Initiée et développée par le psychiatre et psychanalyste britannique John Bowlby, en 1978, la théorie de l’attachement s’adosse aux interrelations humaines. Elle prend pour point de départ l’idée que l’enfant a besoin, pour bien se développer émotionnellement et socialement, d’un lien d’attachement solide et continu, au moins, initialement, avec une personne qui prenne soin de lui et qui soit la figure d’attachement primaire. Ce lien primordial s’élargit plus tard à l’entourage familial et, petit à petit, à la sphère sociale, lesquels deviennent une base de sécurité, un socle à partir duquel le sujet peut se donner le courage d’entreprendre l’exploration du monde.
Quand l’attachement se désorganise
Certes, l’attachement ne va pas sans quelque ambiguïté. Car, bien qu’il ait vocation à être un lien vital, il pourrait, dans certains cas, devenir source d’ambivalence ou d’anxiété, ou, tout franchement, d’angoisse existentielle, jusqu’à devenir littéralement invalidant. Il va sans dire que cette désorganisation est étroitement liée, à l’origine, aux imagos parentales ou à leurs substituts, lesquels inspirent dès lors au sujet de l’inquiétude, de la peur, le plongeant dans un conflit quasiment irrémédiable. En effet, comment accepter que le socle de sécurité soit en même temps la source même de la peur? Comment aimer et vouloir fuir à la fois sa/ses figure(s) d’attachement?
Cela sans oublier que, dans certaines situations, où le lien d’attachement devient particulièrement invalidant, le sujet procédant par un «retournement en son contraire» (la terminologie est freudienne) s’attache de plus belle à la source de son mal-être, au lieu de la fuir au plus loin, de s’en détacher pour son bien propre, persuadé qu’un jour cette source défaillante sera réparée et pourra devenir enfin une source vitale et bienfaitrice. D’aucuns parleraient alors d’«identification à l’agresseur» (Rf. Sándor Ferenczi), de «syndrome de Stockholm» (Rf. Anna Freud), ou de la «peur de la liberté» (Rf. Erich Fromm), d’autres, encore, évoqueraient la «répétition du scénario de vie» (Rf. Jean Cottraux).
Quoi qu’il en soit, voilà alors le sujet pris en otage par un ravisseur tout à la fois aimé et haï, désiré et craint, avec qui la relation est absolument inextricable, car la rancœur et la haine envers lui, doublées de la peur de se retrouver mises au jour, incitent le sujet à simuler un amour inconditionnel et sécurisant, auquel il finit par croire fermement.
https://www.psychologies.com/Moi/Se-connaitre/Emotions/Articles-et-Dossiers/Nos-emotions-les-controler-ou-les-exprimer/Philippe-Petit-funambule-La-peur-c-est-pour-ceux-qui-sont-par-terre
Qu’en est-il des ravisseurs dans le sens réel?
La recherche scientifique menée sur des preneurs d’otages montre que, dans plus de 60% des cas, ceux-là se rendent et libèrent leurs otages après négociation. Une étude du FBI montre que, lorsque l’unité de police spécialisée dans les rapts et les demandes de rançon intervient, dans 6% des cas les ravisseurs sont tués, dans 5% des cas ils se suicident, dans 5% des cas aussi des otages sont eux-mêmes tués ou grièvement blessés. Dans de très rares cas, il arrive, par ailleurs, tout à l’inverse du syndrome de Stockholm, comme dans un jeu de miroirs inversés, que les ravisseurs se retrouvent aux prises avec le «syndrome de Lima», en éprouvant des sentiments d’attachement quasi passionnel à leurs otages. Et, comme cela était bien arrivé à Lima, au Pérou, on les verrait paradoxalement libérer leurs otages, sans aucune pression extérieure, mus exclusivement par leur sympathie pour eux.
