« Il y a en effet un chemin qui permet le retour de l’imagination à la réalité, et c’est l’art. » Sigmund Freud
« Le regard qui bat… » est une source d’apport réciproque entre des cinéastes, leurs œuvres et des psychanalystes. Une fois par mois a lieu la projection d’un film suivie d’un débat entre spectateurs, cinéastes, psychanalystes, philosophes, historiens, à Paris. Les membres de ce collectif ont eu l’extrême diligence d’autoriser Ici Beyrouth à partager un aperçu de ce que les Beyrouthins ne verront pas de sitôt, histoire de rester connectés au monde francophone occidental. Qu’ils en soient vivement remerciés.
Pour son film sélectionné à Cannes, Mathieu Amalric présente une intrigue déconstruite, jouant avec le montage et brisant les codes de temporalité avec aisance. Serre-moi fort est un message des plus puissants sur l’absence, le vide et les illusions qu’on crée pour les combler.
Résumé : C’est sur la pointe des pieds alors que la maisonnée dort, que Camille (Vicky Krieps) quitte la maison après avoir écrit un mot. La famille qui se réveille le lendemain, se prépare pour la journée. Tout ressemble à un quotidien familial typique, sauf que Camille ne revient pas et les enfants se posent des questions. De son côté, la mère de famille qui a pris la poudre d’escampette semble «voir» ce que sa famille fait, mais de loin. Le montage de scènes qui se superposent finissent par perdre le fil du temps. À un moment, on voit Camille qui revient, mais cette fois-ci c’est sa famille qui n’est plus là. Et quand ils sont là, elle leur parle comme si elle était une entité désincarnée. Tout le long du film, Camille et sa famille ne se croiseront jamais et se demanderont ce qui leur arrive. Mathieu Amalric maintient volontairement un sentiment d’incertitude et fait croire à un abandon. Mais les années passent, les enfants grandissent face à une maman qui ne prend pas une ride. S’ensuit à un moment une scène qui a lieu en montagne et où un drame se serait produit. Ceci laisse place à un renversement de situation : et si c’était eux qui étaient partis et non pas elle ?
Disparition et trauma ici se nouent, se dénouent, font silence. Vont-ils revenir ? Ils sont attendus. Pourtant, s’ils reviennent, ce sera sous la forme d’éclair, d’une flèche immense pour qu’on n’oublie plus : un tel retour du trauma est traumatique.
Nos forces psychiques servent à faire silence, construire du silence, et il ne reste plus qu’à le visiter. C’est ce que fait l’héroïne qui, arpentant en imagés ses pensées, celles qui ne peuvent être oubliées, fait le film. Elle est la caméra du metteur en scène, c’est elle qui guide le spectateur merveilleusement par sa grâce et son mystère, énigme de ce qui va revenir. Le Je se fait nous, et le nous devient ils ; eux, ils ne peuvent pas penser, ils ne font que répéter ce qui leur est arrivé avant. C’est elle qui les voit ainsi dans son activité de deuil. Où le mot «parti» veut dire mort et aussi revenir plus tard… Car le néant est méconnu de l’enfance. L’adulte, cette héroïne, à faire une fois SON deuil, sait alors que l’amour qui la porte c’est pour et par qui elle vit sa pensée, eux, ils ne pensent plus. Des forces psychiques d’amour qui s’échangeaient entre eux tous, elle est la seule qui reste et qui a ainsi construit un départ qui aurait pu être le leur. Trop surchargée de leurs forces psychiques – de «libido» – et de la sienne aussi, voilà que se déclenche la vérité, ils vont revenir tout à l’heure. En plein soleil, en plein été lorsqu’il y a la fonte des neiges dit-on, c’est en fonction du temps. Alors le futur va peut-être reprendre sa place quand même, être plus loin que le passé.
