L’effondrement d’un immeuble vétuste le dimanche 26 juin à Dahr al-Moghr à Tripoli, tuant une fillette et blessant trois autres, a ravivé les problèmes liés à l’état de dégradation de plus de 4.000 bâtiments dans cette région.
«Dahr al-Moghr, était la Venise du Liban-Nord». Khaled Tadmori, architecte et président du comité du patrimoine, du tourisme et de l’héritage du conseil municipal de Tripoli, ne tarit pas d’éloges sur ce quartier de Tripoli, qui a été le théâtre d’un drame dimanche. Un immeuble s’est effondré, tuant une fillette et blessant trois autres personnes.
«C’était le plus beau quartier de Tripoli avec toutes ses maisons et villas qui surplombent le fleuve, la mer et les ruines romaines», se rappelle-t-il. C’était aussi un quartier où chrétiens et musulmans vivaient ensemble, se souvient de son côté Badih Karhani, journaliste. «Les habitants de Zghorta venaient passer l’hiver ici et leurs enfants allaient à l’école américaine ou à celle des Pères Blancs aux côtés des Tripolitains de confession musulmane. Ensemble, chrétiens et musulmans célébraient la messe et observaient le jeûne du ramadan. Je me rappelle des nombreuses messes auxquelles j’avais assisté petit», se remémore-t-il.
Mais aujourd’hui, Dahr al-Moghr n’est qu’un quartier sinistré, plongé dans une misère extrême. L’anxiété est palpable dans les rues depuis le drame de dimanche. Certains habitants ont en fait quitté le quartier de peur que leurs bâtiments ne subissent le même sort. «Après l’effondrement de l’immeuble, nous avons eu tellement peur que nous sommes allés dormir ailleurs. Les enfants ont assisté à tout ça et ont vu cette petite fille mourir sous leurs yeux», s’insurge un habitant.
Un simple tour dans les ruelles permet en fait de constater l’ampleur de la vétusté des bâtiments. Des débris d’immeubles, des fissures larges et profondes et des décombres s’étendent à perte de vue. Les riverains sont désemparés et savent qu’ils ne peuvent pas compter sur le soutien du gouvernement.
«Le président du conseil municipal (Riad Yamak) a envoyé trois avertissements au ministre de l’Intérieur pour demander la démolition et la reconstruction des bâtiments vétustes, avance un autre habitant de Dahr al-Moghr. Ce dernier lui a répondu que les propriétaires devraient eux-mêmes s’en charger. Comment le faire, quand ils n’ont même pas de quoi s’acheter du pain. De toute manière personne ne va rien faire pour nous, ni la municipalité ni le gouvernement.»
Dans un des immeubles adjacents au bâtiment qui s’est effondré dimanche, un groupe de jeunes rassemble ses affaires et vide ses appartements après le passage d’un ingénieur dépêché par la municipalité, qui a ordonné l’évacuation du bâtiment. «Ici, la situation est très difficile. Il faut que les gens s’en rendent compte. Nous avons à peine de quoi manger. Nous payons un loyer dans un immeuble vétuste et maintenant on nous demande de le quitter. D’accord! Mais on va où?», disent-ils avec ironie.
Un peu plus loin une femme crie: «Ils nous ont privés de tout, du pain, de l’essence, de tout! Nous subissons de surcroît la mort de plein fouet! Il n’y a plus que Dieu qui peut nous sauver et punir tous ces ministres et présidents qui nous ont mis dans cette situation.»
Des permis de construire en échange de voix
«C’est en 1975, avec le début de la guerre, qu'un changement démographique a commencé à se faire sentir. La majorité des Tripolitains ont quitté ce quartier et des habitants de banlieues voisines comme Denniyé et le Akkar sont venus s’y installer», explique Khaled Tadmori. Dans ce quartier comme dans tant d’autres à Tripoli, la majorité des immeubles ont été édifiés illégalement, «sans permis de construire». «À l’époque, les terrains vides étaient nombreux. Les gens en ont profité pour bâtir en excès. Ils ont profité du chaos de la guerre pour ajouter des étages sans aucun plan d’urbanisme. Des pots-de-vin ont également été payés pour faciliter certaines constructions. Et avant les élections, des permis de construire ont été donnés en échange de voix», poursuit-il.
Le problème de constructions illégales et de déplacement de population est un problème d’envergure nationale. «On retrouve le même souci à Bourj Hammoud et dans la banlieur-sud de Beyrouth, où les populations d’origine sont parties et des constructions ont fleuri en toute illégalité», souligne Khaled Tadmori. «Bientôt ce sera le quartier de Chaffé, près du fleuve, où les habitations risquent de s’effondrer à tout moment car elles sont mal construites et que leurs fondations ne sont pas solides. Ce qui est d’autant plus grave que cette région connaît des glissements de terrain. Ces maisons vont se transformer en cimetière», se désole-t-il.
