Le ministre sortant des Déplacés, Issam Charafeddine, a annoncé la mise au point d’un plan pour le retour des réfugiés syriens à leur pays, en coordination avec le régime de Damas, en dehors du cadre onusien.
Dans un contexte d’effondrement économique, et face au risque d’un vide prolongé au niveau de l’Exécutif, le pouvoir politique libanais a réintroduit dans son discours la nécessité du retour des réfugiés syriens. Mais à défaut d’une politique unifiée pour gérer la présence des réfugiés, un tel discours est voué à rester de l’ordre de la «démagogie», estiment des experts du dossier, familiers des mécanismes de coopération internationale.
Prenant le relais du président de la République, Michel Aoun, le Premier ministre, Najib Mikati, avait donné le ton il y a deux semaines en menaçant la communauté internationale de «faire sortir les réfugiés du Liban en vertu des lois libanaises» si elle ne coopérait pas pour assurer leur retour. Émanant d’un responsable sunnite, cette position, généralement sujette aux surenchères chrétiennes, spécifiquement du Courant patriotique libre, serait avant tout un moyen de contenir la frustration avérée des sociétés d’accueil sunnites démunies et excédées par la présence prolongée et en grand nombre de réfugiés reçus pourtant amicalement au début du conflit syrien.
Pour un proche du dossier à Ici Beyrouth, la position de Najib Mikati ne serait pas traduisible en acte. Il n'aurait pas l'intention de passer à l'action puisque lui-même tiendrait un tout autre discours devant ses interlocuteurs onusiens.
Initiative de Charafeddine en direction de Damas
Cela n’a pas empêché le ministre sortant des Déplacés, Issam Charafeddine, d’annoncer en début de semaine la mise au point d’un plan pour le retour des réfugiés syriens dans leur pays, en coordination avec le régime de Damas et en dehors du cadre onusien. «Le plan de l’État libanais prévoit le retour de quinze mille réfugiés par mois», a-t-il déclaré à l’issue de sa rencontre lundi avec le président de la République, Michel Aoun, à Baabda, faisant suite à une réunion du ministre avec le directeur régional du Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR).
«Le Liban s’engagera en faveur de ce plan quelle que soit la position du HCR», a-t-il ajouté mercredi dans une interview à la radio. Il a annoncé qu’il se rendrait en Syrie après le congé d’al-Adha, «à la demande du gouvernement, pour examiner ce dossier avec la partie syrienne».
S’agissant du mécanisme de retour prévu, Issam Charafeddine a précisé que ce retour se fera «sur bases de critères géographiques, puisqu’il est prévu de créer des centres d’abri pour réfugiés au niveau de leurs villages respectifs».
Il a du reste précisé, en réponse à une question, que «le HCR s’est abstenu d’avaliser plusieurs points du plan proposé, dont la demande libanaise de suspendre le paiement d’aides aux réfugiés». «La position du HCR est politique», a-t-il ajouté.
Le Hezbollah, un obstacle au retour des réfugiés
Commentant la démarche du ministre pour Ici Beyrouth, Ziad el-Sayegh, expert en politiques publiques et réfugiés et directeur exécutif du Civic influence hub, estime qu’il s’agit de « titres pompeux pour un plan inapplicable ».
Le retour des réfugiés ne serait pas applicable sans une série de prérequis: l’unification des chiffres par rapport au nombre de réfugiés, la distinction des réfugiés des travailleurs syriens, l’identification des lieux de provenance respectifs des réfugiés et ceux de leur retour sûr en Syrie «sous le parrainage de l’ONU», dit-il.
Il relève enfin un obstacle de taille à ce retour: les régions syriennes frontalières du Liban, notamment le Qalamoun, Qouseir et Zabadani, susceptibles d’accueillir «près de 350.000 réfugiés présents actuellement à Ersal (Nord est de la Békaa) et dans le Akkar (Nord)» sont sous l’emprise du Hezbollah, qui a la haute main sur le pouvoir libanais. «Les responsables libanais qui réclament le retour sont les alliés du Hezbollah et veulent dialoguer avec le régime syrien allié du Hezbollah, qui occupe actuellement la principale zone dont sont issus les réfugiés du Liban. Cela n’est rien moins qu’absurde», estime Ziad el-Sayegh.
