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Le Liban s’enlise dans un chaos de plus en plus insupportable, en partie en raison de la négligence persistante de l’éducation musicale. Pourtant, la musique pourrait offrir une voie certaine vers la paix et surtout l’harmonie.

Il est nécessaire de rétablir nos liens avec l’Ouest, affirme l’un, désespéré; il est impératif de se tourner vers l’Est, martèle l’autre, en agitant l’index. Pour les patriotes, le salut du Liban passe inévitablement par l’adoption d’une neutralité stricte; pour les fanatiques, la (prétendue) force du pays se trouverait dans son implication dans tout conflit possible et imaginable. Pour les souverainistes, le Liban est un pays-message à défendre; pour les obscurantistes, il ne serait qu’une erreur historique, digne d’être sacrifiée sur l’autel des intérêts d’autrui. Au pays du Cèdre, il y a donc les uns et les autres. Tous sont libanais, et pourtant chacun vit replié dans sa propre tribu. Ils se lancent, tour à tour, des leçons de morale, de principes et de patriotisme, sans jamais prêter oreille aux voix divergentes. Aucune trêve. Aucun répit. La cacophonie demeure incessante et le chaos désormais insupportable. Tels sont les maîtres mots qui dépeignent, avec justesse, la réalité amère au Liban. Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette dissonance semble découler de la négligence persistante de l’éducation musicale.

Musique et paix

Qui sème la musique récolte la paix. On l’a déjà dit à maintes reprises, mais il serait utile de le répéter dans un pays qui adopte fâcheusement la politique de l’autruche et de la sourde oreille. La musique offre un moyen d’expression non verbal qui permet de gérer les émotions de manière constructive. Dans les sociétés où l’éducation musicale est valorisée et intégrée dès le jeune âge, les enfants apprennent à exprimer leurs sentiments à travers la musique plutôt qu’à travers des comportements agressifs ou conflictuels. Cet art engendre, en effet, l’activation d’un réseau cérébral complexe associé à la récompense et au plaisir, par le biais de la sécrétion de divers neurotransmetteurs, notamment la dopamine, dite "hormone du plaisir". En mettant en avant la musique comme un outil fondamental d’expression et de gestion émotionnelle, on peut espérer engendrer une culture de compréhension et de paix, afin de contrer les dynamiques de confrontation et de division.

Diversité culturelle

La musique constitue, par ailleurs, un puissant vecteur de diffusion de la diversité culturelle. En encourageant l’étude et la pratique de musiques provenant de diverses traditions, les sociétés favorisent une meilleure compréhension interculturelle. Ce processus contribue non seulement à l’enrichissement personnel et collectif, mais joue également un rôle crucial dans la réduction des préjugés et des malentendus. Et quel autre pays que le Liban pourrait mieux incarner cette diversité? Ce dernier possède, en fait, quatre patrimoines musicaux non-commerciaux: le patrimoine musical traditionnel populaire monodique modal libanais, le patrimoine musical traditionnel artistique monodique modal levantin, le patrimoine musical lié à la musique savante occidentale, le patrimoine musical libanais issu d’expériences de métissage avec les musiques du monde (dont le jazz), sans être catalogué commercial. Par le biais de la musique, les individus sont amenés à découvrir l’autre et à apprécier les nuances des cultures différentes. Cette ouverture d’esprit permet ainsi de développer une empathie, ce qui aide à atténuer les tensions et à construire des relations plus respectueuses et coopératives.

Sentiment d’appartenance

Les pratiques musicales collectives, telles que les chorales, les orchestres ou les ensembles de musique de chambre, nécessitent une coopération étroite entre les musiciens. En travaillant ensemble pour atteindre un objectif musical commun, ces derniers développent des compétences de collaboration, d’écoute mutuelle et d’adaptation. Ces qualités se révèlent également pertinentes dans d’autres domaines de la vie sociale, contribuant à favoriser des interactions plus respectueuses et harmonieuses. De surcroît, l’engagement collectif dans la création artistique renforce le sentiment d’appartenance et la solidarité entre les participants. Au sein d’un orchestre, il n’y a ni majorité ni minorité, ni fort ni faible, ni prééminence ni subordination; chaque membre est appelé à mettre la main à la pâte au service de l’harmonie collective.

Le Boléro de Maurice Ravel (1875-1937) en est un exemple particulièrement illustratif. Une même mélodie se déploie de manière répétitive tout au long de l’œuvre. Dès le début, certains instruments établissent des motifs simples et récurrents, tandis que d’autres introduisent des nuances et des variations au fil de la pièce. Le résultat est une accumulation harmonieuse et cohérente où chaque instrument, bien que jouant à des degrés variés, participe à la création de la texture sonore finale. Ce modèle coopératif devrait servir d’exemple pour une vision plus équilibrée et équitable dans les processus décisionnels politiques et sociaux, et favoriser ainsi une approche plus inclusive et attentive aux besoins communs.

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