Du 25 juin au 4 septembre 2022, le Museo delle Trame Mediterranee et la Fondazione Orestiadi accueillent en leurs cimaises à Gibellina et à Palerme deux expositions de photographies de l’artiste libanaise Houda Kassatly, sur deux villes de la Méditerranée détruites par les hommes. Cette double exposition muséale en Sicile est entièrement partie du Liban et porte un message fort au monde.
Beyrouth
Présentée dans l’espace de la Fondation à Gibellina, l’exposition retrace, à travers 44 photographies de 1990 à 2022, l’histoire récente de la capitale libanaise, de la fin de la guerre civile au lendemain de l’explosion du 4 août 2020.
Un héritage, une guerre (salle 1)
Dans L’Orient-Le Jour du 28 décembre 1994, Joseph Tarrab, critique d’art, écrit:
Armée d’un appareil reflex et d’un jeu d’objectifs à longues et courtes focales, Houda Kassatly, qui a grandi non loin de la ligne de démarcation à Beyrouth, a entrepris, entre 1990 et 1992, de fixer sur pellicules les anciennes maisons libanaises de la périphérie du centre-ville, à l’Est comme à l’Ouest. Non point par esprit documentaire (mais beaucoup de ses photos sont devenues des documents à leur corps défendant pour ainsi dire, à cause des massives destructions que l’on sait), ni même par nostalgie ou par tendresse pour une ville chavirée qu’elle n’a ni vraiment connue ni vraiment aimée, mais par attrait irrésistible pour les beautés de ces bâtisses patriciennes, bourgeoises ou populaires. Beautés ravagées par la guerre ou par le temps, par commission ou par omission, par la vie telle qu’elle transforme les choses et les dégrade pour peu que les hommes soient un peu négligents ou ne soient plus conscients de la valeur historique, architecturale, sociale, culturelle et humaine de leur habitat, étant obnubilés par sa valeur mercantile.
Elle a agi en quelque sorte en pilleuse d’épaves ou en sauveuse de beaux restes.
Ce faisant, elle nous permet, malgré nous, puisque nous n’avons pas su les préserver, au moins de mémoire garder. Pour cela, il fallait avoir l’œil, et le bon. Mais aussi la ténacité et la patience systématiques de l’anthropologue qu’elle est de surcroît et la passion de l’artiste qu’elle a appris à devenir.
Iconographie d’une absence (salle 2)
Négligeant ces bâtisses d’un autre temps et tournés vers la promesse d’un avenir confortable, les Beyrouthins sont, à l’aube du nouveau millénaire, plus préoccupés par la reconstruction du centre-ville de leur capitale que par la désintégration rampante des institutions de l’État, ou par la persévération de leur patrimoine. À grands coups de pelleteuses et d’éblouissantes campagnes médiatiques, le cœur de la ville émerge avec ses places et avenues, ses commerces et bureaux, sous les lumières chatoyantes des réverbères flambants et neufs. Dans les quartiers résidentiels voisins, des maisons anciennes, dégradées ou abandonnées, se laissent envahir par la nature; arbres et lierres investissent ces vestiges cachés et les transforment, au gré des saisons, en jardins sauvages et privés, avant de devenir de vulgaires biens de spéculations financières.
Fastes et dévastations (salle 3)
En janvier 2012, la destruction massive des maisons anciennes de Beyrouth se poursuit. Houda Kassatly écrit:
La disparition de l’ancien tissu urbain est un fait réel et non un fait supposé. Il est désormais illusoire de croire que le rouleau compresseur de la modernité et des promoteurs immobiliers pourra être arrêté. On pourra tout au plus suspendre pour un moment et retarder le processus de destruction désormais irréversible ou préserver quelques îlots «patrimoniaux» pastiches d’une architecture révolue, mais il est évident que tout un savoir-faire est désormais voué à une disparition inéluctable.
