Les acteurs locaux hésitent. Doivent-ils prendre le FMI (Fonds monétaire international) à la lettre et donc exécuter ses préceptes? Ou le refuser, sélectivement, ou même en bloc? Le Hezbollah, qui y voyait la main de Washington, se montre maintenant plus discret, voyant peut-être que certaines des mesures annoncées par le négociateur en chef Saadé Chami servent ses intérêts, dont l’affaiblissement du secteur bancaire. D’autres, parmi les forces politiques, gardent un œil distrait sur les propositions lancées par le gouvernement ‘’en conformité avec les demandes du FMI’’, en jaugeant aussi chacune d’elles à la lumière de leurs intérêts. Dans ce magma, essayons de démêler la pelote de laine pour y voir plus clair dans la masse des idées, justes ou inventées, imputées au FMI, en dix points:

1- Il est vrai que le FMI n’a pas une baguette magique. Et il ne peut à lui seul sauver le pays. Si les acteurs économiques n’adhèrent pas à la stratégie annoncée, il y a peu de chance que les mesures envisagées aboutissent. Car ce sont les privés (tous secteurs confondus, y compris les banques) qui font l’économie et qui peuvent la relancer, ou pas. Or ces acteurs ne semblent pas faire confiance entièrement ni au plan de sauvetage proposé, ni au négociateur en chef. Pire, ils sont mis à l’écart des négociations. Non seulement ils n’y participent pas mais, de plus, on ne leur dit pas ce qui s’y passe.

2- Le FMI n’a pas toujours réussi à sauver les pays en crise. La littérature regorge de critiques à cet égard. Certains ont suivi ses préceptes et ont réussi, d’autres non. Certains ont refusé ses recettes et ont maîtrisé la situation. Dans leurs crises respectives, le Chili a suivi le FMI et connut un essor continue; la Malaisie a refusé de suivre les conseils du FMI et s’en est bien tirée; la Corée du Sud a été sélective et a connu une croissance fulgurante; l’Argentine a suivi à la lettre les recommandations du FMI et pourtant elle a enchaîné les crises…

3- Le FMI n’a pas de formule unique, mais des concepts généraux à adapter selon les pays. Ce qui est une bonne chose. Sauf que, dans notre cas, cette ‘souplesse’ est en passe de devenir un handicap. Mettre un terme aux actions destructrices du Hezbollah, qui assèchent le pays de ses ressources, n’est pas mentionné dans l’accord, ni dans les propos de Saadé Chami. C’est comme si le FMI se résignait à cohabiter avec cet élément néfaste. Idem pour la corruption, on n’a rien fait jusqu’à présent pour la réduire, et pourtant elle semble être reléguée au second plan, et le FMI semble là aussi s’y résigner.

4- Vu l’opacité suspecte de nos politiciens, et au-delà du texte de l’accord préliminaire d’avril dernier, on ne sait pas ce que le FMI impose vraiment, et ce que Saadé Chami prétend que le FMI impose. Une série de lois (secret bancaire, contrôle des capitaux…) figurent bien dans l’accord. Mais est-ce que les détails de ces projets de lois ont été imposés tels quels par le FMI, ou laissés à l’appréciation intéressée des forces politiques? Saadé Chami insiste sur le fait que tous les détails sont scrutés et arrêtés avec le FMI, mais on n’a pas une confirmation de ces propos.

5- Parmi les préceptes les plus fréquents du FMI, on note la nécessité de réduire le train de vie de l’État. Or rien n’a été fait ou même proposé de ce côté-là. On continue de gaspiller à tour de bras, avec des dizaines de milliers de fonctionnaires superflus, et des dizaines d’organismes fantômes.

6- Une autre recommandation du FMI a toujours été de privatiser autant que possible, nuancée plus tard pour devenir privatisation sélective et/ou gestion privée des actifs publics. Or, justement, on ne sait pas si le FMI interdit maintenant le recours à un fonds de gestion des actifs de l’État, comme réclamé par le secteur privé, ou ce sont les politiques qui n’en veulent pas pour pouvoir continuer à piller ces actifs… et le FMI de se résigner à les laisser faire.

7- Le FMI préconise toujours de mobiliser les investissements, locaux et étrangers, pour relancer l’économie. Le pouvoir se comporte comme si cela ne l’intéressait pas. Il préfère de loin dépendre des aides extérieures. Pour lui, les locaux (acteurs économiques, banques, déposants) sont des ennemis potentiels. Un désamour mutuel qui règne depuis toujours et qui se corse. Et il n’y a pas encore l’ombre de volonté des investisseurs à placer un sou dans le pays, grâce aux agissements du pouvoir, y compris ses plans de mettre la main sur les dépôts.

8- Dans le cadre des prêts qu’il accorde, le FMI est supposé garantir la bonne utilisation des fonds alloués. Or rien n’indique jusqu’à maintenant que la classe dirigeante a changé de cap ou sera contrainte par le FMI à le faire. La contrebande, l’économie parallèle… se perpétuent tranquillement.

9- Au moins tout le monde est d’accord sur un point: la confiance est la clé de voûte de la relance. Economistes, ambassadeurs, donateurs… sont persuadés qu’un accord avec le FMI rétablira cette confiance. Saadé Chami y ajoute les réformes que le gouvernement propose. Or on tend à détourner l’attention du vrai problème: ce n’est pas dans le système que les Libanais n’ont pas confiance, mais dans les dirigeants.  Si ce sont les mêmes qui vont continuer à détenir les rênes du pouvoir, la confiance ne sera pas au rendez-vous.

10- Sur le plan fiscal, le FMI n’exige pas nécessairement des hausses d’impôts, mais au moins d’augmenter les recettes en élargissant l’assiette fiscale. Il semble vouloir ignorer là aussi que des contrées géographiques entières du territoire national échappent à cet impératif et ne paient jamais rien, sans que le pouvoir, et le FMI, ne s’en émeuvent.

Bref, on fait tout pour que le plat FMI soit mangé à la sauce libanaise, en misant sur l’espoir que les donateurs vont, encore une fois, nous croire sur parole.

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