Régulièrement, dans ma pratique, se présente le moment où un patient annonce son intention de cesser son travail analytique, souvent au nom d’un sentiment de bonheur, de sérénité, de plaisir de vivre, ou encore de légèreté d’être: chacun a ses propres termes pour exprimer ce renouveau et cet élan vers sa vie. De tels moments de fin sont marqués pour moi d’une joie particulière, qui témoigne d’un accomplissement. Le travail du psychanalyste, comme celui du patient, prend son sens de la possibilité, et même de la nécessité que la cure ait une fin. La psychanalyse est une pratique qui œuvre essentiellement à l’autonomie d’un sujet, inscrite en filigrane dès le premier instant de la cure, et lui donnant constamment son axe. Cette visée fondamentale rend la psychanalyse antinomique de toute action thérapeutique qui s’obtiendrait par un effet de suggestion, voire une mainmise sur la pensée du patient et sur sa manière d’orienter sa vie. À son ami le pasteur Pfister, dont l’aspiration, dans sa pratique, consistait à redoubler l’efficacité psychanalytique par la transmission de la foi chrétienne, Freud opposait l'idée que la visée principale de la cure est de «donner au patient son indépendance». En cela, la psychanalyse n’est pas une conception du monde, qui enseignerait la juste pensée ou prescrirait le bon chemin; c’est une route inédite, qu’il n’est pas possible de prendre seul car l’accès au savoir de l’inconscient en passe nécessairement par le transfert, mais qui mène chacun, par franchissements successifs, vers sa vision singulière des choses et la mise en place de ses changements.
L’ensemble des changements auxquels conduit une psychanalyse ne procède de rien d’autre que d’effets de sens: tout au long de la route, des énoncés surgissant de la parole du sujet comme de l’interprétation du psychanalyste font advenir un sens nouveau qui, s’ajoutant à la réalité du sujet, amène celui-ci à la repenser. C’est ainsi que le rapport du sujet à la réalité se trouve modifié par la cure, rétroactivement puisqu’il relit son histoire, et projectivement puisque l’orientation qu’il donne à sa vie s’en trouve infléchie.
Si l’interprétation produit un sens juste, le sentiment du patient ne trompe pas. Une prise de conscience soudaine et lumineuse donne valeur de vérité à l’énoncé, qui sera toujours suivi d’effets dans la vie psychique du sujet: il y aura un avant et un après cette interprétation. Dans le cas contraire où l’interprétation est imprécise ou erronée, elle laisse le patient froid et se trouve simplement mise de côté. Seule l’advenue d’un sens juste peut opérer durablement pour un sujet. Il n’est donc nullement à craindre qu’une psychanalyse puisse modifier quiconque à l’encontre de sa propre vérité. Une psychanalyse change une vie par le fait du sens. Le sens ultime des choses humaines touche toujours au désir; ce désir inconscient, un et indestructible, qui caractérise l’être humain. Aussi le dernier mot du déchiffrage d’un rêve, l’aboutissement de la «voie royale qui mène à l’inconscient», est-il l’élucidation du désir le plus profond du rêveur. Dès lors, «par quel désir suis-je mû?», « quel sens puis-je trouver à ce que je vis?» et «quelle orientation puis-je donner à ma vie?» sont une seule et même question.
Perles de sens
Dans les formulations par lesquelles les patients amènent l’idée de la fin de leur cure, se trouve presque toujours impliquée la question du sens, dont le sentiment de bonheur découle: «J’ai désormais l’intime conviction de la valeur de ma vie, alors je me sens apaisé», «J’ai compris que si je vis en accord avec ce que j’ai appris de moi-même, je pourrai m’aimer et ne me perdrai ni ne me maltraiterai plus», «J’étais comme l’étranger de Camus, je suis maintenant éveillé à ma vie», «Je me sens dans un carpe diem responsable», «Je suis habité d’une joie de vivre durable», «Alors qu’avant, je ne savais pas pourquoi je me levais le matin ni comment soulever mes journées, je ressens maintenant une légèreté nouvelle», «Je n’ai plus besoin de m’accrocher à mes programmes de vie, car je sais où je vais de l’intérieur», «Je suis désormais à ma place, alors tout sonne juste», «C’est comme si je m’étais trompée de vie jusqu’à présent, ma psychanalyse a été véritable une renaissance»…
La question de la fin donne lieu, entre un patient et son psychanalyste, à un moment de dialogue faisant de la séparation une décision partagée et lui donnant une valeur conclusive. Ce dialogue vient reboucler des élucidations majeures, ou commémorer des instants de la cure où le sujet a rencontré un sens décisif. En cet ultime moment du lien analytique, je suis chaque fois saisie par la beauté et la poésie des mots, même des plus simples, spontanément exprimés par les patients pour embrasser leur parcours. Ces mots de la fin sont des perles de sens.
