Embargo pétrolier russe: l'Europe dégaine l'arme de l'assurance
On en parle moins, mais elle pourrait faire autant, voire plus, de dégâts à la Russie que l'embargo sur ses hydrocarbures. Annoncée début juin par l'Union européenne, l'interdiction pour les assureurs et réassureurs européens de couvrir le transport maritime russe pourrait coûter des milliards à Moscou. 95 % des assureurs de ce type dans le monde proviennent en effet du vieux continent.

Moins spectaculaire que l'embargo progressif sur l'or noir, l'interdiction faite par l'UE aux assureurs et réassureurs européens de couvrir le transport maritime de pétrole russe, quelle que soit sa destination, pourrait néanmoins pénaliser encore plus lourdement Moscou, qui cherche d’autres débouchés.

La mesure, qui figure dans le sixième train de sanctions annoncé début juin par l'Union européenne, a des "conséquences plus importantes pour le marché pétrolier que l'embargo" lui-même, affirme dans une note Carsten Fritsch, analyste chez Commerzbank.

Les assureurs européens ont jusqu'à la fin de l'année pour l'appliquer sur les contrats en cours et les professionnels britanniques devraient s'aligner, ce qui "va probablement avoir un impact (à la hausse) sur les prix", lance Marcus Baker, responsable international de l'assurance transport des marchandises pour Marsh.

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Des assurances particulièrement importantes

Les pays du G7, qui se sont réunis lundi 27 et mardi 28 juin en Allemagne, explorent en parallèle un plafonnement du cours du pétrole russe, pour frapper une importante source de revenus de Moscou. Le secteur privé, notamment l'assurance et le transport, devrait être impliqué.

L'interdiction d'assurer le transport de pétrole avait déjà été utilisée par l'UE en 2012. Elle visait alors le brut iranien dans le cadre de sanctions contre le programme nucléaire controversé de Téhéran.

Les bateaux commerciaux nécessitent en effet d'être protégés sur trois fronts : l'assurance corps de navire, pour les dommages causés au bateau, l'assurance de la cargaison, et enfin l'assurance protection et indemnisation (P&I), qui comprend une couverture illimitée des dommages causés à des tiers.

Cette assurance maritime particulière, couvrant des risques de guerre aux dommages environnementaux, est majoritairement fournie par des associations de professionnels, appelées "clubs P&I", qui mutualisent les risques.

Des "montants colossaux" sont en effet nécessaires, explique Mathieu Berrurier, directeur général du groupe Eyssautier Verlingue, interrogé par l'AFP.
Un marché étroitement lié à l'Europe

Les assureurs d'un club P&I sont quasiment les seuls en mesure de proposer des garanties à hauteur de risques comme "une marée noire majeure" ou "une collision avec un paquebot", selon M. Berrurier. Des dommages qui se chiffreraient alors en milliards de dollars.

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Quelque 90 à 95% du marché de l'assurance P&I sont entre les mains d'assureurs de l'Union européenne et du Royaume-Uni, selon les estimations de plusieurs professionnels du secteur.


"Le marché est si étroitement lié à l'Europe que ce sera presque impossible" d'échapper aux sanctions, affirme à l'AFP un cadre d'une société de transport de pétrole souhaitant garder l'anonymat. "Il n'existe pas de marché d'assurance alternatif suffisamment mature et sérieux."

Dmitri Medvedev, ex-président russe et actuel vice-président du Conseil de Sécurité de la Russie, avançait début juin la possibilité de "garanties publiques dans le cadre d'accords intergouvernementaux" avec des États tiers. La Russie pourrait ainsi s'auto-assurer et contourner les sanctions de l'UE, selon lui.
Des alternatives asiatiques ?

"C'est vrai, mais dans une certaine mesure" seulement, nuance Livia Gallarati, analyste pour Energy Aspects. "La valeur des dommages éventuels est si énorme qu'aucune compagnie n'est prête à tout assumer par elle-même."

"Aucune compagnie russe n'a suffisamment de surface financière pour faire face" à de tels risques, abonde Mathieu Berrurier.

Quant à transporter son pétrole elle-même, Livia Gallarati confirme que la Russie dispose de sa propre capacité d'expédition, mais elle reste très faible.

L'Inde, la Chine ou le Japon sont évoqués comme de potentielles alternatives, le Japon ayant déjà offert des garanties aux navires iraniens à l'époque des sanctions européennes contre Téhéran.

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L'Inde comme potentielle alliée

"Les circonstances politiques ne sont plus les mêmes", selon Mme Gallarati, mais l'Inde "pourrait être tentée". Ses relations avec l'administration Biden ont déjà souffert, Delhi ayant tardé à condamner l'invasion russe de l'Ukraine et ayant augmenté ses importations de pétrole russe malgré les critiques.

Le pays "aide la Russie à continuer à vendre son pétrole en dépit des sanctions occidentales", fournissant notamment une certification à plus de 80 navires appartenant à une filiale basée à Dubai de la compagnie maritime nationale russe Sovcomflot, note Carsten Fritsch.

Le risque de réputation serait cependant trop grand pour les réassureurs occidentaux de s’associer avec des assureurs asiatiques pour couvrir le transport de pétrole russe, selon Marcus Baker.

Pour lui, la pression exercée sur les armateurs a été renforcée, ce qui devrait les encourager à faire le choix de la prudence.

Avec AFP
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