Les écosystèmes de Rola Abu Darwish
Quelques mois seulement après l’ouverture de son espace bien à elle, Zalfa Halabi, galeriste et curatrice, présente déjà une troisième exposition, Foreign Bodies, par Rola Abu Darwish. A mi-chemin entre l’abstrait et le figuratif, l’artiste propose des compositions grand format, une ode au vivant, à la coexistence des éléments et peut-être à la féminité. 

Une artiste reconvertie

Rola Abu Darwish est diplômée de l'Université libanaise, où elle a obtenu une maîtrise en Beaux-Arts en 2019. Toutefois, avant de débuter sa carrière artistique, Rola a originellement fait des études d’informatique, avant de travailler pendant sept ans dans le secteur médiatique. Passionnée par la peinture depuis toujours, en tant que hobby, l’artiste avait néanmoins «l’impression de manquer de quelque chose» et a donc décidé de quitter sa carrière pour se consacrer à la création. C’est donc déjà avec une certaine maturité que Rola pénètre dans la sphère artistique et présente aujourd’hui sa première exposition solo chez Zalfa.

Foreign Bodies 

Foreign Bodies découle de son désir de créer des œuvres qui donnent au spectateur l'impression de vivant, au-delà de la simple observation d’un espace abstrait, d’un lieu précis ou même d’un sentiment. Effectivement, il est très intéressant, parce qu’interactif et profondément subjectif, de varier la distance avec laquelle on appréhende les toiles de Rola. En se tenant à proximité, le spectateur plonge dans les détails moléculaires des textures et des formes. De loin, son regard suit des modèles et des chemins plus larges dans la composition globale de l’œuvre. Et c’est la volonté curatoriale de Rola: «Quand les gens regardent une peinture, j'aimerais qu'ils aient envie de regarder davantage, qu'ils aiment regarder. C'est pourquoi j'aime travailler avec beaucoup de détails, aller d'un endroit à l'autre. Pour que les yeux se promènent, pour qu'ils regardent vraiment autour d'eux dans un tableau». La taille (petite) de la galerie invite à faire un pas en avant, puis un autre en arrière et à créer immédiatement un écho entre les deux murs. Les toiles se répondent réellement; j’ai presque l’impression qu’elles s’attirent.



Biodiversité dans l’écosystème

Les motifs et symboles caractéristiques de l’œuvre de Rola refont surface dans cette série: des points, des taches, des tirets, des yeux, des bouches et des créatures peuplent ses toiles et ses œuvres textiles pour se rassembler dans un monde qui leur est propre, un écosystème à part entière. Dans ce monde aussi réaliste que féérique, les formes organiques humaines côtoient les petits monstres, microbes, fluides et pointillés. Le grand format renforce ce sentiment que chaque élément a sa vie, tout en étant intégré dans ce rouage, et l’attention du visiteur est divisée entre la multitude de micro-actions qui se déroulent en simultané. On a comme la certitude d’un mouvement. En outre, Zalfa m’apprend que les petites toiles accrochées sur le troisième mur étaient, elles aussi, une seule grande toile. Rola a décidé de les séparer et de les monter sur des châssis différents, bien qu’elles restent affichées côte à côte. Selon Zalfa, «ce qui fait d’une œuvre abstraite une bonne œuvre», c’est la capacité pratique de chaque parcelle à exister d’elle-même d’une part, et à transmettre le message général de l’œuvre d’autre part.




Interprétation, inspirations et influences

Dans le chaos, néanmoins harmonieux, des toiles de Rola, je peux garder une liberté d’interprétation presque totale. Zalfa me guide: «cela reste de l’art abstrait même si certains éléments sont figuratifs». Mais on ne se sent pas perdu pour autant; comment est-ce possible? L’artiste a la réponse: «C'est parce que ça vient d'une personne réelle et d'un endroit réel, c'est-à-dire moi. De plus, lorsque le spectateur le regarde, il le relie aussi à sa propre réalité. J'aime brouiller les pistes entre la réalité et ce qui n'est pas considéré comme tel. Pour moi, c'est ce qu'on peut faire dans l'art, pas vraiment ailleurs». On a donc quelque chose d’inconscient auquel se raccrocher, et c’est la personnalité, la féminité, la maternité et la force de Rola qui ressortent dans son travail. L’artiste est très inspirée par des figures féminines fortes. Les mondes subtils de l’artiste japonaise Yayoi Kusama l’influencent; moins en termes plastiques que conceptuels, comme le fait d’avoir des motifs qui reviennent et connectent les toiles entre elles. Quant à Louise Bourgeois, on reconnaît son obscurité. En somme, Rola se nourrit plus d’artistes précis que d’un courant ou même d’un mouvement, ce qui fait de son travail un ensemble réellement personnel.

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Article rédigé par Léa Samara

Article publié initialement sur l'Agenda Culturel https://www.agendaculturel.com/article/les-ecosystemes-de-rola-abu-darwish

 
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