Un vent souffle sur les principales banques centrales du monde. Elles se hâtent à relever leurs taux d’intérêt à des niveaux qu’on n’a pas vus depuis longtemps. Qu’est-ce qui leur a donc pris de chambouler ainsi les marchés financiers? Et quelles conséquences espèrent-elles?

Le taux d’intérêt est le montant qu’un emprunteur doit payer à un prêteur et qui correspond à un pourcentage du montant prêté. C’est la définition simple, mais les choses sont beaucoup plus profondes. Le taux d’intérêt nous donne aussi une idée du risque dans un pays donné. Si le taux d’intérêt dans un pays est trop élevé, on peut déduire que l’investissement dans ce pays est risqué. Les prêteurs et les emprunteurs risquent leur argent, mais en espérant une meilleure rentabilité.

Qui tire les ficelles?

La Banque centrale est l’autorité principale qui détermine la politique monétaire d’un pays, y compris le taux d’intérêt. L’objectif est d’assurer la stabilité des prix et la liquidité, et de contenir l’inflation. Quand les banques centrales baissent les taux d’intérêt, elles encouragent l’emprunt et essaient de relancer l’économie en stimulant la demande des consommateurs et des investisseurs. C’est ce qui s’est passé au moins depuis la crise de 2007-2008.

À l’inverse, lorsque la Banque centrale fixe le taux d’intérêt à un niveau élevé, le coût de la dette augmente. Cela décourage les gens d’emprunter, ils auront donc moins d’argent à leur disposition, ce qui ralentit leur consommation. Et lorsque leur consommation diminue, les prix auront tendance à diminuer aussi, toute chose égale par ailleurs, et l’inflation sera jugulée. Or justement, l’inflation monte dans les pays développés à des niveaux records, depuis la guerre en Ukraine, frôlant les 8-9%, ce qui met toute l’économie des pays concernés en situation de risque.

Une hausse des taux d’intérêt est donc, par ricochet, un appel à l’épargne. On leur dit: consommez moins, déposez plutôt votre argent dans les banques, ça vous rapportera des intérêts substantiels. En plus, tout est cher maintenant, ce n’est pas le moment de faire des folies de consommation.

Les effets secondaires

Cependant, il y va des taux d’intérêt comme pour les médicaments. Ils peuvent être un remède pour une ‘affection’ financière, mais ils ont aussi leurs effets secondaires. Dont, par exemple, l’effet sur les entreprises et la bourse. Avec des taux d’intérêt élevés, les investisseurs devront réfléchir à deux fois avant d’emprunter. Le coût de faire des affaires augmente. Au fil du temps, des coûts plus élevés et moins d’affaires pourraient signifier une baisse des revenus pour les entreprises, ce qui pourrait avoir un impact sur leur taux de croissance et la valeur de leurs actions.

Un autre effet secondaire touche les obligations, ces instruments de dette que les États, et parfois les entreprises, émettent, en offrant aux acheteurs des rendements fixes. Lorsque le taux d’intérêt augmente, les prix du marché des obligations existantes baissent immédiatement, car leur rendement fixe sera inférieur au nouveau taux d’intérêt.

Les nuances de gris

Mais comme rien n’est blanc et noir dans l’économie, qui n’est pas une science exacte, le débat sur le niveau optimal du taux d’intérêt a toujours existé parmi les théoriciens de la chose. Le célèbre économiste John Maynard Keynes, et ses disciples Joseph Stiglitz et Paul Krugman, ont longtemps applaudi à la baisse du taux d’intérêt. Les idées de Keynes et de ses disciples font aujourd’hui partie du ‘mainstream’, c’est-à-dire les idées généralement acceptées dans les milieux académiques.

Au cœur de la théorie keynésienne figure cette notion que l’épargne est nuisible pour l’économie. Quand les gens épargnent plus, ils consomment moins et la production diminue ipso facto. D’après cette logique, les crises économiques ont lieu parce que les gens ne consomment pas assez, et un taux d’intérêt élevé provoque la baisse de la consommation et le chômage. En revanche, la baisse du taux d’intérêt incite les entrepreneurs à investir davantage, ce qui va augmenter le nombre d’emplois. Les employés recevront un revenu qu’ils dépenseront pour acheter des biens et services. L’argent dépensé fait tourner la machine et engendre la croissance.

Mais tout le monde ne partage pas cet optimisme. Mario Keyrouz, analyste financier diplômé de l’Université Rey Juan Carlos de Madrid, explique les défaillances de l’orthodoxie keynésienne. D’après lui, le fait que les gens épargnent davantage implique qu’ils sont en train de préférer le futur au présent. Avec cette épargne pléthorique, le taux d’intérêt va finir par diminuer. Or la baisse du taux d’intérêt crée l’illusion de la croissance alors qu’en fait elle assure une mauvaise allocation des ressources de la société. Vrai, les entrepreneurs s’engageront dans de nouveaux projets, sauf que les ressources pour accomplir ces projets auront tendance à tarir.