Biden-MBS: les enjeux d'une rencontre attendue en Arabie
©Mohammed ben Salmane a été vexé par cette attitude et voit dans la visite de juillet une "reconnaissance politique et en quelque sorte des excuses", selon Dan Shapiro de l'Atlantic Council. (Photo : AFP)
Prenant un virage à 180 degrés, le président américain Joe Biden rencontrera finalement le prince héritier saoudien. Nucléaire iranien, guerre au Yémen, crise des carburants, les sujets ne manquent pas à l'agenda. Tombé en disgrace en raison du brutal assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, le régime saoudien espère profiter de cette première rencontre.

Avec sa volte-face sur l'Arabie saoudite, Joe Biden fait le pari qu'il a plus à gagner qu'à perdre d'un rabibochage avec le puissant mais controversé prince héritier Mohammed ben Salmane, même s'il est accusé de vendre son âme pour un peu de pétrole.

La Maison-Blanche a confirmé mardi que le président des Etats-Unis se rendrait mi-juillet dans le royaume de Golfe, qu'il avait promis avant son élection de traiter en Etat "paria", et qu'il y rencontrerait le prince.



Le passif entre les deux pays, pourtant partenaires traditionnels, est lourd: le renseignement américain accuse le jeune dirigeant, homme fort de la monarchie, d'avoir "validé" l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi en 2018. A peine arrivé au pouvoir l'an dernier, Joe Biden avait rendu publiques ces conclusions et décrété un "recalibrage" des relations avec Ryad qui se traduisait essentiellement par son refus de s'adresser à "MBS".

"Le message est assez clair: on a décidé de tout passer à MBS et de fermer les yeux sur ce meurtre", déplore Andrea Prasow, directrice de The Freedom Initiative, une association américaine qui travaille avec des détenus saoudiens, déplorant que le président démocrate, censé vouloir mettre les droits humains au coeur de sa politique étrangère, n'ait pas exigé leur libération comme préalable à une visite.

'Coup terrible'


Pour ces "prisonniers politiques", "c'est un coup terrible", dit-elle à l'AFP. "Ils ont l'impression que le gouvernement américain les a abandonnés en échange d'une baisse des prix de l'essence."

Agé de 36 ans, le prince est appelé à jouer un rôle déterminant dans la région, surtout lorsqu'il succédera à son père, le roi Salmane, 86 ans.

L'ex-président républicain Donald Trump et son gendre conseiller Jared Kushner en avaient fait un interlocuteur privilégié, choisissant de ne pas monter au créneau pour le meurtre de Jamal Khashoggi au nom de la défense des ventes d'armes américaines à l'Arabie saoudite.



MBS "oeuvre en faveur de la paix et la prospérité dans son pays", l'a d'ailleurs vigoureusement défendu mardi sur Twitter Mike Pompeo, secrétaire d'Etat de l'ère Trump, critiquant Joe Biden pour l'avoir si longtemps snobé.


Pour Yasmine Farouk, du cercle de réflexion Carnegie Endowment for International Peace, Mohammed ben Salmane a été vexé par cette attitude et voit dans la visite de juillet une "reconnaissance politique et en quelque sorte des excuses".

Et, de fait, le 46e président des Etats-Unis, dont la méfiance à l'égard du pouvoir saoudien est aussi ancienne que notoire, semble s'être résolu à rentrer dans le rang, rejoignant tous ses prédécesseurs qui, par-delà les soubresauts, ont fini par aller courtiser le royaume pétrolier au cours de leur mandat. Au risque de faire grincer des dents au sein des propres rangs démocrates.

Avancées attendues


"Le président Biden fait le constat, à raison, que les intérêts stratégiques des Etats-Unis seront mieux assurés en stabilisant la relation avec l'Arabie saoudite", explique à l'AFP Dan Shapiro de l'Atlantic Council, un autre think tank américain.



"Il est crucial, alors que nous sommes confrontés à des défis comme l'invasion russe de l'Ukraine et l'affirmation de plus en plus prononcée des ambitions mondiales de la Chine, que nos partenaires -- notamment au Moyen-Orient, notamment ceux qui produisent de l'énergie -- s'alignent sur les intérêts américains", ajoute celui qui fut ambassadeur en Israël lorsque Joe Biden était vice-président de Barack Obama.

Pékin lorgne en effet de plus en plus du côté des pays du Golfe, et ces derniers n'ont pas hésité à ignorer les efforts de Washington pour isoler Moscou.

Ryad, fer de lance du cartel des pays exportateurs de pétrole, a ainsi longtemps résisté aux demandes occidentales en faveur d'une augmentation de la production de brut pour faire baisser les prix de l'essence qui se sont envolés avec la guerre en Ukraine -- une nécessité politique pour Joe Biden, plombé par l'inflation avant les législatives de novembre.

Un petit geste saoudien sur le pétrole, et un fragile cessez-le-feu au Yémen, où l'Arabie dirige une coalition militaire souvent accusée de frappes aveugles contre des civils, ont permis à la Maison-Blanche de justifier le voyage présidentiel.

Dan Shapiro estime que d'autres avancées pourraient être annoncées mi-juillet, à commencer par une nouvelle hausse de la production d'énergie, des progrès sur les droits humains mais aussi "une feuille de route" vers une normalisation des relations entre l'Arabie saoudite et Israël.

"Joe Biden ne ferait pas ce déplacement sans la possibilité de vrais résultats", veut croire l'ex-diplomate.

Avec AFP
Commentaires
  • Aucun commentaire