©De nombreux villages coptes sont dans l'incapacité de construire une église, faute de permis administratif, ce qui les contraint à l'illégalité. (AFP)
L'assassinat d'un prêtre copte, ainsi que l'arrestation de neufs villageois qui manifestaient pour construire une église dans leur village, a créé l'indignation en Égypte, alors que le pays connait une recrudescence des abus contre la minorité chrétienne. Une situation qui rencontre l'inaction des puissances publiques, malgré les discours officiels en faveur de l'entente islamo-chrétienne et de la lutte contre les extrémismes.
Les Coptes constituent près de 10% de la population égyptienne, mais sont fortement sous-représentés dans l'emploi public et la représentation politique. (AFP)
L’assassinat du prêtre copte Arsanios Wadid en avril dernier, alors qu’il se promenait en compagnie des jeunes de sa paroisse le long de la corniche d’Alexandrie, avait suscité une condamnation unanime de la part des dirigeants égyptiens et internationaux. Une indignation renforcée par le fait que le dignitaire religieux avait été à plusieurs reprises menacé de mort par des extrémistes. Son meurtrier, Nehru Tawfiq, un homme de 60 ans, connu pour son appartenance à la mouvance islamiste extrémiste, a été condamné la semaine dernière à la peine de mort.
À plusieurs centaines de kilomètres de là, dans la région de Minya, neuf citoyens coptes ont été arrêtés par les autorités, après avoir manifesté pacifiquement pour réclamer la reconstruction de leur église incendiée en 2016 et démolie en 2021. Ils sont actuellement en détention provisoire depuis fin janvier 2022.
L’histoire égyptienne récente est émaillée d’attentats sanglants perpétrés contre la minorité chrétienne, ainsi que d’atteintes à leurs libertés fondamentales: massacre de Maspero perpétré par l’armée contre des manifestants coptes en 2011, exode des familles chrétiennes du Sinaï suite à l’insurrection islamiste, attentat contre une cathédrale au Caire en 2016, explosion de deux églises coptes en 2017 … Une communauté traumatisée dont plus d’un million de ses membres a pris la route de l’exil pour fuir les exactions.
Attentats, privations de droits, répression par les autorités comptent parmi les nombreux griefs entretenus par les Coptes contre l’État égyptien, qu’ils accusent d’indifférence et d’hypocrisie. Pourtant, la Constitution de 2014 consacre la liberté absolue de culte, et bannit « toute forme de discrimination basée sur la religion, les croyances, le sexe, l’origine, la race, la couleur ou la langue ».
Depuis son arrivée au pouvoir en 2013, le président Sissi s'est érigé en rempart contre l'islamisme, ralliant la majorité des Coptes. Cependant, l'incapacité de l'État à protéger leurs droits a attisé le mécontentement de ceux-ci, qui aperçoivent une déconnexion entre le discours officiel et les pratiques effectives du pouvoir. (AFP)
Alors qu’ils représentent près de 10% de la population égyptienne (entre 10 et 15 millions d’individus), de nombreux chrétiens coptes se considèrent victimes de discriminations dans l’accès aux services et à l’emploi public, mais aussi dans la pratique de leur religion. Ces abus sont particulièrement visibles en Haute-Égypte.
Joe Stork, directeur adjoint de la division MENA à Human Rights Watch, explique à Ici Beyrouth que la loi 2016 qui régule la construction et la réparation des églises est discriminatoire: en effet, ses activités sont soumises à l’autorisation des institutions sécuritaires et des autorités administratives locales, dans une procédure longue et extrêmement complexe.
Dans certaines régions dominées par des élites très conservatrices, ces autorisations sont impossibles à obtenir, d’autant plus que les Coptes sont faiblement représentés au niveau local: ils n’occupent qu’un poste de gouverneur et un poste de vice-gouverneur. Depuis la promulgation de la loi, seul 20% des demandes ont abouti, un taux qui diminue d’année en année.
