Rêver… (1) - Petite histoire du rêve
Aussi loin que l’on remonte dans le temps, le rêve intrigue. Il apparaît tantôt comme une énigme, tantôt comme un message prémonitoire, parfois il est reçu comme une parole divine, toujours comme un rébus à déchiffrer. Son mystérieux contenu sollicite la curiosité, provoque la peur ou l’émerveillement, convoque les esprits ou les divinités.

Pour les primitifs, les rêves sont prémonitoires. Aux esprits, ils offrent des sacrifices afin que, grâce à leur pouvoir, seuls les bons rêves se réalisent. Chez d’autres peuples, l’interprétation des rêves révèle la destinée individuelle de chacun, particulièrement à l’adolescence.

Durant l’antiquité, les rêves sont accueillis comme des messages envoyés par les dieux. Dans l’Illiade, Homère fait dire que le rêve vient de Zeus et nécessite un prêtre ou un devin pour l’interpréter. Que ce soit en Grèce, en Égypte ou à Rome, on bâtit des temples où les malades viennent dormir afin de découvrir dans leurs rêves le message divin qui leur livre, par l’intermédiaire des prêtres-interprètes, les indications sur la voie de leur guérison. Hippocrate a même rédigé un traité d’hygiène relevant de la guérison des maladies par les messages oniriques. Ainsi voir en rêve, par exemple, une mer agitée est l’indice de troubles gastriques, rêver d’arbres calcinés indique une maladie du liquide séminal.

Les Égyptiens ne sont pas en reste: un papyrus d’avant J.-C. nous apprend qu’il existe une clé des songes connue du seul clergé: si un homme rêve que son lit prend feu, c’est qu’il veut se débarrasser de sa femme, s’il fait un rêve érotique, c’est un signe de décès. Les interprètes privilégiés des rêves sont les prophètes, tel Joseph qui déchiffre au pharaon son rêve sur les vaches maigres et les vaches grasses.

Bien que Cicéron, un siècle avant J.-C. n’aie pas hésité à pourfendre les interprètes et les devins, leur déniant tout pouvoir et les considérants «dépourvus de tout jugement et de culture», un siècle plus tard, la perception de la potentialité perturbatrice du rêve est telle que le rêveur est soupçonné d’être porteur de pensées dangereuses pour l’ordre social. L’empereur Tibère n’hésite pas à envoyer ses espions pour traquer et arrêter les rêveurs dont le récit lui apparaît séditieux.


Cela continue avec l’avènement du christianisme, mais cette fois-ci, ce sont les interprètes des rêves qui sont traqués pour connivence satanique, l’église considérant que seul Dieu peut connaître le sens caché des productions humaines. L’étude des rêves est assimilée à une pratique païenne. En France, on trouvera jusqu’en 1992 (!) un article du Code pénal condamnant «les gens qui font métier de deviner et pronostiquer ou d’expliquer les songes». De tout temps et en tous lieux, le pouvoir totalitaire paranoïaque suspecte tout citoyen d’idées secrètes, inavouables. Il cherche à régenter sa conduite par la traque ou l’abolition de toute parole ou expression libre, perçue comme menaçante pour la perpétuation de la dictature. C’est là l’origine des procès d’intention. C’est aussi pour ces raisons que l’étude de l’inconscient a été bannie par ces systèmes, son contenu anarchique suscitant frayeur et soupçons. Aujourd’hui encore, les tyrannies modernes, qu’elles soient politiques, médiatiques, pseudo-scientifiques, socioculturelles ou psychologiques, attaquent la psychanalyse par peur de l’expression de forces psychiques suspectées de remettre en question leurs normes conformisantes.

L’Islam partage avec l’Antiquité la conception du rêve comme étant d’origine divine. Pour cette religion, l’être humain, durant son sommeil, entre en contact avec le surnaturel par l’intermédiaire de l’ange porteur du message divin. La tradition islamique distingue trois catégories de rêves:

  1. Les rêves ordinaires qui rapportent les événements de la réalité quotidienne et qui sont vite oubliés.

  2. Les rêves porteurs d’angoisses, de peurs et de doutes, d’origine satanique.

  3. Les rêves sains par lesquels la parole divine s’exprime et qu’on n’oublie pas. Dieu y procède à une évaluation de la conduite individuelle et profère encouragements ou mises en garde.


Le prophète Mohammad est l’interprète unique du message divin, il peut même apparaître au rêveur. L’existence du croyant lui restera incompréhensible tant qu’il ignorera ce message, ordonnateur de sa destinée et transmis par le rêve.
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