L'Irak s'enfonce dans la crise politique
©La colère des Irakiens, qui a mené au mouvement de 2019, est alimentée par le ras-le-bol du népotisme, des perspectives économiques affligeantes et des services publics déficients. (AFP)
La démission des 73 députés appartenant au courant de Moqtada Sadr a représenté un véritable coup de théâtre en Irak, paralysée par un blocage politique depuis 200 jours. Bien déterminé à former un gouvernement majoritaire excluant les partis pro-iraniens, dans un pays habitué à des gouvernements d'union nationale, le leader chiite cherche à mettre ses adversaires au dos du mur par cette manœuvre. De même, la montée du mécontentement populaire et la relance du mouvement contestataire inquiète la classe politique irakienne et notamment Sadr, qui tente ainsi de se placer en leader de l'opposition au régime. 

Moqtada Sadr, leader chiite arrivé en tête des élections parlementaires de 2021, a annoncé la démission de ses députés face au blocage dans la formation du gouvernement. (AFP)

La démission en bloc des députés du leader chiite irakien Moqtada Sadr est destinée à faire pression sur ses adversaires pour accélérer la formation du gouvernement, en panne depuis huit mois, mais la situation confuse risque d'enflammer la rue, excédée par la crise sociale.

Moqtada el Sadr, faiseur de roi 

Moqtada Sadr, pilier de la politique irakienne, est un habitué des coups politiques destinés à faire pression sur ses adversaires. Fort de 73 députés, son courant, le plus important au Parlement depuis les législatives du mois d'octobre 2021, a démissionné en bloc dimanche soir.

Il était arrivé en tête après le scrutin, mais les tractations avec les autres acteurs politiques pour former un nouveau gouvernement et désigner un nouveau Premier ministre n'ont pas abouti pour le moment.

D'où l'ire de Moqtada Sadr, qui entend bien continuer à jouer les faiseurs de roi en formant un cabinet "majoritaire" qui repousserait ses adversaires chiites pro-Iran du Cadre de coordination dans l'opposition. Ces derniers veulent, eux, poursuivre la tradition du "gouvernement de consensus" dans lequel toutes les forces chiites gouvernent.

Selon le président du Parlement, l'influent Mohammed al-Halboussi qui s'exprimait lundi depuis Amman, les démissions sont déjà effectives et "ne nécessitent pas" de vote en plénière pour être entérinées, contrairement à ce qu'avancent des analystes consultés par l'AFP.

À la place des élus sadristes, siègeront les candidats arrivés deuxièmes lors des élections d'octobre 2021, a poursuivi M. Halboussi. Et ces responsables politiques proviennent d'horizons politiques très divers, ce qui va mécaniquement rebattre les cartes dans l'hémicycle. De nouvelles élections sont envisageables, mais pour ce faire, il revient au Parlement lui-même de s'auto-dissoudre.

Un véritable coup de théâtre politique 



Depuis la chute du dictateur Saddam Hussein en 2003, Moqtada Sadr a réussi à se hisser au rang de personnalité incontournable de la scène politique irakienne.


Farouchement anti-américain après l'invasion emmenée par Washington, Moqtada Sadr entretient aujourd'hui une relation compliquée avec l'Iran, le grand voisin dont est proche le Cadre de coordination et dont une bonne partie des Irakiens rejette la mainmise sur le pays.

Moqtada Sadr n'a pas l'intention de revêtir les habits de Premier ministre, poste bien trop exposé et préfère jouer les faiseurs de roi. Un temps pressenti comme candidat au poste de chef du gouvernement, son cousin Jaafar al-Sadr, actuel ambassadeur d'Irak à Londres, a dit dimanche renoncer à toute velléité.

Mais le politologue irakien Ihsan al-Shammari voit "difficilement" comment les députés des autres partis pourront former un gouvernement sans Moqtada Sadr. Et, si un tel gouvernement voyait le jour, "il tomberait rapidement". Pour l'analyste politique Hamzeh Hadad, "nous verrons avec le temps si Moqtada Sadr est sérieux" dans sa décision de faire démissionner ses élus.

Le leader chiite n'en est pas à son coup d'essai en matière de "théâtre politique", rappelle M. Hadad. L'an dernier, il avait d'abord annoncé son boycott des législatives anticipées, avant, finalement, d'y participer.

Une possible relance du mouvement protestataire



Le gouvernement actuel de Moustafa Kazimi ne s'occupe plus que des affaires courantes. Au pouvoir depuis 2020, M. Kazimi, un ancien journaliste et maître espion, a pris les rênes du gouvernement dans le sillage de l'immense mouvement de protestation anti-corruption et anti-système qui a secoué l'Irak à l'automne 2019.

La colère des Irakiens était alimentée par le ras-le-bol du népotisme, des perspectives économiques affligeantes et des services publics déficients. Or, peu de choses ont changé depuis. L'Irak, pourtant l'un des pays les mieux dotés en hydrocarbures, ne parvient pas à fournir d'électricité de manière régulière.

Hamzeh Hadad s'attend donc à "de nouvelles manifestations cet été", où les températures frôlent les 50 degrés et les Irakiens n'ont pas de quoi se rafraîchir.

C'est d'ailleurs sans doute en prévision de ce nouveau mouvement social que Moqtada Sadr a fait démissionner ses élus, pense Ihsan al-Shammari. Cela lui évite de "porter la responsabilité" des déficiences des services publics.

Plus généralement, le politologue pense que "les raisons profondes (de la colère populaire, ndlr) ont tout à voir avec les fondements du système politique qui doit changer".

Avec AFP
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