Consultations non contraignantes: signes d’un maintien du cabinet sortant
Le Premier ministre désigné Nagib Mikati a entamé lundi, place de l’Étoile, les consultations parlementaires non contraignantes pour former un gouvernement sans présager d’une volonté de changer l’équipe existante, à trois mois de la présidentielle.

Les consultations non contraignantes que mène le Premier ministre désigné Nagib Mikati avec les différents blocs pour former un gouvernement ont paru être de pure forme à leur premier jour, lundi, place de l’Étoile. Plusieurs parlementaires, de l’opposition notamment, ont en effet, confirmé à Ici Beyrouth que les choses tendent vers un prolongement du travail de l’actuel cabinet d’expédition des affaires courantes, déjà présidé par M. Mikati. Tout comme la reconduction de ce dernier a été le choix le moins hasardeux pour les différentes parties, même rivales, à trois mois de la fin du mandat du président Michel Aoun, le maintien du cabinet sortant obéirait à la même logique, à laquelle le Hezbollah souscrirait. Ceux qui refusent de participer au cabinet ont du reste formulé un rejet des anciennes pratiques consensuelles, d’union nationale, et implicitement de la méthode de blocage dont le Courant patriotique libre, soutenu par le Hezbollah, est passé maître.

Halimeh Kaakour. ©Hassan Ibrahim
Le groupe berryiste s’en remet à Mikati

Le groupe berryiste a souligné, par la voix du député Ali Hassan Khalil, « la nécessité de former un gouvernement au plus vite et d’adopter le plan de redressement (…) ».

Nuance : à Ici Beyrouth, son collègue du même bloc Kassem Hachem a lié la formation d’un gouvernement « nouveau et capable au plus vite », à « la poursuite du travail entamé par le cabinet d’expédition des affaires courantes, notamment les négociations avec le FMI », cruciales à ce stade. « C’est au Premier ministre de décider de la forme que prendra le cabinet », a-t-il ajouté, ce qui n’exclut donc pas le maintien du cabinet en place.
Le Hezbollah, entre discours et volonté réelle

Dans un pays habitué aux longues gestations de cabinets, surtout lorsque ceux-ci impliquent un départage entre factions politiques, l’appel du mouvement Amal exclut la formation d’un cabinet politique (par opposition à un cabinet de spécialistes). Un cabinet politique est l’une des options souhaitées par le Courant patriotique libre, quitte à y incorporer des spécialistes, selon le vice-président de la Chambre Élias Bou Saab, issu de ce bloc, lequel doit encore rencontrer mardi le Premier ministre désigné.

Nagib Mikati s’entretenant avec Nabih Berry. ©Hassan Ibrahim

Mener à bout le forcing éventuel du CPL pour un cabinet politique restera tributaire du soutien que lui apportera ou pas le Hezbollah. Dans leurs échanges avec des journalistes, des députés du bloc du Hezbollah accordaient lundi la priorité au « sauvetage économique, qui sera le thème principal de la prochaine étape ».

S’exprimant formellement au nom du bloc du parti chiite, le député Mohammad Raad a dit avoir « perçu chez le Premier ministre désigné une volonté de former le prochain cabinet qui, à notre avis, est un passage obligé et une opportunité pour une solution à la crise ». Une crise aux multiples aspects, qui vont de la pénurie de pain, aux médicaments, équipements médicaux, jusqu’au fioul, mazout, eau et autres, a-t-il ajouté.

Il a en outre stigmatisé les parties qui boycottent la formation du cabinet sur fond de « crise intérieure et extérieure complexe qui requiert la participation de tous ». « Quiconque souhaite le boycottage est maître de son choix, mais qu’il boycotte en jetant la balle dans le camp des autres, c’est là une autre affaire : chacun doit assumer ses responsabilités en coopérant pour que le pays se redresse », a-t-il dit.

Selon une source de l’opposition, pour Ici Beyrouth, par-delà le discours du parti chiite armé, le Hezbollah aurait hâte non pas à former un nouveau gouvernement, mais à maintenir le gouvernement actuel tel quel, étant avantagé par la formation actuelle et « incapable d’imposer une nouvelle déclaration ministérielle ». Dans ce contexte, même les remaniements ministériels ponctuels évoqués seraient à écarter, selon la source précitée. Les blocs sunnites consultés (bloc de la Modération nationale mené par Sajii Attieh, les Macharii islamiques, et la Jamaa Islamiya représentée par Imad el-Hout) ont d’ailleurs été seuls à formuler des requêtes concrètes en termes du nombre de portefeuilles.

Nagib Mikati s’entretenant avec les députés berrystes. ©Ali Fawaz


Le Bloc national indépendant rassemblant Tony Frangié (Marada), Farid el-Khazen et Michel Murr a adopté un discours similaire à celui du Hezbollah, réduisant l’enjeu du prochain cabinet à « limiter l’impact de la crise sur les gens », selon M. Frangié. Celui-ci a lié sa participation au gouvernement au plan de sauvetage qui sera examiné par la commission des Finances, jeudi.
Rupture avec les pratiques habituelles

La place de l’Étoile a vu défiler en outre les principaux blocs parlementaires ayant choisi de ne pas intégrer le cabinet ont fait part de leur point de vue au Premier ministre désigné.

