Fictions et approches illusoires des réalités libanaises (IV)
IV-Économie de rente/Économie productive : le dogme de la nécessité d’une économie productive

Dans un numéro spécial de L’Orient-Le Jour consacré au centenaire du Grand-Liban, Samir Nasr, économiste et consultant libanais, considère que l’économie libanaise a pu bénéficier dans les années 1950 et 1960 de l’attractivité du libéralisme, du libre-échange et d’un secteur bancaire dynamique, et cela lors de la fermeture «socialisante» des pays voisins. Toujours selon l’économiste, «le Liban est alors devenu un centre de production et de services, une plateforme régionale autour du port et du transit, avec un secteur bancaire canalisant les capitaux». Et M. Nasr de constater : «Même le secteur industriel s’est développé et a pu exporter, ainsi que celui du tourisme, des services…» On peut ajouter à cette constatation que le secteur agricole lui-même a connu, au cours des années soixante du siècle précédent, une évolution qualitative, et cela à travers les débuts de la mise en place d’un secteur agro-alimentaire dans les domaines de l’élevage de volaille et de la production d’œufs, de la production du sucre de betterave et de l’extension de la culture de pommes de terre.

Il était donc clair que jusqu’en 1967, l’économie libanaise se déployait vers les domaines productifs, et cela sur le fondement de son support primaire sur l’économie financière et commerciale.

A partir de 1967, le pays est entré dans un cycle de représailles militaires de la part d’Israël, dû à son implication manu militari dans le système de guerre mis en place par le monde arabe contre l’État hébreu. Celui-ci a consisté à encourager les opérations de harcèlement menées par les organisations palestiniennes à partir du territoire libanais sur des objectifs situés au cœur des régions du nord israélien. A partir de là, les infrastructures de l’économie libanaise et les unités économiques productives sont devenues la cible systématique des attaques de l’aviation israélienne. Le secteur économique productif qui se mettait lentement mais sûrement en place a alors payé, au prix fort, l’implication du Liban dans le système de guerre israélo-palestinienne et israélo-arabe. Du bombardement de l’Aéroport de Beyrouth (1968-1969) au bombardement du pont de Sofar en 2006 et des grandes infrastructures de transport, de commerce et d’usines de production industrielles (donc beaucoup ont fait faillite suite à la guerre de 2006) et jusqu’à l’explosion du port de Beyrouth en août 2020 et la destruction du quart de la capitale libanaise, tous ces événements dramatiques ont démontré, de la manière la plus probante possible, l’existence d’une incompatibilité totale entre économie productive et état de guerre et de lutte résistante.

En réalité, ce qui s’est passé à partir de 1975, c’est un glissement naturel vers une économie de rente, non pas par choix idéologique comme le laissent entendre les résiduels de l’économie planifiée et de la mainmise étatique, rescapés des mythes socialisants du siècle précédent, mais par nécessité pragmatique visant au maintien d’un cycle économique minimal, malgré les bombardements, les lignes de démarcation, le cloisonnement territorial et les multiples localités successivement soumises à un état de siège (Zahlé 1976, Achrafieh 1978, Zahlé 1981, Beyrouth 1982, Tripoli 1985, etc.). Les différentes formes d’économie rentière ont ainsi pu empêcher l’asphyxie économique totale du pays.


En conclusion, il est clair et évident que pour mettre en place une économie productive stable et durable, il faut en finir avec l’état de guerre, la situation de résistance et les conflits internes militarisés. En pratique, cela consiste à trouver une formule de cessez-le-feu ou un armistice à long terme à la frontière sud du pays, un tracé définitif des frontières et un contrôle serré (avec participation de l’ONU) des voies de passage au Nord et à l’Est avec la Syrie.

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