Centre historique de Lima
Quand un État «ravit» son peuple
Il n’est plus nécessaire de faire la démonstration du ravissement du peuple libanais par son État. Sans doute serait-il ici intéressant de rappeler, avant tout, la polysémie du verbe «ravir». Car, oui, le peuple libanais a toujours été si «ravi» de son pays, en dépit de tous les manquements de l’État et de toutes les atrocités encourues que beaucoup se sont obstinés à y demeurer, coûte que coûte. Jusqu’au jour d’aujourd’hui. Devrait-on parler dans ce cas de syndrome de Stockholm, de celui de la peur de la liberté? En même temps, le peuple libanais est littéralement «ravi» par l’État, au sens de «kidnappé», de «pris en otage». Mais encore, ne serait-il pas de même frappé de «ravissement», au sens religieux du ravissement de saint Paul, par exemple, ou plus prosaïquement du ravissement de Lol V. Stein dans le roman éponyme de Marguerite Duras? Un peuple physiquement présent, mais «ravi» de l’intérieur, vidé de son âme, mort-vivant. Dans les trois cas de figure, il s’agirait bien de parler d’attachement invalidant, dans le cadre duquel il est clair que le ravisseur ne souffre pas du tout du syndrome de Lima.
Comment parler de base de sécurité, de socle, lorsqu’on évoque un État qui vampirise son peuple à tous les niveaux et par tous les moyens? Les otages doivent, en effet, être littéralement mis à genoux, voire face en terre, blessés, torturés et pourquoi pas mis à mort pour que les ravisseurs triomphent et que les négociations (en l’occurrence, les tractations et les magouilles) qu’ils mènent aboutissent à leur profit. Sans argent en banque, sans pouvoir d’achat, sans électricité, sans gasoil, sans diesel, sans eau, sans médicaments, sans emplois, sans hôpitaux, sans écoles, sans universités, sans pain, etc., la liste est bien trop longue pour être intégrale. Elle montre bien en tout cas les moyens mis à contribution pour «ravir» totalement les otages. Tous les otages.
Mais sans doute le plus ingénieux des moyens du ravissement que l’État ait trouvé pour mieux assujettir ses otages est celui de priver les Libanais de leur passeport. Depuis des mois, il est impossible d’en demander un ou de demander le renouvellement de celui qui vient d’expirer. Les services sont hors d’accès. Les bureaux de la Sûreté générale sont infonctionnels. Les téléphones sonnent aux abonnés absents. La plateforme numérique est comme définitivement beuguée. Adieu tout espoir de pouvoir quitter le pays pour en fuir la misère morale et physique. Adieu tout rêve d’entreprendre l’exploration du monde. Adieu toute possibilité de mettre fin à l’attachement aliénant. Les chaînes sont bien trop lourdes pour que les otages réussissent à s’en débarrasser, même quand la volonté de le faire est puissante. Car le socle primordial, la base de sécurité primaire sont tellement englués dans la fange et l’abjection qu’ils ne peuvent qu’emporter avec eux tous ceux qui y sont attachés…
Vestige d’autrefois
Quand l’attachement se désorganise
Certes, l’attachement ne va pas sans quelque ambiguïté. Car, bien qu’il ait vocation à être un lien vital, il pourrait, dans certains cas, devenir source d’ambivalence ou d’anxiété, ou, tout franchement, d’angoisse existentielle, jusqu’à devenir littéralement invalidant. Il va sans dire que cette désorganisation est étroitement liée, à l’origine, aux imagos parentales ou à leurs substituts, lesquels inspirent dès lors au sujet de l’inquiétude, de la peur, le plongeant dans un conflit quasiment irrémédiable. En effet, comment accepter que le socle de sécurité soit en même temps la source même de la peur? Comment aimer et vouloir fuir à la fois sa/ses figure(s) d’attachement?
Cela sans oublier que, dans certaines situations, où le lien d’attachement devient particulièrement invalidant, le sujet procédant par un «retournement en son contraire» (la terminologie est freudienne) s’attache de plus belle à la source de son mal-être, au lieu de la fuir au plus loin, de s’en détacher pour son bien propre, persuadé qu’un jour cette source défaillante sera réparée et pourra devenir enfin une source vitale et bienfaitrice. D’aucuns parleraient alors d’«identification à l’agresseur» (Rf. Sándor Ferenczi), de «syndrome de Stockholm» (Rf. Anna Freud), ou de la «peur de la liberté» (Rf. Erich Fromm), d’autres, encore, évoqueraient la «répétition du scénario de vie» (Rf. Jean Cottraux).
Quoi qu’il en soit, voilà alors le sujet pris en otage par un ravisseur tout à la fois aimé et haï, désiré et craint, avec qui la relation est absolument inextricable, car la rancœur et la haine envers lui, doublées de la peur de se retrouver mises au jour, incitent le sujet à simuler un amour inconditionnel et sécurisant, auquel il finit par croire fermement.
https://www.psychologies.com/Moi/Se-connaitre/Emotions/Articles-et-Dossiers/Nos-emotions-les-controler-ou-les-exprimer/Philippe-Petit-funambule-La-peur-c-est-pour-ceux-qui-sont-par-terre
Qu’en est-il des ravisseurs dans le sens réel?
