« De la musique avant toute chose », préconisait l’écrivain et poète français Paul Verlaine dans son Art poétique. Ainsi soit-il. Moments Sostenuto est une chronique musicale qui tend à valoriser les ardents défenseurs de la musique, cette « brûlure du sensible sur les pas de l’ouvert », comme le chante splendidement le poète libano-français Alain Tasso. Telle la pédale d’un piano soutenant la note d’une gamme, Moments Sostenuto cherche à pérenniser l’œuvre d’un compositeur, le labeur d’un musicien ou encore la passion d’un rare mélomane, dans l’obscurité de ces jours présents.
Le célèbre pianiste argentin Dario Ntaca raconte, depuis la Suisse, à Ici Beyrouth sa première rencontre et sa longue amitié avec l'une des pianistes et des interprètes les plus éminentes du XXIe siècle, Martha Argerich. « J'ai fait la connaissance de Martha, en 1980, lors de son concert au théâtre des Champs-Élysées à Paris, indique-t-il. Depuis, nous sommes devenus amis. Quarante-et-un ans déjà. Ce jour-là, elle interprétait le troisième concerto de Rachmaninov, une pièce qu'elle n'a jouée que dix fois dans sa vie, C'était le sommet de l'apothéose », raconte le célèbre pianiste argentin Dario Ntaca, un petit sourire au coin, faisant référence au concert historique d'Argerich, dirigé, à l'époque, par le violoncelliste et chef d'orchestre russe Mstislav Rostropovitch, l'une des figures musicales majeures du XXe siècle.
Bravant les défis techniques monstres de l'un des concerti les plus ardus, voire même les plus périlleux, du répertoire pianistique, Martha Argerich est parvenue durant ce concert à galvaniser le public, par ses bourrasques harmoniques d'une perfection exemplaire, et dont l'intensité dramatique allait de pair avec les couleurs romantiques impérieuses de ses envolées lyriques. Le dernier accord avait à peine eu le temps de se dissoudre dans le silence religieux du public, qu'une salve d'applaudissements et un tonnerre d'ovations retentirent aux quatre coins du théâtre. A l'issue de cette interprétation légendaire, Ntaca décide de porter son courage à deux mains et d'aller saluer la reine des touches en ivoire : « Nous avons discuté ensemble, pendant quelques minutes, puis Martha prit son stylo et inscrit, à ma grande surprise, son numéro de téléphone sur le programme du concert. Elle m'invita même à dîner. Durant cette rencontre, elle me donna une série de conseils afin d'en tirer la sève. Tous ces derniers convergeaient vers une seule et même notion : la liberté ».
La première étincelle
Il faudra, par la suite, attendre vingt-trois ans pour qu'une collaboration musicale entre les deux virtuoses finisse par voir le jour, en 2003. Rachmaninov sera, une fois de plus, à l'honneur : les sonorités chatoyantes et luxuriantes de sa première suite pour deux pianos résonneront dans le théâtre Colón, à Buenos Aires, qui verra naître une captivante complicité musicale. Dario Ntaca raconte, avec beaucoup d'émotions et de reconnaissance, les circonstances de celle-ci : « Le frère de Martha, extrêmement malade à cette époque, était à l'origine de ce projet. Un mois avant sa mort, il demanda à sa sœur pourquoi elle ne jouerait pas avec moi. Ce fut la première étincelle. Malheureusement, il est mort assez tôt sans pouvoir assister à ce premier concert. Nous lui avons alors dédié le festival de 2003, en signe de reconnaiannce et de gratitude. »
Projet après projet, les exploits du duo argentin vont rapidement se multiplier de manière auguste. Ils fondront, entre autres, Sinfonietta Argerich, un orchestre dédié aux jeunes musiciens empreints de talent afin de leur donner l'opportunité de jouer dans un ensemble polyphonique et de faire des tournées fructueuses, tant sur le plan personnel que sur le plan éducatif.
Une trilogie indissociable
Dario Ntaca est notoirement apprécié en tant que pianiste concertiste dont les interprétations lumineuses témoignent non seulement d'une virtuosité péremptoire mais également d'une éloquence véhémente, accentuées par des réalisations techniques raffinées. Sa direction ferme et précise des orchestres, philharmoniques soient-ils ou symphoniques, lui a valu une place privilégiée dans l'Olympe des grands chefs d'orchestre.
Persuadé de l'importance cruciale de la transmission socratique des savoirs, ou du « flambeau de la connaissance » comme il aime à le répéter, Ntaca, le pédagogue, a également voué sa vie à la passation de « l'esprit musical de Martha » aux jeunes musiciens. Cette trilogie demeure, selon lui, indissociable : « Pouvoir diriger un grand orchestre est une expérience unique ; toutefois, le rôle du chef d'orchestre reste, d'un point de vue musical, passif, dans le sens où il n'émet aucun son. Cela est très frustrant pour moi ! Parfois, j'ai besoin de me mettre au piano et de m'exprimer en faisant chanter mon instrument, ne serait-ce qu'à travers un nocturne de Chopin ou l'arabesque de Debussy. »
Dans cette même logique, le rôle du pédagogue, serait, selon lui, d'« aider quelqu'un d'autre à s'exprimer, en lui faisant découvrir son propre chemin ». Et d'ajouter : « Ce volet est, pour moi, le plus noble parmi les trois précités car il exige, naturellement, de mettre son égo de côté ».