Pour lui, le ministère des Déplacés n’a pas fait son travail à la fin de la guerre. «Aujourd’hui, tout ce qui se passe à Tripoli n’est que la conséquence directe de la guerre, constate Khaled Tadmori. De plus, le laxisme des autorités et la corruption au sein du gouvernement ont aggravé la situation.» Il rappelle, à titre d’exemple, que Koura (Liban-Nord) a été reconstruite après la guerre, ce qui a permis aux habitants de rentrer dans leur ville d’origine.
Khaled Tadmori souligne que Riad Yamak a envoyé à trois reprises une lettre au gouvernement mettant en garde contre le risque d’effondrement de plus de 4.000 bâtiments, demandant à ce qu’ils soient remis en état. Le coût des travaux s’élèverait à 30 millions de dollars. «Comme toujours, nous attendons un drame pour soulever de nouveau ce problème. Il faut avoir un plan en amont et ne pas attendre qu’il y ait des morts pour essayer de trouver une solution», dit-il.
Responsabilité partagée
L'architecte précise que, contrairement aux propos avancés par Riad Yamak, l’immeuble qui s’est effondré n’est pas un bâtiment historique et que par conséquent sa réhabilitation ne relevait pas de la Direction générale des antiquités du ministère de la Culture. «Selon la loi, la municipalité n’a pas à démolir les immeubles du secteur privé, précise-t-il. C’est l’inspecteur municipal en bâtiment qui examine l’immeuble et rédige un rapport. Il peut ordonner l’évacuation en cas de risque d’effondrement. En revanche, c’est au propriétaire de se charger de la démolition ou de la restauration de la bâtisse.» Et si le propriétaire n’a pas les moyens, c’est à ce moment-là que la municipalité intervient et ordonne l’évacuation du bâtiment pour l’armer de structures en béton et éviter son écroulement. Le coût des travaux sera attribué au propriétaire et ajouté à ses dettes.
Aujourd’hui, le problème est tel que les propriétaires ne souhaitent pas rénover les bâtiments, car les loyers qu’ils vont percevoir en retour sont dérisoires comparés au coût des travaux. «L’État doit au moins être en mesure de protéger et rénover les bâtiments classés monuments historiques», intervient Khaled Tadmori. Pour lui, l’équation est simple. L’État est responsable de la restauration des bâtiments ravagés par la guerre et les propriétaires sont responsables de leurs immeubles.
Dahr al-Moghr n’est que le reflet de la faillite de l’État. Comme a pu le rappeler Riad Yamak lors de la conférence de presse qui s’est tenue au lendemain de l’effondrement de l’immeuble, Tripoli est une ville qui aurait pu rapporter plus qu’elle ne coûte actuellement à l’État. Entre ses ruines romaines, son port, son stade, ses anciens immeubles et son patrimoine culinaire… la grande ville du Liban-Nord est aujourd’hui plus que jamais victime de la corruption des hommes au pouvoir.
«Dahr al-Moghr, était la Venise du Liban-Nord». Khaled Tadmori, architecte et président du comité du patrimoine, du tourisme et de l’héritage du conseil municipal de Tripoli, ne tarit pas d’éloges sur ce quartier de Tripoli, qui a été le théâtre d’un drame dimanche. Un immeuble s’est effondré, tuant une fillette et blessant trois autres personnes.
«C’était le plus beau quartier de Tripoli avec toutes ses maisons et villas qui surplombent le fleuve, la mer et les ruines romaines», se rappelle-t-il. C’était aussi un quartier où chrétiens et musulmans vivaient ensemble, se souvient de son côté Badih Karhani, journaliste. «Les habitants de Zghorta venaient passer l’hiver ici et leurs enfants allaient à l’école américaine ou à celle des Pères Blancs aux côtés des Tripolitains de confession musulmane. Ensemble, chrétiens et musulmans célébraient la messe et observaient le jeûne du ramadan. Je me rappelle des nombreuses messes auxquelles j’avais assisté petit», se remémore-t-il.
Mais aujourd’hui, Dahr al-Moghr n’est qu’un quartier sinistré, plongé dans une misère extrême. L’anxiété est palpable dans les rues depuis le drame de dimanche. Certains habitants ont en fait quitté le quartier de peur que leurs bâtiments ne subissent le même sort. «Après l’effondrement de l’immeuble, nous avons eu tellement peur que nous sommes allés dormir ailleurs. Les enfants ont assisté à tout ça et ont vu cette petite fille mourir sous leurs yeux», s’insurge un habitant.
Un simple tour dans les ruelles permet en fait de constater l’ampleur de la vétusté des bâtiments. Des débris d’immeubles, des fissures larges et profondes et des décombres s’étendent à perte de vue. Les riverains sont désemparés et savent qu’ils ne peuvent pas compter sur le soutien du gouvernement.
«Le président du conseil municipal (Riad Yamak) a envoyé trois avertissements au ministre de l’Intérieur pour demander la démolition et la reconstruction des bâtiments vétustes, avance un autre habitant de Dahr al-Moghr. Ce dernier lui a répondu que les propriétaires devraient eux-mêmes s’en charger. Comment le faire, quand ils n’ont même pas de quoi s’acheter du pain. De toute manière personne ne va rien faire pour nous, ni la municipalité ni le gouvernement.»