La recherche scientifique menée sur des preneurs d’otages montre que, dans plus de 60% des cas, ceux-là se rendent et libèrent leurs otages après négociation. Une étude du FBI montre que, lorsque l’unité de police spécialisée dans les rapts et les demandes de rançon intervient, dans 6% des cas les ravisseurs sont tués, dans 5% des cas ils se suicident, dans 5% des cas aussi des otages sont eux-mêmes tués ou grièvement blessés. Dans de très rares cas, il arrive, par ailleurs, tout à l’inverse du syndrome de Stockholm, comme dans un jeu de miroirs inversés, que les ravisseurs se retrouvent aux prises avec le «syndrome de Lima», en éprouvant des sentiments d’attachement quasi passionnel à leurs otages. Et, comme cela était bien arrivé à Lima, au Pérou, on les verrait paradoxalement libérer leurs otages, sans aucune pression extérieure, mus exclusivement par leur sympathie pour eux.
Centre historique de Lima
Quand un État «ravit» son peuple
Il n’est plus nécessaire de faire la démonstration du ravissement du peuple libanais par son État. Sans doute serait-il ici intéressant de rappeler, avant tout, la polysémie du verbe «ravir». Car, oui, le peuple libanais a toujours été si «ravi» de son pays, en dépit de tous les manquements de l’État et de toutes les atrocités encourues que beaucoup se sont obstinés à y demeurer, coûte que coûte. Jusqu’au jour d’aujourd’hui. Devrait-on parler dans ce cas de syndrome de Stockholm, de celui de la peur de la liberté? En même temps, le peuple libanais est littéralement «ravi» par l’État, au sens de «kidnappé», de «pris en otage». Mais encore, ne serait-il pas de même frappé de «ravissement», au sens religieux du ravissement de saint Paul, par exemple, ou plus prosaïquement du ravissement de Lol V. Stein dans le roman éponyme de Marguerite Duras? Un peuple physiquement présent, mais «ravi» de l’intérieur, vidé de son âme, mort-vivant. Dans les trois cas de figure, il s’agirait bien de parler d’attachement invalidant, dans le cadre duquel il est clair que le ravisseur ne souffre pas du tout du syndrome de Lima.
Comment parler de base de sécurité, de socle, lorsqu’on évoque un État qui vampirise son peuple à tous les niveaux et par tous les moyens? Les otages doivent, en effet, être littéralement mis à genoux, voire face en terre, blessés, torturés et pourquoi pas mis à mort pour que les ravisseurs triomphent et que les négociations (en l’occurrence, les tractations et les magouilles) qu’ils mènent aboutissent à leur profit. Sans argent en banque, sans pouvoir d’achat, sans électricité, sans gasoil, sans diesel, sans eau, sans médicaments, sans emplois, sans hôpitaux, sans écoles, sans universités, sans pain, etc., la liste est bien trop longue pour être intégrale. Elle montre bien en tout cas les moyens mis à contribution pour «ravir» totalement les otages. Tous les otages.
Mais sans doute le plus ingénieux des moyens du ravissement que l’État ait trouvé pour mieux assujettir ses otages est celui de priver les Libanais de leur passeport. Depuis des mois, il est impossible d’en demander un ou de demander le renouvellement de celui qui vient d’expirer. Les services sont hors d’accès. Les bureaux de la Sûreté générale sont infonctionnels. Les téléphones sonnent aux abonnés absents. La plateforme numérique est comme définitivement beuguée. Adieu tout espoir de pouvoir quitter le pays pour en fuir la misère morale et physique. Adieu tout rêve d’entreprendre l’exploration du monde. Adieu toute possibilité de mettre fin à l’attachement aliénant. Les chaînes sont bien trop lourdes pour que les otages réussissent à s’en débarrasser, même quand la volonté de le faire est puissante. Car le socle primordial, la base de sécurité primaire sont tellement englués dans la fange et l’abjection qu’ils ne peuvent qu’emporter avec eux tous ceux qui y sont attachés…
Vestige d’autrefois
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