Une figure mythique a fait son entrée au Panthéon ce mardi 30 novembre : Joséphine Baker, danseuse, résistante et militante antiraciste. La cérémonie a avant tout été l’occasion pour Emmanuel Macron de défendre sa vision d’une France unie, qu’il oppose à l’exacerbation des identités, défendue par la « nouvelle gauche » et au repli sur soi xénophobe incarné par le discours d’Éric Zemmour.
« Me revoilà Paris, avec mes musiques et mes danses ; me revoilà Paris, merci encore pour cette chance ; tu le vois, je reviens toujours, chercher près de toi le grand amour » : c’est sur l’une de ses chansons les plus célèbres que s’est ouverte la cérémonie d’entrée au Panthéon de Joséphine Baker. Plusieurs milliers d’anonymes sont venus lui rendre hommage. Parmi eux, Camille, à qui Joséphine Baker « a donné envie de devenir danseuse », Maxime venue saluer une femme « qui s’est battue pour la France », Romane qui la voit d’abord comme une icône « universaliste et féministe » ou encore Louis qui se réjouit que pour la première fois, la République honore ainsi une femme noire.
Porté par six officiers, le cénotaphe revêtu du drapeau tricolore s’avance lentement dans la nuit tandis qu’une voix-off déroule l’histoire de la vie de Joséphine Baker. Née dans une famille miséreuse sur les bords du Mississipi, son enfance est marquée par les humiliations de la ségrégation raciale. Danseuse, elle connaît ses premiers succès à Broadway avant de quitter les États-Unis pour fuir les discriminations. Elle arrive en France en 1925, à 19 ans, dans le Paris des années folles : les premières représentations de « La revue nègre » sont un triomphe. Après la consécration à Paris, elle conquiert le monde « de Buenos Aires à Vienne, de Londres à Tunis ». Elle est naturalisée française en 1937.
https://www.youtube.com/watch?v=0o4ZT2LfP3Y
Espionne pour la France libre
Mais en 1939, la guerre. Elle s’engage comme espionne pour la France libre, sillonne l’Afrique et le Moyen-Orient pour transmettre des messages dissimulés dans ses partitions, et cache des juifs et des résistants dans son château. Pour son éminent rôle dans la Libération, le « sous-lieutenant Baker » obtiendra la médaille de la Résistance et la Légion d’honneur. « Elle aurait pu ne rien faire mais elle a fait le choix de résister » rappelle Éléonore, qui étudie l’archéologie. Le cortège s’arrête et les chœurs de l’armée française reprennent le « Chant des partisans », l’hymne de la Résistance
Après la guerre, de retour dans son pays natal, elle est de nouveau confrontée au racisme, en dépit de son immense notoriété. En réponse, elle s’engage dans le mouvement des droits civiques et milite pour l’abolition de la ségrégation. Fichée par le FBI, décrétée ennemie des États-Unis d’Amérique, elle rentre en France sans rien renier de son engagement. En 1963, vêtue de son uniforme d’officier de l’armée de l’air, elle participera à la marche de Washington, organisée par Martin Luther King où ses mots resteront célèbres : « Vous êtes à la veille d’une victoire totale, le monde entier est avec vous ! ».
Mariée au musicien Jean Bouillon, elle adopte douze enfants venus du Japon, de Colombie, de Finlande, de France, d’Algérie, de Côte d’Ivoire, du Venezuela et du Maroc. Sa « tribu arc-en-ciel » entend montrer au monde que la fraternité entre tous est possible. Des adolescents entament alors sa chanson « Dans mon village » : « Si mon village pouvait servir un jour de témoignage et symbole d’amour ; si tous les gens, d’ici, de là ; si tous les peuples ici-bas ; sans s’occuper de leur couleur n’avaient qu’un cœur ».
Endettée, elle doit multiplier les concerts pour subvenir aux besoins de sa famille. Au lendemain d’un dernier spectacle qui célèbre les cinquante années de sa carrière, elle est retrouvée inanimée dans son appartement parisien. Elle meurt deux jours plus tard, le 12 avril 1975, à l’âge de 68 ans.
