L’inextricable intrigue du fonds souverain
La caste au pouvoir, soutenue par quelques populistes, s’entête à refuser tout fonds d’investissement qui pourrait sauver vos dépôts d’une confiscation certaine. Avec un argumentaire obtus qui ne tient pas la route.

Mais qu’est-ce qu’ils ont tous (ou presque) contre cette idée de créer un ou des fonds souverains d’investissement qui, moyennant une bonne gestion, pourraient contribuer à combler ce fameux trou financier, et sauveraient les dépôts d’une mainmise annoncée? Une idée défendue par le secteur privé, y compris les banques. Un secteur qui représente 80% du PIB, de l’investissement et de l’emploi, et seul espoir pour sauver le pays du naufrage. Alors que la caste au pouvoir, qui s’y oppose, appuyée en cela par quelques populistes, représente la plaie qui a enfoncé le pays dans les sables mouvants et continue à le faire.

Cela dit, voyons d’abord de plus près de quoi on parle lorsqu’on mentionne les actifs de l’État:

– Il y a d’abord tout le foncier, entre 20 et 25% de la surface du pays, sous différents statuts juridiques, même si certains lots sont inexploitables;

– puis les entreprises (MEA, Casino, Intra Investment…);

– puis des établissements et actifs publics à caractère commercial (télécoms, électricité, eau, ports, aéroports…);

– enfin l’État détient un pouvoir régalien qui lui permet d’octroyer des droits, payants, sur tout un ensemble d’actifs: eau, mer, rivages, rivières, berges, air, ondes, routes, stades, jardins, souterrains… et les fonds maritimes quand et si.

La plupart de ces actifs ne sont pas exploités, et lorsqu’ils le sont, leur rendement est insignifiant… quand il n’est pas déficitaire. D’ailleurs, avec ou sans trou financier, on ne voit pas pourquoi cette richesse congelée depuis des décennies devrait le rester. Un exemple en marge: savez-vous que la Résidence des pins, appartenant à l’État français et lieu de résidence de son ambassadeur, peut être louée par tout un chacun, pour un mariage, une réception…? Un contre-exemple: la portion des remblais de Dbayeh appartenant à l’État ou aux municipalités s’étend sur 330.000 m2, avec une valeur marchande estimée à 1 milliard de dollars en 2018, mais toujours non-exploitée.

On arrive maintenant à cette objection émise à chaque fois qu’on évoque ces fonds d’actifs: «On n’a pas le droit, moralement, d’utiliser des richesses qui appartiennent à l’ensemble des Libanais pour compenser quelques déposants.» Le contre-argumentaire est facile, mais on va encore le simplifier, sorte de «guide des utilisateurs pour les nuls».




– Si l'on dit que les actifs de l’État appartiennent à l’ensemble des Libanais, il faut extrapoler ce principe partout. Par exemple, les dettes de l’État, financées par les déposants, n’ont pas profité uniquement aux déposants, mais à l’ensemble du peuple, sous forme de routes, d’écoles, d’hôpitaux, de sécurité, etc. Les rembourser relève donc de la responsabilité de ceux qui en ont profité, c’est-à-dire tous les Libanais, via les actifs étatiques.

– Si vous voulez quand même chicaner sur l’histoire de ces «quelques déposants» qui ne devraient pas jouir des actifs publics, on peut étendre la même logique à d’autres pratiques. Par exemple, pourquoi l’État devrait utiliser l’argent public, recueilli auprès de tous les contribuables, pour construire une route à Kfaraaka, alors que 90% du peuple ne va jamais y mettre les pieds? Ou, pire encore, pourquoi un complexe balnéaire peut-il obtenir un droit d’exploitation du rivage, au profit de quelques-uns, alors qu’il appartient à tous?

– Ces «quelques déposants» sont en réalité 1 million de personnes, avec leurs familles. S’ils ont de nouveau accès à leur argent, parce que l’État aura commencé à les rembourser grâce à ces fonds, c’est l’ensemble de la société qui en profitera. C’est le principe même, élémentaire, de la circulation de la monnaie. En plus, les entreprises auront de nouveau de quoi investir, prospérer, et donc embaucher.

– «Oui, mais ce sont quelques profiteurs qui vont mettre la main sur ces actifs.» Encore une objection, peut-être légitime, mais facilement contournable. On peut imaginer des gestionnaires internationaux avec des partenaires locaux, puis placer une partie des actions en bourse, qui peuvent être acquises par des déposants en contrepartie des dépôts bloqués. Et ainsi de suite, tout un bataclan de mécanismes qui garantissent une gestion optimale et des plus-values certaines sur des actifs actuellement dormants. Un actif doit être estimé selon son potentiel d’appréciation futur s’il est bien géré, et non pas suivant sa valeur actuelle, élémentaire règle économique. (Voir à ce propos sur ce site l’article «Comment surmonter la crise financière par des solutions alternatives», par l’auteur de ces lignes).

– «Il faut garder ces actifs pour les générations futures»: Encore une ineptie, pour la simple raison que c’est la prochaine génération qui pâtit le plus de la crise actuelle. Les parents ont du mal à assurer une bonne éducation à leurs enfants, quand ils n’émigrent pas tout bonnement. On risque d’avoir une génération perdue, dont les effets s’étendront donc sur plusieurs décennies.

– Enfin un dernier argument pour la route. L’État, la BDL, les banques et les déposants… aucun de ces acteurs qu’on sollicite ne peut apporter assez d’argent frais pour combler le déficit. Exploiter les actifs publics devient alors la seule source de richesses qui nous reste.

On peut continuer à argumenter, mais en réalité ces super-diplômés au pouvoir connaissent très bien ces principes. S’ils ne les suivent pas, c’est uniquement parce qu’ils sont contraires à leurs intérêts politiques ou financiers, ou les deux. S’ils n’ont pas su gérer le pays depuis des années, comment peut-on espérer un soudain réveil vertueux?
Commentaires
  • Aucun commentaire