la séance parlementaire du 31 mai, est que la stratégie du joker révèle un message fortement déterminé, violent et redoutablement dangereux. Malheureusement, ce message demeure incompris par l’opinion publique, notamment celle qui se réclame du souverainisme ou de ladite société civile ou encore des acteurs réformistes du changement apparus sur la scène publique grâce au mouvement populaire du 17 octobre. Le message du maître du jeu, via la stratégie actuelle du joker, est que les voies démocratiques sont largement défigurées. Un constat réaliste s’impose ; il se formule ainsi : « Rien ne changera au Liban par les seules voies constitutionnelles ». Le fruit est plus que pourri. Tout espoir d’un recours thérapeutique de l’intérieur est une entreprise vouée à l’échec.
Les forces politiques dites souverainistes sont invitées à prendre conscience de la gravité de la mesquinerie de leurs tactiques respectives, notamment les 13 députés dits du changement. Ils sont priés de se rendre compte que le débat sur les places publiques n’a rien à voir avec les prises de décision au sein de l’hémicycle. L’arithmétique parlementaire engage le sort de tout le corps politique et n’est pas un débat d’opinion. Cette arithmétique leur commande d’user d’intelligence politique, c’est-à-dire de l’art du compromis dans l’intérêt de la chose publique. En face d’eux, les requins voraces usent de ruse et de violence, enfreignent la loi non en faveur du bien commun mais pour jouir de la seule volonté de puissance.
L'initiative demeure entre les mains du peuple et non au sein de la législature actuelle.
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