Elle renchérit:
Dans cette maison qui sera bientôt livrée aux démolisseurs, les anciens habitants abandonnent un pan de leur passé: des meubles qui ne siéent pas au genre et à la taille des nouveaux appartements qu’ils vont habiter, des photographies ou de vieux papiers qui ne leur sont plus nécessaires…
Lumières et couleurs (salle 4)
Avec les photographies des portes, fenêtres et arcades réalisées avant ou après la double explosion du 4 août 2020, Houda Kassatly donne à voir des éléments architecturaux décoratifs et riches en couleur. Lorsqu’elles sont traversées par la lumière du jour, ces portes, fenêtres et arcades renvoient de chatoyants reflets colorés, magnifiant le quotidien des habitants, consacrant leur attachement au patrimoine dévasté, particulièrement après l’apocalyptique soirée de l’été 2020. Un attachement incarné, durant les travaux de restauration, par la ferme volonté des habitants de voir rétablir les verres de couleur, dans le plus grand respect de la tradition, et, peut-être, en signe d’espoir dans l’avenir.
Alep
L’exposition de onze photographies et le film Revoir le Bimaristan Argoun* sont présentés à la fondation Sant’Elia à Palerme.
En 2018, Houda Kassatly réalise, pour l’Unesco, un travail photographique sur l’ancienne ville d’Alep, détruite par sept années de guerre en Syrie. Née à Beyrouth, la ville de son père, l’artiste est habitée par la ville de sa mère, Alep. Ces photographies ainsi que le film qu’elle réalise sont un témoignage sans concession sur le pouvoir de l’homme destructeur, sur la grandeur de l’homme bâtisseur. Ce corpus photographique est à l’origine du film suivant.
Après dix ans de guerre dans son pays d’origine, la Syrie, la réalisatrice revient sur les pas de sa famille à Alep. Elle déambule de quartiers épargnés en quartiers aux maisons béantes. Des frises, des rosaces, des frontons de portes en dentelle de pierre témoignent encore du raffinement passé de grandes demeures ouvertes à tout vent et totalement vides. L’intérieur sauvegardé du Bimaristan Arghoun réchauffe le cœur de la cinéaste; cet hôpital du XIVe, le plus vieux du monde, est le symbole d’un âge plus humaniste. Quelques bruits et lueurs dans les souks noircis par le feu: la vie reprend. La reconstruction de la grande mosquée des Omeyyades, financée par les Tchétchènes, est en œuvre... Ethnologue, la cinéaste s’inquiète du futur visage d’Alep.
* Revoir le Bimaristan Argoun, film réalisé par Houda Kassatly en 2021, 22 minutes, français avec sous-titrages anglais.
Alice Mogabgab Gallery
email: [email protected]
Téléphone: +9613210424
Beyrouth
Présentée dans l’espace de la Fondation à Gibellina, l’exposition retrace, à travers 44 photographies de 1990 à 2022, l’histoire récente de la capitale libanaise, de la fin de la guerre civile au lendemain de l’explosion du 4 août 2020.
Un héritage, une guerre (salle 1)
Dans L’Orient-Le Jour du 28 décembre 1994, Joseph Tarrab, critique d’art, écrit:
Armée d’un appareil reflex et d’un jeu d’objectifs à longues et courtes focales, Houda Kassatly, qui a grandi non loin de la ligne de démarcation à Beyrouth, a entrepris, entre 1990 et 1992, de fixer sur pellicules les anciennes maisons libanaises de la périphérie du centre-ville, à l’Est comme à l’Ouest. Non point par esprit documentaire (mais beaucoup de ses photos sont devenues des documents à leur corps défendant pour ainsi dire, à cause des massives destructions que l’on sait), ni même par nostalgie ou par tendresse pour une ville chavirée qu’elle n’a ni vraiment connue ni vraiment aimée, mais par attrait irrésistible pour les beautés de ces bâtisses patriciennes, bourgeoises ou populaires. Beautés ravagées par la guerre ou par le temps, par commission ou par omission, par la vie telle qu’elle transforme les choses et les dégrade pour peu que les hommes soient un peu négligents ou ne soient plus conscients de la valeur historique, architecturale, sociale, culturelle et humaine de leur habitat, étant obnubilés par sa valeur mercantile.
Elle a agi en quelque sorte en pilleuse d’épaves ou en sauveuse de beaux restes.
Ce faisant, elle nous permet, malgré nous, puisque nous n’avons pas su les préserver, au moins de mémoire garder. Pour cela, il fallait avoir l’œil, et le bon. Mais aussi la ténacité et la patience systématiques de l’anthropologue qu’elle est de surcroît et la passion de l’artiste qu’elle a appris à devenir.