Certaines fois les disparus font signe aux vivants qu’ils ne sont pas revenus et qu’ils ne reviendront plus jamais. Plus du tout, sans sépulture. Surmonter l’insurmontable : le cinéma est là pour ça, l’héroïne aussi. Oui c’est elle qui crée le film, c’est elle qui nous dit le chemin pour tenir en tant que vivant, à vivre le plus longtemps possible pour ceux qui ne sont plus là. Le deuil, c’est autant de temps à gagner à ne pas en mourir…
« Le regard qui bat… » est une source d’apport réciproque entre des cinéastes, leurs œuvres et des psychanalystes. Une fois par mois a lieu la projection d’un film suivie d’un débat entre spectateurs, cinéastes, psychanalystes, philosophes, historiens, à Paris. Les membres de ce collectif ont eu l’extrême diligence d’autoriser Ici Beyrouth à partager un aperçu de ce que les Beyrouthins ne verront pas de sitôt, histoire de rester connectés au monde francophone occidental. Qu’ils en soient vivement remerciés.
Pour son film sélectionné à Cannes, Mathieu Amalric présente une intrigue déconstruite, jouant avec le montage et brisant les codes de temporalité avec aisance. Serre-moi fort est un message des plus puissants sur l’absence, le vide et les illusions qu’on crée pour les combler.
Résumé : C’est sur la pointe des pieds alors que la maisonnée dort, que Camille (Vicky Krieps) quitte la maison après avoir écrit un mot. La famille qui se réveille le lendemain, se prépare pour la journée. Tout ressemble à un quotidien familial typique, sauf que Camille ne revient pas et les enfants se posent des questions. De son côté, la mère de famille qui a pris la poudre d’escampette semble «voir» ce que sa famille fait, mais de loin. Le montage de scènes qui se superposent finissent par perdre le fil du temps. À un moment, on voit Camille qui revient, mais cette fois-ci c’est sa famille qui n’est plus là. Et quand ils sont là, elle leur parle comme si elle était une entité désincarnée. Tout le long du film, Camille et sa famille ne se croiseront jamais et se demanderont ce qui leur arrive. Mathieu Amalric maintient volontairement un sentiment d’incertitude et fait croire à un abandon. Mais les années passent, les enfants grandissent face à une maman qui ne prend pas une ride. S’ensuit à un moment une scène qui a lieu en montagne et où un drame se serait produit. Ceci laisse place à un renversement de situation : et si c’était eux qui étaient partis et non pas elle ?
Voici, en partage, l’avant-propos de Jean-Jacques Moscovitz
Disparition et trauma ici se nouent, se dénouent, font silence. Vont-ils revenir ? Ils sont attendus. Pourtant, s’ils reviennent, ce sera sous la forme d’éclair, d’une flèche immense pour qu’on n’oublie plus : un tel retour du trauma est traumatique.
Nos forces psychiques servent à faire silence, construire du silence, et il ne reste plus qu’à le visiter. C’est ce que fait l’héroïne qui, arpentant en imagés ses pensées, celles qui ne peuvent être oubliées, fait le film. Elle est la caméra du metteur en scène, c’est elle qui guide le spectateur merveilleusement par sa grâce et son mystère, énigme de ce qui va revenir. Le Je se fait nous, et le nous devient ils ; eux, ils ne peuvent pas penser, ils ne font que répéter ce qui leur est arrivé avant. C’est elle qui les voit ainsi dans son activité de deuil. Où le mot «parti» veut dire mort et aussi revenir plus tard… Car le néant est méconnu de l’enfance. L’adulte, cette héroïne, à faire une fois SON deuil, sait alors que l’amour qui la porte c’est pour et par qui elle vit sa pensée, eux, ils ne pensent plus. Des forces psychiques d’amour qui s’échangeaient entre eux tous, elle est la seule qui reste et qui a ainsi construit un départ qui aurait pu être le leur. Trop surchargée de leurs forces psychiques – de «libido» – et de la sienne aussi, voilà que se déclenche la vérité, ils vont revenir tout à l’heure. En plein soleil, en plein été lorsqu’il y a la fonte des neiges dit-on, c’est en fonction du temps. Alors le futur va peut-être reprendre sa place quand même, être plus loin que le passé.
Certaines fois les disparus font signe aux vivants qu’ils ne sont pas revenus et qu’ils ne reviendront plus jamais. Plus du tout, sans sépulture. Surmonter l’insurmontable : le cinéma est là pour ça, l’héroïne aussi. Oui c’est elle qui crée le film, c’est elle qui nous dit le chemin pour tenir en tant que vivant, à vivre le plus longtemps possible pour ceux qui ne sont plus là. Le deuil, c’est autant de temps à gagner à ne pas en mourir…
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