Cette situation prive des centaines de Coptes d’accès à un lieu de culte, ce qui les pousse à manifester ou à construire des églises sans permis. Ces actions les placent dans l’illégalité vis-à-vis de l’État, qui réprime les manifestations, et qui a fermé quatre églises sans permis dans la région de Minya, sans proposer d’alternative. L’ONG Egyptian Initiative for Personal Rights a ainsi affirmé que l’État égyptien n’aurait pas dû arrêter les neuf citoyens coptes, mais répondre à leur requête de construction dans les quatre mois de délais prévus par la loi, les 800 villageois ayant respecté la procédure administrative.
En avril 2022, le pape copte Tawadros a appelé les autorités égyptiennes à « maintenir la paix dans la société » notamment en matière de « questions religieuses », et prêter attention aux cas de disparition et d’enlèvements des Chrétiens en Égypte.
De nombreux incidents sectaires ont éclaté dans le pays depuis le début de l’année, notamment l’enlèvement d’une femme chrétienne, qui est ensuite apparue dans un clip vidéo pour affirmer qu’elle s’était convertie à l’islam, ou encore l’interdiction à une femme et son enfant de manger dans un restaurant en période de Ramadan. De même, le média indépendant « Al Masry Al-Youm » a publié une fatwa d’un cheikh syrien, dans lequel il affirmait que les « infidèles » ne pouvaient pas manger publiquement avant l’Iftar.
Claire Evans, chargée de projet MENA à l’ONG Persécutions qui défend les droits des minorités religieuses dans le monde, explique à Ici Beyrouth que, face à ces crimes et abus, la justice reste impuissante. En effet, « les autorités doutent souvent de la parole des victimes ou les forcent à entrer dans un processus de réconciliation avec le criminel, ce qui fait que les crimes sont très peu reportés à la justice. ». En cas d’attaque physique, la justice a très fréquemment tranché en faveur des accusés qui sont le plus souvent absous sous prétexte de « maladie mentale » notamment s’il s’agit de simples citoyens et non de membres du clergé, ajoute-t-elle.
Entre procédures de réconciliation inefficaces et inaction des forces de sécurité, les Coptes se plaignent d’une impunité des crimes commis à leur égard et ne se sentent pas considérés comme des citoyens à part entière. Dans un cas bien connu dans le village de Beni Suef, une famille copte a été chassée de ses terres suite à une procédure de « réconciliation coutumière » qui s’est soldée en sa défaveur.
Le pape copte Tawadros II est en excellent terme avec le président Sissi, selon l'équation "support politique contre protection des chrétiens". (AFP)
L’État égyptien multiplie les déclarations en faveur de l’entente inter-religieuse et de la protection des Chrétiens égyptiens, affirmant son engagement pour la lutte contre l'extrémisme et en faveur du pluralisme religieux. En 2015, le président Sissi avait été le premier chef d’État égyptien à assister à une messe copte. Récemment, il avait recommandé qu’il y ait « une église pour chaque mosquée » dans les villes nouvellement construites dans le pays.
Reprenant à son compte la rhétorique « anti-terroriste » datant de l’ère Moubarak, le président Sissi a tissé une alliance avec le clergé copte qui se résume à l’équation suivante: soutien politique contre protection. Après le chaos sécuritaire suite à la révolution et la prise du pouvoir par les islamistes, de nombreux Coptes continuent d’appuyer le régime, qu’ils considèrent comme une garantie pour éviter le scénario syrien et irakien.
Jérémy Convert, chargé de projet à SOS Chrétiens d’Orient en Égypte, explique ainsi à Ici Beyrouth que « durant les printemps arabes, la situation des Coptes a été terrible, notamment en 2013 alors que les islamistes les considéraient responsables de la destitution du président Morsi ». Il explique que la présidence d’Abdelfattah el-Sissi a permis un retour rapide de la sécurité en Égypte, notamment pour les minorités religieuses.
Face à la dégradation de leur condition de vie, une partie des Coptes conteste les rituels d’unité et autres discours officiels. La réponse traditionnelle de l’État face aux attaques, qui consiste à organiser des rencontres entre cheikhs musulmans et clergé copte, et renforcer pour quelques semaines la sécurité autour des Églises, semble ne plus suffire à contenir le mécontentement des Coptes. Plus que jamais, ils réclament la fin de l’arbitraire administratif et militaire et l’application de l’État de droit pour tous.