Au pied du Panthéon, le cortège s’arrête à nouveau pour écouter « J’ai deux amour » : l’orchestre de la Garde républicaine accompagne la voix de Joséphine qui résonne dans le Quartier latin. Grâce à des projecteurs, la façade du monument se transforme en une scène de théâtre où apparait son portrait. On la voit danseuse, militaire ou encore aux côtés de Martin Luther King. Le fronton se couvre des noms des villes du monde où elle a connu la gloire. Puis, les colonnes s’illuminent de bleu, de blanc et de rouge tandis que le cortège entre précautionneusement dans l’ancienne église, déposant le cénotaphe sous le dôme.
Le symbole d’une « France réconciliée » ?
Le président Emmanuel Macron entame alors son discours, la reconnaissant comme « l’incarnation de l’esprit français ». Dans un pays « partagé entre soif de liberté et préjugés coloniaux », il salue la danseuse qui par ses grimaces et ses gestes saccadés « dépasse les contradictions françaises de l’époque ». Revenant sur son « combat pour la France libre », il acclame une Joséphine Baker qui « sert son nouveau pays au péril de sa vie ».
Le discours devient ensuite plus politique. Pour Emmanuel Macron, l’engagement de la militante antiraciste était tourné vers « l’universalisme » et non vers « l’irréductibilité de la cause noire ». Il déclare refuser que quiconque « ne fasse mentir ou ne détourne son combat universel ». Le message est clair : le président veut marquer son opposition à l’importation en France d’un antiracisme étasunien davantage tourné vers l’exaltation de « l’identité noire » que vers la défense de l’unité du genre humain. Une réponse à la tribune de Rokhaya Diallo, militante antiraciste appartenant à cette tendance : elle dénonçait dans le Washington Post une instrumentalisation de la figure de Joséphine Baker qui profiterait au « mythe d'une République prétendument plus accueillante pour les Noirs que ne le sont les États-Unis ».
Puis, Emmanuel Macron rappelle sa vision de la France : « Un lieu où l’on cesserait de se rêver ailleurs, une promesse d’émancipation », une Nation « qui n’est elle-même que lorsqu’elle est grande et sans peur » où Joséphine Baker a voulu prouver que « les couleurs de peau, les origines, les religions pouvaient non seulement cohabiter mais vivre en harmonie ». Une série d’allusions à peine voilées à la progression en France d’un discours réactionnaire, xénophobe et décliniste, promu notamment par Éric Zemmour. Quelques heures avant la cérémonie, le polémiste d’extrême-droite annonçait sa candidature à l’élection présidentielle. Face au projet d’une France renfermée sur elle-même, Emmanuel Macron entend s’imposer comme le candidat d’une « France réconciliée », incarnée par Joséphine Baker.
Ces messages politiques ont été plutôt bien accueillis par les nombreux jeunes présents dans l’auditoire. Florent, étudiant en sciences politiques, se réjouit de la défense de « l’universalisme », y voyant le remède « tant aux excès de l’essentialisation des identités qu’au discours prônant le rejet de l’autre ». Pour Andréa, étudiant en économie, il était important qu’Emmanuel Macron dénonce en filigrane le discours d’Éric Zemmour, « que tout oppose à Joséphine Baker ». Enfin, Kiwih, étudiante en histoire de l’art, a trouvé le discours plutôt juste mais estime le président hypocrite sur la question du racisme : « D’un côté, il salue la lutte contre les discriminations de Joséphine Baker, de l’autre, il ne fait rien contre les violences policières et réprime violemment les manifestants en Guadeloupe ».
Celui qui s’est fait élire sur un programme estampillé « ni de droite, ni de gauche » a cependant veillé à ce que soient occultés deux aspects centraux de l’engagement de Joséphine Baker. D’abord, sa fascination et son soutien intangible envers le général de Gaulle, héros français particulièrement convoqué par la droite. Et pour la gauche, sa défense acharnée de la Révolution cubaine : elle se rendra plusieurs fois sur l’île caribéenne, participera à la célèbre Conférence tricontinentale et verra en Fidel Castro, qu’elle fait appeler « tonton » par ses enfants, le principal promoteur de l’antiracisme dans le monde.
Emmanuel Macron achève son discours en se réjouissant qu’un « vent de fantaisie et d’audace » entre dans le Panthéon avec une Joséphine Baker qui représente « une certaine idée de la liberté, de la fête ». Il conclue par ces mots : « Ma France, c’est Joséphine ». Une Marseillaise retentit, reprise par la foule. Le cénotaphe se dirige vers la crypte où il reposera en témoignage d’une « patrie reconnaissante » pour une grande femme, Joséphine Baker, la sixième seulement à être honorée au Panthéon.