https://youtu.be/Q_XSr_s-Sco
La modestie et la soif de briller
« J'ai vécu une adolescence concentrée sur la musique, l'amitié, l'échange, et non pas sur la soif de briller. Je crois que ceci a beaucoup à voir avec la spiritualité de mon père. Ce n'est pas une coïncidence que le musicien qui m'a le plus donné dans ma vie soit Martha », déclare-t-il, louant la modestie de sa partenaire musicale, considérée, aujourd'hui, comme l'une des interprètes le plus éminentes du XXIe siècle. En effet, pour Dario Ntaca, l'égocentrisme constitue un mal majeur que la « société veut nourrir chez l'artiste » mais qui finit toujours par se retourner contre ce dernier qui se retrouve, alors, face à « sa propre solitude ».
La musique classique est en danger
La crise sanitaire sans précèdent qui secoue la planète depuis plus de deux ans et qui a ravagé, à plein fouet et tel un effet boule de neige, les secteurs artistiques, rend le maestro argentin perplexe quant au rôle de l'art et de la musique dans la société, pour les années à venir. « Je crois que la place de l'art est en train de changer et c'est à nous, les musiciens, de sauvegarder [et de transmettre] certains principes acquis, aux nouvelles générations, afin de leur garantir la possibilité de se consacrer à cet art sans risques énormes. Il serait vraiment triste de laisser cet art sombrer dans les ténèbres de l'oubli. Gardons-le vivant ! », précise celui qui a sillonné le monde, dans le but de transmettre des valeurs musicales, héritées de l'école d'Argerich, de prévenir voire même d'éloigner cette fin fatale.
Un message à Beyrouth : Après toute mort, une résurrection
Après la Chine, le Vietnam, la Thaïlande, et le Singapour, Dario Ntaca espère que ses étincelles éparses parviendront au Liban et allumeront ses brasiers musicaux : « Tout le monde connait le Liban et admire la beauté historique de Beyrouth. Qui ne serait pas ravi de collaborer avec vous ? Je serais heureux de venir et partager ma connaissance avec votre peuple, si l'offre se présente » Il fait, par la suite, jaillir, par sa verve d'artiste, une lueur d'espoir en solidarité avec Beyrouth meurtrie, terrassée par la fatalité du destin : « Je voudrais adresser un message, associé à la force, à la lumière et à l'espoir, aux Libanais : après toute souffrance, on en sort plus fort ! On dirait un peu l'histoire de l'humanité, l'histoire de continuer et de prouver à nous-même qu'il existe une force intérieure pouvant se manifester même dans les circonstances tragiques. Mon message serait donc de ne pas perdre espoir car l'avenir sera mieux ».
Un dernier mot à Ici Beyrouth ? « Je souhaite, naturellement, à Ici Beyrouth tout le succès. Je pense sincèrement que ce que vous faites, est d'une grande importance, surtout que c'est dédié à la culture, à la musique et à la contribution de l'artiste dans la société. C'est d'une noblesse extraordinaire. Je ne peux que vous féliciter et voir un grand succès pour votre média. »
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Bravant les défis techniques monstres de l'un des concerti les plus ardus, voire même les plus périlleux, du répertoire pianistique, Martha Argerich est parvenue durant ce concert à galvaniser le public, par ses bourrasques harmoniques d'une perfection exemplaire, et dont l'intensité dramatique allait de pair avec les couleurs romantiques impérieuses de ses envolées lyriques. Le dernier accord avait à peine eu le temps de se dissoudre dans le silence religieux du public, qu'une salve d'applaudissements et un tonnerre d'ovations retentirent aux quatre coins du théâtre. A l'issue de cette interprétation légendaire, Ntaca décide de porter son courage à deux mains et d'aller saluer la reine des touches en ivoire : « Nous avons discuté ensemble, pendant quelques minutes, puis Martha prit son stylo et inscrit, à ma grande surprise, son numéro de téléphone sur le programme du concert. Elle m'invita même à dîner. Durant cette rencontre, elle me donna une série de conseils afin d'en tirer la sève. Tous ces derniers convergeaient vers une seule et même notion : la liberté ».
La première étincelle
Il faudra, par la suite, attendre vingt-trois ans pour qu'une collaboration musicale entre les deux virtuoses finisse par voir le jour, en 2003. Rachmaninov sera, une fois de plus, à l'honneur : les sonorités chatoyantes et luxuriantes de sa première suite pour deux pianos résonneront dans le théâtre Colón, à Buenos Aires, qui verra naître une captivante complicité musicale. Dario Ntaca raconte, avec beaucoup d'émotions et de reconnaissance, les circonstances de celle-ci : « Le frère de Martha, extrêmement malade à cette époque, était à l'origine de ce projet. Un mois avant sa mort, il demanda à sa sœur pourquoi elle ne jouerait pas avec moi. Ce fut la première étincelle. Malheureusement, il est mort assez tôt sans pouvoir assister à ce premier concert. Nous lui avons alors dédié le festival de 2003, en signe de reconnaiannce et de gratitude. »
Projet après projet, les exploits du duo argentin vont rapidement se multiplier de manière auguste. Ils fondront, entre autres, Sinfonietta Argerich, un orchestre dédié aux jeunes musiciens empreints de talent afin de leur donner l'opportunité de jouer dans un ensemble polyphonique et de faire des tournées fructueuses, tant sur le plan personnel que sur le plan éducatif.