«Comment négocier avec un régime qui est partie fondamentale du problème?», s’interroge-t-il encore.
La création de centres d’abris, telle que proposée par le ministre sortant des Déplacés, suscite elle aussi les réserves de l’expert: «la création de tels centres (en anglais, temporary shelters) que nous préconisons depuis 2012 ne peut se faire que de deux manières: soit à l’intérieur d’une zone tampon, sous le parrainage des Nations Unies», que le Liban officiel contourne, «soit sur la zone frontalière du côté syrien, ce que le ministre libanais des Affaires étrangères refuse, pour ne pas affecter le trafic aux frontières», stratégique pour le Hezbollah.
L’expérience de 2018
En 2018, le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Gebran Bassil, par ailleurs gendre du chef de l’État, avait proposé, en coordination avec la Sûreté générale et le régime syrien, un mécanisme de retour des réfugiés présents à Ersal. Il avait accompagné sa démarche d’une campagne médiatique, en se rendant sur place dans l’un des camps de Ersal, le camp central des Falatinat, en juin 2018. Certains réfugiés présumés s’étaient exprimés pour dire que le HCR entravait leur retour. Selon nos informations, recueillies sur le terrain, il s’est avéré que ceux-ci ne sont pas des réfugiés mais des hommes de liaison du régime syrien, habitués des allers-retours entre Ersal et la Syrie: le camp en question était infiltré par les services de renseignements syriens, comme le seront progressivement les autres camps de la bourgade à majorité sunnite. La démarche de Gebran Bassil n’était pas destinée à assurer le retour des réfugiés: Des familles qui s’étaient inscrites pour retourner, les membres autorisés par Damas à rentrer incluaient rarement le père, ce qui n’était pas sans dissuader la famille de mener à bout la procédure du retour. Et si certains décidaient quand même de regagner leurs villes ou villages, cela ne pouvait se faire sans les conditions du régime de Damas, de lui prêter allégeance, ou du Hezbollah dans les fiefs qui relèvent de lui, de renoncer formellement à leurs propriétés foncières au profit d’étrangers qui s’y sont installés sous un parrainage iranien.
Résultat: près de 300 réfugiés sur les 36.000 installés à Ersal ont regagné la Syrie en juin 2018, selon la Sûreté générale.
Le Liban hors des mécanismes internationaux
L’initiative russe de 2019 pour parrainer le retour des réfugiés a elle-même échoué. Preuve supplémentaire que ce retour est tributaire d’une solution politique en Syrie, résume Ziad el-Sayegh.
Or, non seulement le pouvoir libanais occulte ce facteur, mais il se place pour l’instant en dehors du processus diplomatique: ni le Liban ne propose d’accompagner le processus de Genève comme membre observateur, ni il ne sollicite, comme il pourrait le faire via son ministre des Affaires étrangères, le Groupe international de soutien pour le Liban (GIS), pour la gestion du dossier des réfugiés, explique l’expert. Et si Najib Mikati a fait appel, à juste titre, à «une coordination régionale», le Liban officiel n’a rien fait pour intégrer un tel mécanisme.
Et l’expert de rappeler que le Liban, bien que non signataire de la Convention de 1951 consacrant le principe de non-refoulement, il défend ce principe. Menacer officiellement d’expulser les réfugiés serait une dérogation à la légalité internationale, par «populisme». Celle-ci ne serait pas sans conséquence.
Le retour est certes une priorité, mais qui ne saurait se mettre en place sans prendre en compte la légalité internationale, c’est-à-dire non seulement le droit du Liban de ne plus devoir subir le fardeau de ce dossier, mais aussi les droits des réfugiés au retour et la préservation de leur identité et celle de leur pays, explique l’expert en substance.
Sans cela, le pouvoir libanais semble se contenter d’un bruitage médiatique, qui s’orienterait vers plus d’escalade, tout en sachant à l’avance que le retour des réfugiés est entravé.
L’objectif serait «de remplir le vide en prévision du vide institutionnel qui s’annonce», constate Ziad el-Sayegh. Et comme en 2018, où l’initiative de Gebran Bassil accompagnait les réticences du Liban à mettre en œuvre les réformes préconisées par la CEDRE, cette fois, l’escalade en vue sur le dossier des réfugiés devrait marquer les débats autour du plan de redressement économique.