« Me revoilà Paris, avec mes musiques et mes danses ; me revoilà Paris, merci encore pour cette chance ; tu le vois, je reviens toujours, chercher près de toi le grand amour » : c’est sur l’une de ses chansons les plus célèbres que s’est ouverte la cérémonie d’entrée au Panthéon de Joséphine Baker. Plusieurs milliers d’anonymes sont venus lui rendre hommage. Parmi eux, Camille, à qui Joséphine Baker « a donné envie de devenir danseuse », Maxime venue saluer une femme « qui s’est battue pour la France », Romane qui la voit d’abord comme une icône « universaliste et féministe » ou encore Louis qui se réjouit que pour la première fois, la République honore ainsi une femme noire.
Porté par six officiers, le cénotaphe revêtu du drapeau tricolore s’avance lentement dans la nuit tandis qu’une voix-off déroule l’histoire de la vie de Joséphine Baker. Née dans une famille miséreuse sur les bords du Mississipi, son enfance est marquée par les humiliations de la ségrégation raciale. Danseuse, elle connaît ses premiers succès à Broadway avant de quitter les États-Unis pour fuir les discriminations. Elle arrive en France en 1925, à 19 ans, dans le Paris des années folles : les premières représentations de « La revue nègre » sont un triomphe. Après la consécration à Paris, elle conquiert le monde « de Buenos Aires à Vienne, de Londres à Tunis ». Elle est naturalisée française en 1937.
https://www.youtube.com/watch?v=0o4ZT2LfP3Y
Espionne pour la France libre
Mais en 1939, la guerre. Elle s’engage comme espionne pour la France libre, sillonne l’Afrique et le Moyen-Orient pour transmettre des messages dissimulés dans ses partitions, et cache des juifs et des résistants dans son château. Pour son éminent rôle dans la Libération, le « sous-lieutenant Baker » obtiendra la médaille de la Résistance et la Légion d’honneur. « Elle aurait pu ne rien faire mais elle a fait le choix de résister » rappelle Éléonore, qui étudie l’archéologie. Le cortège s’arrête et les chœurs de l’armée française reprennent le « Chant des partisans », l’hymne de la Résistance
Après la guerre, de retour dans son pays natal, elle est de nouveau confrontée au racisme, en dépit de son immense notoriété. En réponse, elle s’engage dans le mouvement des droits civiques et milite pour l’abolition de la ségrégation. Fichée par le FBI, décrétée ennemie des États-Unis d’Amérique, elle rentre en France sans rien renier de son engagement. En 1963, vêtue de son uniforme d’officier de l’armée de l’air, elle participera à la marche de Washington, organisée par Martin Luther King où ses mots resteront célèbres : « Vous êtes à la veille d’une victoire totale, le monde entier est avec vous ! ».
Mariée au musicien Jean Bouillon, elle adopte douze enfants venus du Japon, de Colombie, de Finlande, de France, d’Algérie, de Côte d’Ivoire, du Venezuela et du Maroc. Sa « tribu arc-en-ciel » entend montrer au monde que la fraternité entre tous est possible. Des adolescents entament alors sa chanson « Dans mon village » : « Si mon village pouvait servir un jour de témoignage et symbole d’amour ; si tous les gens, d’ici, de là ; si tous les peuples ici-bas ; sans s’occuper de leur couleur n’avaient qu’un cœur ».
Endettée, elle doit multiplier les concerts pour subvenir aux besoins de sa famille. Au lendemain d’un dernier spectacle qui célèbre les cinquante années de sa carrière, elle est retrouvée inanimée dans son appartement parisien. Elle meurt deux jours plus tard, le 12 avril 1975, à l’âge de 68 ans.
Au pied du Panthéon, le cortège s’arrête à nouveau pour écouter « J’ai deux amour » : l’orchestre de la Garde républicaine accompagne la voix de Joséphine qui résonne dans le Quartier latin. Grâce à des projecteurs, la façade du monument se transforme en une scène de théâtre où apparait son portrait. On la voit danseuse, militaire ou encore aux côtés de Martin Luther King. Le fronton se couvre des noms des villes du monde où elle a connu la gloire. Puis, les colonnes s’illuminent de bleu, de blanc et de rouge tandis que le cortège entre précautionneusement dans l’ancienne église, déposant le cénotaphe sous le dôme.