L’ensemble des changements auxquels conduit une psychanalyse ne procède de rien d’autre que d’effets de sens: tout au long de la route, des énoncés surgissant de la parole du sujet comme de l’interprétation du psychanalyste font advenir un sens nouveau qui, s’ajoutant à la réalité du sujet, amène celui-ci à la repenser. C’est ainsi que le rapport du sujet à la réalité se trouve modifié par la cure, rétroactivement puisqu’il relit son histoire, et projectivement puisque l’orientation qu’il donne à sa vie s’en trouve infléchie.
Si l’interprétation produit un sens juste, le sentiment du patient ne trompe pas. Une prise de conscience soudaine et lumineuse donne valeur de vérité à l’énoncé, qui sera toujours suivi d’effets dans la vie psychique du sujet: il y aura un avant et un après cette interprétation. Dans le cas contraire où l’interprétation est imprécise ou erronée, elle laisse le patient froid et se trouve simplement mise de côté. Seule l’advenue d’un sens juste peut opérer durablement pour un sujet. Il n’est donc nullement à craindre qu’une psychanalyse puisse modifier quiconque à l’encontre de sa propre vérité. Une psychanalyse change une vie par le fait du sens. Le sens ultime des choses humaines touche toujours au désir; ce désir inconscient, un et indestructible, qui caractérise l’être humain. Aussi le dernier mot du déchiffrage d’un rêve, l’aboutissement de la «voie royale qui mène à l’inconscient», est-il l’élucidation du désir le plus profond du rêveur. Dès lors, «par quel désir suis-je mû?», « quel sens puis-je trouver à ce que je vis?» et «quelle orientation puis-je donner à ma vie?» sont une seule et même question.
Perles de sens
Dans les formulations par lesquelles les patients amènent l’idée de la fin de leur cure, se trouve presque toujours impliquée la question du sens, dont le sentiment de bonheur découle: «J’ai désormais l’intime conviction de la valeur de ma vie, alors je me sens apaisé», «J’ai compris que si je vis en accord avec ce que j’ai appris de moi-même, je pourrai m’aimer et ne me perdrai ni ne me maltraiterai plus», «J’étais comme l’étranger de Camus, je suis maintenant éveillé à ma vie», «Je me sens dans un carpe diem responsable», «Je suis habité d’une joie de vivre durable», «Alors qu’avant, je ne savais pas pourquoi je me levais le matin ni comment soulever mes journées, je ressens maintenant une légèreté nouvelle», «Je n’ai plus besoin de m’accrocher à mes programmes de vie, car je sais où je vais de l’intérieur», «Je suis désormais à ma place, alors tout sonne juste», «C’est comme si je m’étais trompée de vie jusqu’à présent, ma psychanalyse a été véritable une renaissance»…
La question de la fin donne lieu, entre un patient et son psychanalyste, à un moment de dialogue faisant de la séparation une décision partagée et lui donnant une valeur conclusive. Ce dialogue vient reboucler des élucidations majeures, ou commémorer des instants de la cure où le sujet a rencontré un sens décisif. En cet ultime moment du lien analytique, je suis chaque fois saisie par la beauté et la poésie des mots, même des plus simples, spontanément exprimés par les patients pour embrasser leur parcours. Ces mots de la fin sont des perles de sens.
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