Dans un contexte d’effondrement économique, et face au risque d’un vide prolongé au niveau de l’Exécutif, le pouvoir politique libanais a réintroduit dans son discours la nécessité du retour des réfugiés syriens. Mais à défaut d’une politique unifiée pour gérer la présence des réfugiés, un tel discours est voué à rester de l’ordre de la «démagogie», estiment des experts du dossier, familiers des mécanismes de coopération internationale.
Prenant le relais du président de la République, Michel Aoun, le Premier ministre, Najib Mikati, avait donné le ton il y a deux semaines en menaçant la communauté internationale de «faire sortir les réfugiés du Liban en vertu des lois libanaises» si elle ne coopérait pas pour assurer leur retour. Émanant d’un responsable sunnite, cette position, généralement sujette aux surenchères chrétiennes, spécifiquement du Courant patriotique libre, serait avant tout un moyen de contenir la frustration avérée des sociétés d’accueil sunnites démunies et excédées par la présence prolongée et en grand nombre de réfugiés reçus pourtant amicalement au début du conflit syrien.
Pour un proche du dossier à Ici Beyrouth, la position de Najib Mikati ne serait pas traduisible en acte. Il n'aurait pas l'intention de passer à l'action puisque lui-même tiendrait un tout autre discours devant ses interlocuteurs onusiens.
Initiative de Charafeddine en direction de Damas
Cela n’a pas empêché le ministre sortant des Déplacés, Issam Charafeddine, d’annoncer en début de semaine la mise au point d’un plan pour le retour des réfugiés syriens dans leur pays, en coordination avec le régime de Damas et en dehors du cadre onusien. «Le plan de l’État libanais prévoit le retour de quinze mille réfugiés par mois», a-t-il déclaré à l’issue de sa rencontre lundi avec le président de la République, Michel Aoun, à Baabda, faisant suite à une réunion du ministre avec le directeur régional du Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR).
«Le Liban s’engagera en faveur de ce plan quelle que soit la position du HCR», a-t-il ajouté mercredi dans une interview à la radio. Il a annoncé qu’il se rendrait en Syrie après le congé d’al-Adha, «à la demande du gouvernement, pour examiner ce dossier avec la partie syrienne».
S’agissant du mécanisme de retour prévu, Issam Charafeddine a précisé que ce retour se fera «sur bases de critères géographiques, puisqu’il est prévu de créer des centres d’abri pour réfugiés au niveau de leurs villages respectifs».
Il a du reste précisé, en réponse à une question, que «le HCR s’est abstenu d’avaliser plusieurs points du plan proposé, dont la demande libanaise de suspendre le paiement d’aides aux réfugiés». «La position du HCR est politique», a-t-il ajouté.
Le Hezbollah, un obstacle au retour des réfugiés
Commentant la démarche du ministre pour Ici Beyrouth, Ziad el-Sayegh, expert en politiques publiques et réfugiés et directeur exécutif du Civic influence hub, estime qu’il s’agit de « titres pompeux pour un plan inapplicable ».
Le retour des réfugiés ne serait pas applicable sans une série de prérequis: l’unification des chiffres par rapport au nombre de réfugiés, la distinction des réfugiés des travailleurs syriens, l’identification des lieux de provenance respectifs des réfugiés et ceux de leur retour sûr en Syrie «sous le parrainage de l’ONU», dit-il.
Il relève enfin un obstacle de taille à ce retour: les régions syriennes frontalières du Liban, notamment le Qalamoun, Qouseir et Zabadani, susceptibles d’accueillir «près de 350.000 réfugiés présents actuellement à Ersal (Nord est de la Békaa) et dans le Akkar (Nord)» sont sous l’emprise du Hezbollah, qui a la haute main sur le pouvoir libanais. «Les responsables libanais qui réclament le retour sont les alliés du Hezbollah et veulent dialoguer avec le régime syrien allié du Hezbollah, qui occupe actuellement la principale zone dont sont issus les réfugiés du Liban. Cela n’est rien moins qu’absurde», estime Ziad el-Sayegh.
«Comment négocier avec un régime qui est partie fondamentale du problème?», s’interroge-t-il encore.