Le symbole d’une « France réconciliée » ?
Le président Emmanuel Macron entame alors son discours, la reconnaissant comme « l’incarnation de l’esprit français ». Dans un pays « partagé entre soif de liberté et préjugés coloniaux », il salue la danseuse qui par ses grimaces et ses gestes saccadés « dépasse les contradictions françaises de l’époque ». Revenant sur son « combat pour la France libre », il acclame une Joséphine Baker qui « sert son nouveau pays au péril de sa vie ».
Le discours devient ensuite plus politique. Pour Emmanuel Macron, l’engagement de la militante antiraciste était tourné vers « l’universalisme » et non vers « l’irréductibilité de la cause noire ». Il déclare refuser que quiconque « ne fasse mentir ou ne détourne son combat universel ». Le message est clair : le président veut marquer son opposition à l’importation en France d’un antiracisme étasunien davantage tourné vers l’exaltation de « l’identité noire » que vers la défense de l’unité du genre humain. Une réponse à la tribune de Rokhaya Diallo, militante antiraciste appartenant à cette tendance : elle dénonçait dans le Washington Post une instrumentalisation de la figure de Joséphine Baker qui profiterait au « mythe d'une République prétendument plus accueillante pour les Noirs que ne le sont les États-Unis ».
Puis, Emmanuel Macron rappelle sa vision de la France : « Un lieu où l’on cesserait de se rêver ailleurs, une promesse d’émancipation », une Nation « qui n’est elle-même que lorsqu’elle est grande et sans peur » où Joséphine Baker a voulu prouver que « les couleurs de peau, les origines, les religions pouvaient non seulement cohabiter mais vivre en harmonie ». Une série d’allusions à peine voilées à la progression en France d’un discours réactionnaire, xénophobe et décliniste, promu notamment par Éric Zemmour. Quelques heures avant la cérémonie, le polémiste d’extrême-droite annonçait sa candidature à l’élection présidentielle. Face au projet d’une France renfermée sur elle-même, Emmanuel Macron entend s’imposer comme le candidat d’une « France réconciliée », incarnée par Joséphine Baker.
Ces messages politiques ont été plutôt bien accueillis par les nombreux jeunes présents dans l’auditoire. Florent, étudiant en sciences politiques, se réjouit de la défense de « l’universalisme », y voyant le remède « tant aux excès de l’essentialisation des identités qu’au discours prônant le rejet de l’autre ». Pour Andréa, étudiant en économie, il était important qu’Emmanuel Macron dénonce en filigrane le discours d’Éric Zemmour, « que tout oppose à Joséphine Baker ». Enfin, Kiwih, étudiante en histoire de l’art, a trouvé le discours plutôt juste mais estime le président hypocrite sur la question du racisme : « D’un côté, il salue la lutte contre les discriminations de Joséphine Baker, de l’autre, il ne fait rien contre les violences policières et réprime violemment les manifestants en Guadeloupe ».
Celui qui s’est fait élire sur un programme estampillé « ni de droite, ni de gauche » a cependant veillé à ce que soient occultés deux aspects centraux de l’engagement de Joséphine Baker. D’abord, sa fascination et son soutien intangible envers le général de Gaulle, héros français particulièrement convoqué par la droite. Et pour la gauche, sa défense acharnée de la Révolution cubaine : elle se rendra plusieurs fois sur l’île caribéenne, participera à la célèbre Conférence tricontinentale et verra en Fidel Castro, qu’elle fait appeler « tonton » par ses enfants, le principal promoteur de l’antiracisme dans le monde.
Emmanuel Macron achève son discours en se réjouissant qu’un « vent de fantaisie et d’audace » entre dans le Panthéon avec une Joséphine Baker qui représente « une certaine idée de la liberté, de la fête ». Il conclue par ces mots : « Ma France, c’est Joséphine ». Une Marseillaise retentit, reprise par la foule. Le cénotaphe se dirige vers la crypte où il reposera en témoignage d’une « patrie reconnaissante » pour une grande femme, Joséphine Baker, la sixième seulement à être honorée au Panthéon.
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