Les Coptes constituent près de 10% de la population égyptienne, mais sont fortement sous-représentés dans l'emploi public et la représentation politique. (AFP)
L’assassinat du prêtre copte Arsanios Wadid en avril dernier, alors qu’il se promenait en compagnie des jeunes de sa paroisse le long de la corniche d’Alexandrie, avait suscité une condamnation unanime de la part des dirigeants égyptiens et internationaux. Une indignation renforcée par le fait que le dignitaire religieux avait été à plusieurs reprises menacé de mort par des extrémistes. Son meurtrier, Nehru Tawfiq, un homme de 60 ans, connu pour son appartenance à la mouvance islamiste extrémiste, a été condamné la semaine dernière à la peine de mort.
À plusieurs centaines de kilomètres de là, dans la région de Minya, neuf citoyens coptes ont été arrêtés par les autorités, après avoir manifesté pacifiquement pour réclamer la reconstruction de leur église incendiée en 2016 et démolie en 2021. Ils sont actuellement en détention provisoire depuis fin janvier 2022.
L’histoire égyptienne récente est émaillée d’attentats sanglants perpétrés contre la minorité chrétienne, ainsi que d’atteintes à leurs libertés fondamentales: massacre de Maspero perpétré par l’armée contre des manifestants coptes en 2011, exode des familles chrétiennes du Sinaï suite à l’insurrection islamiste, attentat contre une cathédrale au Caire en 2016, explosion de deux églises coptes en 2017 … Une communauté traumatisée dont plus d’un million de ses membres a pris la route de l’exil pour fuir les exactions.
Attentats, privations de droits, répression par les autorités comptent parmi les nombreux griefs entretenus par les Coptes contre l’État égyptien, qu’ils accusent d’indifférence et d’hypocrisie. Pourtant, la Constitution de 2014 consacre la liberté absolue de culte, et bannit « toute forme de discrimination basée sur la religion, les croyances, le sexe, l’origine, la race, la couleur ou la langue ».
La construction d'églises, principale revendication des Coptes
Depuis son arrivée au pouvoir en 2013, le président Sissi s'est érigé en rempart contre l'islamisme, ralliant la majorité des Coptes. Cependant, l'incapacité de l'État à protéger leurs droits a attisé le mécontentement de ceux-ci, qui aperçoivent une déconnexion entre le discours officiel et les pratiques effectives du pouvoir. (AFP)
Alors qu’ils représentent près de 10% de la population égyptienne (entre 10 et 15 millions d’individus), de nombreux chrétiens coptes se considèrent victimes de discriminations dans l’accès aux services et à l’emploi public, mais aussi dans la pratique de leur religion. Ces abus sont particulièrement visibles en Haute-Égypte.
Joe Stork, directeur adjoint de la division MENA à Human Rights Watch, explique à Ici Beyrouth que la loi 2016 qui régule la construction et la réparation des églises est discriminatoire: en effet, ses activités sont soumises à l’autorisation des institutions sécuritaires et des autorités administratives locales, dans une procédure longue et extrêmement complexe.
Dans certaines régions dominées par des élites très conservatrices, ces autorisations sont impossibles à obtenir, d’autant plus que les Coptes sont faiblement représentés au niveau local: ils n’occupent qu’un poste de gouverneur et un poste de vice-gouverneur. Depuis la promulgation de la loi, seul 20% des demandes ont abouti, un taux qui diminue d’année en année.
Cette situation prive des centaines de Coptes d’accès à un lieu de culte, ce qui les pousse à manifester ou à construire des églises sans permis. Ces actions les placent dans l’illégalité vis-à-vis de l’État, qui réprime les manifestations, et qui a fermé quatre églises sans permis dans la région de Minya, sans proposer d’alternative. L’ONG Egyptian Initiative for Personal Rights a ainsi affirmé que l’État égyptien n’aurait pas dû arrêter les neuf citoyens coptes, mais répondre à leur requête de construction dans les quatre mois de délais prévus par la loi, les 800 villageois ayant respecté la procédure administrative.