Dans un des immeubles adjacents au bâtiment qui s’est effondré dimanche, un groupe de jeunes rassemble ses affaires et vide ses appartements après le passage d’un ingénieur dépêché par la municipalité, qui a ordonné l’évacuation du bâtiment. «Ici, la situation est très difficile. Il faut que les gens s’en rendent compte. Nous avons à peine de quoi manger. Nous payons un loyer dans un immeuble vétuste et maintenant on nous demande de le quitter. D’accord! Mais on va où?», disent-ils avec ironie.
Un peu plus loin une femme crie: «Ils nous ont privés de tout, du pain, de l’essence, de tout! Nous subissons de surcroît la mort de plein fouet! Il n’y a plus que Dieu qui peut nous sauver et punir tous ces ministres et présidents qui nous ont mis dans cette situation.»
Des permis de construire en échange de voix
«C’est en 1975, avec le début de la guerre, qu'un changement démographique a commencé à se faire sentir. La majorité des Tripolitains ont quitté ce quartier et des habitants de banlieues voisines comme Denniyé et le Akkar sont venus s’y installer», explique Khaled Tadmori. Dans ce quartier comme dans tant d’autres à Tripoli, la majorité des immeubles ont été édifiés illégalement, «sans permis de construire». «À l’époque, les terrains vides étaient nombreux. Les gens en ont profité pour bâtir en excès. Ils ont profité du chaos de la guerre pour ajouter des étages sans aucun plan d’urbanisme. Des pots-de-vin ont également été payés pour faciliter certaines constructions. Et avant les élections, des permis de construire ont été donnés en échange de voix», poursuit-il.
Le problème de constructions illégales et de déplacement de population est un problème d’envergure nationale. «On retrouve le même souci à Bourj Hammoud et dans la banlieur-sud de Beyrouth, où les populations d’origine sont parties et des constructions ont fleuri en toute illégalité», souligne Khaled Tadmori. «Bientôt ce sera le quartier de Chaffé, près du fleuve, où les habitations risquent de s’effondrer à tout moment car elles sont mal construites et que leurs fondations ne sont pas solides. Ce qui est d’autant plus grave que cette région connaît des glissements de terrain. Ces maisons vont se transformer en cimetière», se désole-t-il.
Pour lui, le ministère des Déplacés n’a pas fait son travail à la fin de la guerre. «Aujourd’hui, tout ce qui se passe à Tripoli n’est que la conséquence directe de la guerre, constate Khaled Tadmori. De plus, le laxisme des autorités et la corruption au sein du gouvernement ont aggravé la situation.» Il rappelle, à titre d’exemple, que Koura (Liban-Nord) a été reconstruite après la guerre, ce qui a permis aux habitants de rentrer dans leur ville d’origine.
Khaled Tadmori souligne que Riad Yamak a envoyé à trois reprises une lettre au gouvernement mettant en garde contre le risque d’effondrement de plus de 4.000 bâtiments, demandant à ce qu’ils soient remis en état. Le coût des travaux s’élèverait à 30 millions de dollars. «Comme toujours, nous attendons un drame pour soulever de nouveau ce problème. Il faut avoir un plan en amont et ne pas attendre qu’il y ait des morts pour essayer de trouver une solution», dit-il.
Responsabilité partagée
L'architecte précise que, contrairement aux propos avancés par Riad Yamak, l’immeuble qui s’est effondré n’est pas un bâtiment historique et que par conséquent sa réhabilitation ne relevait pas de la Direction générale des antiquités du ministère de la Culture. «Selon la loi, la municipalité n’a pas à démolir les immeubles du secteur privé, précise-t-il. C’est l’inspecteur municipal en bâtiment qui examine l’immeuble et rédige un rapport. Il peut ordonner l’évacuation en cas de risque d’effondrement. En revanche, c’est au propriétaire de se charger de la démolition ou de la restauration de la bâtisse.» Et si le propriétaire n’a pas les moyens, c’est à ce moment-là que la municipalité intervient et ordonne l’évacuation du bâtiment pour l’armer de structures en béton et éviter son écroulement. Le coût des travaux sera attribué au propriétaire et ajouté à ses dettes.
Aujourd’hui, le problème est tel que les propriétaires ne souhaitent pas rénover les bâtiments, car les loyers qu’ils vont percevoir en retour sont dérisoires comparés au coût des travaux. «L’État doit au moins être en mesure de protéger et rénover les bâtiments classés monuments historiques», intervient Khaled Tadmori. Pour lui, l’équation est simple. L’État est responsable de la restauration des bâtiments ravagés par la guerre et les propriétaires sont responsables de leurs immeubles.
Dahr al-Moghr n’est que le reflet de la faillite de l’État. Comme a pu le rappeler Riad Yamak lors de la conférence de presse qui s’est tenue au lendemain de l’effondrement de l’immeuble, Tripoli est une ville qui aurait pu rapporter plus qu’elle ne coûte actuellement à l’État. Entre ses ruines romaines, son port, son stade, ses anciens immeubles et son patrimoine culinaire… la grande ville du Liban-Nord est aujourd’hui plus que jamais victime de la corruption des hommes au pouvoir.
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