La création de centres d’abris, telle que proposée par le ministre sortant des Déplacés, suscite elle aussi les réserves de l’expert: «la création de tels centres (en anglais, temporary shelters) que nous préconisons depuis 2012 ne peut se faire que de deux manières: soit à l’intérieur d’une zone tampon, sous le parrainage des Nations Unies», que le Liban officiel contourne, «soit sur la zone frontalière du côté syrien, ce que le ministre libanais des Affaires étrangères refuse, pour ne pas affecter le trafic aux frontières», stratégique pour le Hezbollah.
L’expérience de 2018
En 2018, le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Gebran Bassil, par ailleurs gendre du chef de l’État, avait proposé, en coordination avec la Sûreté générale et le régime syrien, un mécanisme de retour des réfugiés présents à Ersal. Il avait accompagné sa démarche d’une campagne médiatique, en se rendant sur place dans l’un des camps de Ersal, le camp central des Falatinat, en juin 2018. Certains réfugiés présumés s’étaient exprimés pour dire que le HCR entravait leur retour. Selon nos informations, recueillies sur le terrain, il s’est avéré que ceux-ci ne sont pas des réfugiés mais des hommes de liaison du régime syrien, habitués des allers-retours entre Ersal et la Syrie: le camp en question était infiltré par les services de renseignements syriens, comme le seront progressivement les autres camps de la bourgade à majorité sunnite. La démarche de Gebran Bassil n’était pas destinée à assurer le retour des réfugiés: Des familles qui s’étaient inscrites pour retourner, les membres autorisés par Damas à rentrer incluaient rarement le père, ce qui n’était pas sans dissuader la famille de mener à bout la procédure du retour. Et si certains décidaient quand même de regagner leurs villes ou villages, cela ne pouvait se faire sans les conditions du régime de Damas, de lui prêter allégeance, ou du Hezbollah dans les fiefs qui relèvent de lui, de renoncer formellement à leurs propriétés foncières au profit d’étrangers qui s’y sont installés sous un parrainage iranien.
Résultat: près de 300 réfugiés sur les 36.000 installés à Ersal ont regagné la Syrie en juin 2018, selon la Sûreté générale.
Le Liban hors des mécanismes internationaux
L’initiative russe de 2019 pour parrainer le retour des réfugiés a elle-même échoué. Preuve supplémentaire que ce retour est tributaire d’une solution politique en Syrie, résume Ziad el-Sayegh.
Or, non seulement le pouvoir libanais occulte ce facteur, mais il se place pour l’instant en dehors du processus diplomatique: ni le Liban ne propose d’accompagner le processus de Genève comme membre observateur, ni il ne sollicite, comme il pourrait le faire via son ministre des Affaires étrangères, le Groupe international de soutien pour le Liban (GIS), pour la gestion du dossier des réfugiés, explique l’expert. Et si Najib Mikati a fait appel, à juste titre, à «une coordination régionale», le Liban officiel n’a rien fait pour intégrer un tel mécanisme.
Et l’expert de rappeler que le Liban, bien que non signataire de la Convention de 1951 consacrant le principe de non-refoulement, il défend ce principe. Menacer officiellement d’expulser les réfugiés serait une dérogation à la légalité internationale, par «populisme». Celle-ci ne serait pas sans conséquence.
Le retour est certes une priorité, mais qui ne saurait se mettre en place sans prendre en compte la légalité internationale, c’est-à-dire non seulement le droit du Liban de ne plus devoir subir le fardeau de ce dossier, mais aussi les droits des réfugiés au retour et la préservation de leur identité et celle de leur pays, explique l’expert en substance.
Sans cela, le pouvoir libanais semble se contenter d’un bruitage médiatique, qui s’orienterait vers plus d’escalade, tout en sachant à l’avance que le retour des réfugiés est entravé.
L’objectif serait «de remplir le vide en prévision du vide institutionnel qui s’annonce», constate Ziad el-Sayegh. Et comme en 2018, où l’initiative de Gebran Bassil accompagnait les réticences du Liban à mettre en œuvre les réformes préconisées par la CEDRE, cette fois, l’escalade en vue sur le dossier des réfugiés devrait marquer les débats autour du plan de redressement économique.
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