Une justice impuissante face à l'impunité
En avril 2022, le pape copte Tawadros a appelé les autorités égyptiennes à « maintenir la paix dans la société » notamment en matière de « questions religieuses », et prêter attention aux cas de disparition et d’enlèvements des Chrétiens en Égypte.
De nombreux incidents sectaires ont éclaté dans le pays depuis le début de l’année, notamment l’enlèvement d’une femme chrétienne, qui est ensuite apparue dans un clip vidéo pour affirmer qu’elle s’était convertie à l’islam, ou encore l’interdiction à une femme et son enfant de manger dans un restaurant en période de Ramadan. De même, le média indépendant « Al Masry Al-Youm » a publié une fatwa d’un cheikh syrien, dans lequel il affirmait que les « infidèles » ne pouvaient pas manger publiquement avant l’Iftar.
Claire Evans, chargée de projet MENA à l’ONG Persécutions qui défend les droits des minorités religieuses dans le monde, explique à Ici Beyrouth que, face à ces crimes et abus, la justice reste impuissante. En effet, « les autorités doutent souvent de la parole des victimes ou les forcent à entrer dans un processus de réconciliation avec le criminel, ce qui fait que les crimes sont très peu reportés à la justice. ». En cas d’attaque physique, la justice a très fréquemment tranché en faveur des accusés qui sont le plus souvent absous sous prétexte de « maladie mentale » notamment s’il s’agit de simples citoyens et non de membres du clergé, ajoute-t-elle.
Entre procédures de réconciliation inefficaces et inaction des forces de sécurité, les Coptes se plaignent d’une impunité des crimes commis à leur égard et ne se sentent pas considérés comme des citoyens à part entière. Dans un cas bien connu dans le village de Beni Suef, une famille copte a été chassée de ses terres suite à une procédure de « réconciliation coutumière » qui s’est soldée en sa défaveur.
"L’entente islamo-chrétienne" ne suffit plus
Le pape copte Tawadros II est en excellent terme avec le président Sissi, selon l'équation "support politique contre protection des chrétiens". (AFP)
L’État égyptien multiplie les déclarations en faveur de l’entente inter-religieuse et de la protection des Chrétiens égyptiens, affirmant son engagement pour la lutte contre l'extrémisme et en faveur du pluralisme religieux. En 2015, le président Sissi avait été le premier chef d’État égyptien à assister à une messe copte. Récemment, il avait recommandé qu’il y ait « une église pour chaque mosquée » dans les villes nouvellement construites dans le pays.
Reprenant à son compte la rhétorique « anti-terroriste » datant de l’ère Moubarak, le président Sissi a tissé une alliance avec le clergé copte qui se résume à l’équation suivante: soutien politique contre protection. Après le chaos sécuritaire suite à la révolution et la prise du pouvoir par les islamistes, de nombreux Coptes continuent d’appuyer le régime, qu’ils considèrent comme une garantie pour éviter le scénario syrien et irakien.
Jérémy Convert, chargé de projet à SOS Chrétiens d’Orient en Égypte, explique ainsi à Ici Beyrouth que « durant les printemps arabes, la situation des Coptes a été terrible, notamment en 2013 alors que les islamistes les considéraient responsables de la destitution du président Morsi ». Il explique que la présidence d’Abdelfattah el-Sissi a permis un retour rapide de la sécurité en Égypte, notamment pour les minorités religieuses.
Face à la dégradation de leur condition de vie, une partie des Coptes conteste les rituels d’unité et autres discours officiels. La réponse traditionnelle de l’État face aux attaques, qui consiste à organiser des rencontres entre cheikhs musulmans et clergé copte, et renforcer pour quelques semaines la sécurité autour des Églises, semble ne plus suffire à contenir le mécontentement des Coptes. Plus que jamais, ils réclament la fin de l’arbitraire administratif et militaire et l’application de l’État de droit pour tous.
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