Iconographie d’une absence (salle 2)
Négligeant ces bâtisses d’un autre temps et tournés vers la promesse d’un avenir confortable, les Beyrouthins sont, à l’aube du nouveau millénaire, plus préoccupés par la reconstruction du centre-ville de leur capitale que par la désintégration rampante des institutions de l’État, ou par la persévération de leur patrimoine. À grands coups de pelleteuses et d’éblouissantes campagnes médiatiques, le cœur de la ville émerge avec ses places et avenues, ses commerces et bureaux, sous les lumières chatoyantes des réverbères flambants et neufs. Dans les quartiers résidentiels voisins, des maisons anciennes, dégradées ou abandonnées, se laissent envahir par la nature; arbres et lierres investissent ces vestiges cachés et les transforment, au gré des saisons, en jardins sauvages et privés, avant de devenir de vulgaires biens de spéculations financières.
Fastes et dévastations (salle 3)
En janvier 2012, la destruction massive des maisons anciennes de Beyrouth se poursuit. Houda Kassatly écrit:
La disparition de l’ancien tissu urbain est un fait réel et non un fait supposé. Il est désormais illusoire de croire que le rouleau compresseur de la modernité et des promoteurs immobiliers pourra être arrêté. On pourra tout au plus suspendre pour un moment et retarder le processus de destruction désormais irréversible ou préserver quelques îlots «patrimoniaux» pastiches d’une architecture révolue, mais il est évident que tout un savoir-faire est désormais voué à une disparition inéluctable.
Elle renchérit:
Dans cette maison qui sera bientôt livrée aux démolisseurs, les anciens habitants abandonnent un pan de leur passé: des meubles qui ne siéent pas au genre et à la taille des nouveaux appartements qu’ils vont habiter, des photographies ou de vieux papiers qui ne leur sont plus nécessaires…
Lumières et couleurs (salle 4)
Avec les photographies des portes, fenêtres et arcades réalisées avant ou après la double explosion du 4 août 2020, Houda Kassatly donne à voir des éléments architecturaux décoratifs et riches en couleur. Lorsqu’elles sont traversées par la lumière du jour, ces portes, fenêtres et arcades renvoient de chatoyants reflets colorés, magnifiant le quotidien des habitants, consacrant leur attachement au patrimoine dévasté, particulièrement après l’apocalyptique soirée de l’été 2020. Un attachement incarné, durant les travaux de restauration, par la ferme volonté des habitants de voir rétablir les verres de couleur, dans le plus grand respect de la tradition, et, peut-être, en signe d’espoir dans l’avenir.
Alep
L’exposition de onze photographies et le film Revoir le Bimaristan Argoun* sont présentés à la fondation Sant’Elia à Palerme.
En 2018, Houda Kassatly réalise, pour l’Unesco, un travail photographique sur l’ancienne ville d’Alep, détruite par sept années de guerre en Syrie. Née à Beyrouth, la ville de son père, l’artiste est habitée par la ville de sa mère, Alep. Ces photographies ainsi que le film qu’elle réalise sont un témoignage sans concession sur le pouvoir de l’homme destructeur, sur la grandeur de l’homme bâtisseur. Ce corpus photographique est à l’origine du film suivant.
Après dix ans de guerre dans son pays d’origine, la Syrie, la réalisatrice revient sur les pas de sa famille à Alep. Elle déambule de quartiers épargnés en quartiers aux maisons béantes. Des frises, des rosaces, des frontons de portes en dentelle de pierre témoignent encore du raffinement passé de grandes demeures ouvertes à tout vent et totalement vides. L’intérieur sauvegardé du Bimaristan Arghoun réchauffe le cœur de la cinéaste; cet hôpital du XIVe, le plus vieux du monde, est le symbole d’un âge plus humaniste. Quelques bruits et lueurs dans les souks noircis par le feu: la vie reprend. La reconstruction de la grande mosquée des Omeyyades, financée par les Tchétchènes, est en œuvre... Ethnologue, la cinéaste s’inquiète du futur visage d’Alep.
* Revoir le Bimaristan Argoun, film réalisé par Houda Kassatly en 2021, 22 minutes, français avec sous-titrages anglais.
Alice Mogabgab Gallery
email: [email protected]
Téléphone: +9613210424
Lire aussi
Commentaires