Une trilogie indissociable
Dario Ntaca est notoirement apprécié en tant que pianiste concertiste dont les interprétations lumineuses témoignent non seulement d'une virtuosité péremptoire mais également d'une éloquence véhémente, accentuées par des réalisations techniques raffinées. Sa direction ferme et précise des orchestres, philharmoniques soient-ils ou symphoniques, lui a valu une place privilégiée dans l'Olympe des grands chefs d'orchestre.
Persuadé de l'importance cruciale de la transmission socratique des savoirs, ou du « flambeau de la connaissance » comme il aime à le répéter, Ntaca, le pédagogue, a également voué sa vie à la passation de « l'esprit musical de Martha » aux jeunes musiciens. Cette trilogie demeure, selon lui, indissociable : « Pouvoir diriger un grand orchestre est une expérience unique ; toutefois, le rôle du chef d'orchestre reste, d'un point de vue musical, passif, dans le sens où il n'émet aucun son. Cela est très frustrant pour moi ! Parfois, j'ai besoin de me mettre au piano et de m'exprimer en faisant chanter mon instrument, ne serait-ce qu'à travers un nocturne de Chopin ou l'arabesque de Debussy. »
Dans cette même logique, le rôle du pédagogue, serait, selon lui, d'« aider quelqu'un d'autre à s'exprimer, en lui faisant découvrir son propre chemin ». Et d'ajouter : « Ce volet est, pour moi, le plus noble parmi les trois précités car il exige, naturellement, de mettre son égo de côté ».
https://youtu.be/Q_XSr_s-Sco
La modestie et la soif de briller
« J'ai vécu une adolescence concentrée sur la musique, l'amitié, l'échange, et non pas sur la soif de briller. Je crois que ceci a beaucoup à voir avec la spiritualité de mon père. Ce n'est pas une coïncidence que le musicien qui m'a le plus donné dans ma vie soit Martha », déclare-t-il, louant la modestie de sa partenaire musicale, considérée, aujourd'hui, comme l'une des interprètes le plus éminentes du XXIe siècle. En effet, pour Dario Ntaca, l'égocentrisme constitue un mal majeur que la « société veut nourrir chez l'artiste » mais qui finit toujours par se retourner contre ce dernier qui se retrouve, alors, face à « sa propre solitude ».
La musique classique est en danger
La crise sanitaire sans précèdent qui secoue la planète depuis plus de deux ans et qui a ravagé, à plein fouet et tel un effet boule de neige, les secteurs artistiques, rend le maestro argentin perplexe quant au rôle de l'art et de la musique dans la société, pour les années à venir. « Je crois que la place de l'art est en train de changer et c'est à nous, les musiciens, de sauvegarder [et de transmettre] certains principes acquis, aux nouvelles générations, afin de leur garantir la possibilité de se consacrer à cet art sans risques énormes. Il serait vraiment triste de laisser cet art sombrer dans les ténèbres de l'oubli. Gardons-le vivant ! », précise celui qui a sillonné le monde, dans le but de transmettre des valeurs musicales, héritées de l'école d'Argerich, de prévenir voire même d'éloigner cette fin fatale.
Un message à Beyrouth : Après toute mort, une résurrection
Après la Chine, le Vietnam, la Thaïlande, et le Singapour, Dario Ntaca espère que ses étincelles éparses parviendront au Liban et allumeront ses brasiers musicaux : « Tout le monde connait le Liban et admire la beauté historique de Beyrouth. Qui ne serait pas ravi de collaborer avec vous ? Je serais heureux de venir et partager ma connaissance avec votre peuple, si l'offre se présente » Il fait, par la suite, jaillir, par sa verve d'artiste, une lueur d'espoir en solidarité avec Beyrouth meurtrie, terrassée par la fatalité du destin : « Je voudrais adresser un message, associé à la force, à la lumière et à l'espoir, aux Libanais : après toute souffrance, on en sort plus fort ! On dirait un peu l'histoire de l'humanité, l'histoire de continuer et de prouver à nous-même qu'il existe une force intérieure pouvant se manifester même dans les circonstances tragiques. Mon message serait donc de ne pas perdre espoir car l'avenir sera mieux ».
Un dernier mot à Ici Beyrouth ? « Je souhaite, naturellement, à Ici Beyrouth tout le succès. Je pense sincèrement que ce que vous faites, est d'une grande importance, surtout que c'est dédié à la culture, à la musique et à la contribution de l'artiste dans la société. C'est d'une noblesse extraordinaire. Je ne peux que vous féliciter et voir un grand succès pour votre média. »
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