Les députés issus de la contestation ont ainsi plaidé pour « un cabinet restreint d’indépendants, de spécialistes, qui soit un cabinet de sauvetage », selon Melhem Khalaf à Ici Beyrouth. Ce que Halimeh Kaakour, s’exprimant au nom du groupe, a qualifié de « cabinet muni de pouvoirs exceptionnels de législation », de sorte à permettre au gouvernement « qui n’aura qu’une durée de trois mois d’approuver des réformes sans devoir passer par le Parlement ». Leur refus de prendre part au cabinet est motivé par leur refus des gouvernements précédents dits d’union nationale, et de la pratique de départage des portefeuilles qui avait prévalu jusque-là. Il s’agit de revenir au jeu démocratique de la majorité qui gouverne, et l’opposition qui lui fait contrepoids. C’est dans ce sens que s’est également prononcé Michel Mouawad, au nom du Nord de la Confrontation, critiquant « les gouvernements d’union nationale et de départage du gâteau ».

Nagib Mikati s’entretenant avec Élias Bou Saab dans le cadre des consultations parlementaires non contraignantes, place de l’Étoile.

La Rencontre démocratique, dont le noyau dur est le Parti socialiste progressiste, s’est exprimée succinctement par la voix de Teymour Joumblatt qui a dit avoir réitéré, devant le Premier ministre désigné, la décision de « ne pas prendre part en tant que bloc au cabinet, mais de l’aider à former un gouvernement ». Un député de ce bloc rappelle à Ici Beyrouth que ce dernier s’est abstenu de prendre part aux précédents gouvernements depuis la révolution d’octobre 2019, et refuse, par ailleurs, en l’état actuel, de subir les méthodes habituelles du CPL et ses conditions presque rédhibitoires à chaque échéance similaire.
Forces libanaises, Kataëb et présidentielle

L’entretien des Forces libanaises (FL) avec Nagib Mikati les a confortées dans leur décision de ne pas participer au gouvernement. D’abord, par conviction qu’un gouvernement de trois mois ne saurait être à la hauteur des conditions exigées pour le premier cabinet de l’après-législatives, surtout que sous le mandat Aoun, les précédents gouvernements étaient peu encourageants, a déclaré en substance Georges Adwan au nom du bloc. « Un gouvernement qui répond à nos aspirations aura de fortes chances d’être bloqué par le président de la République », renchérit un député FL à Ici Beyrouth. Les FL souhaitent notamment que le gouvernement rétablisse la décision de l’État dans tous les domaines, ce qui permettra de rétablir les relations avec les pays étrangers, a ajouté M. Adwan.

Les FL préconisent en outre le seul critère de compétence dans l’attribution des portefeuilles et défendent un retour à une démocratie de la majorité. Selon les sources du parti, « une période d’attente et d’expédition des affaires courantes est en vue ». La priorité serait donc à la présidentielle à commencer par l’ouverture du délai constitutionnel, en septembre. « Élire un président sera bien plus bénéfique à la stabilité du pays qu’un cabinet d’union nationale », d’après la source précitée. Dans les mêmes milieux, on rejette en outre « un cabinet politique » qui risque de couvrir un vide présidentiel prolongé et de devenir un « cabinet de présidents », c’est-à-dire un ensemble de chefs de partis exerçant les prérogatives présidentielles, prétexte à « toutes sortes de marchés » comme cela avait été le cas au cours de plus de deux ans de vide à Baabda, quia avaient précédé l’élection de Michel Aoun en 2016.

Georges Adwan se prononçant, au nom du groupe parlementaire des Forces libanaises, à l’issue de la rencontre avec le Premier ministre désigné Nagib Mikati.

Le bloc des Kataëb, par la voix de Samy Gemayel a, en revanche, stigmatisé l’incorporation de calculs liés à la présidentielle dans la formation du prochain cabinet. « L’attente est un crime collectif contre le peuple libanais dont nous imputons la responsabilité aux groupes parlementaires, au Premier ministre désigné et surtout au président de la République, directement responsable » du précipice vers lequel se dirige le pays, a ajouté le député du Metn, en préconisant l’accélération de la formation d’un cabinet « de préférence d’indépendants ».

Le député Ghassan Skaff a a plaidé pour un « cabinet politique restreint », tandis que le député Jamil Abboud est sorti sans faire de déclarations, en l’absence de son allié du même bloc, Neemat Frem.
« Pris dans la fournaise »

La mission du chef du gouvernement d’expédition des affaires courantes, qui devrait en principe se prononcer mardi au terme des consultations à la place de l’Étoile, avant de se rendre à Baabda, a été décrite comme difficile par plus d’un bloc. À un député qui lui demandait pourquoi avoir accepté cette mission, « sans feu vert de l’étranger », il aurait répondu être déjà pris dans la fournaise, et incapable d’en sortir, rapporte un témoin de la conversation à Ici Beyrouth.
Commentaires
  • Aucun commentaire