Le taux de change du dollar par rapport à la livre libanaise oscille depuis quelques semaines dans une fourchette allant de 30.500 LL à 31.000 LL pour un dollar sur le marché parallèle et a dépassé vendredi la barre des 32.000 livres. Selon les lois économiques et financières, le taux du billet vert aurait dû pourtant chuter avec l’injection sur le marché local de dollars provenant des expatriés. Qu’est-ce qui justifie cette hausse continue?

Pour Nassib Ghobril, économiste en chef de la Byblos Bank, le taux de change sur le marché parallèle fluctue parce qu’il s’agit d’un "marché illégal qui n’est pas transparent". Comme ce marché n’est pas régi par des lois, les spéculateurs ont une marge de manœuvre importante pour manipuler le taux de change à leur guise, en fonction de leurs intérêts. L’économiste exclut un impact quelconque de la fermeture des banques, lundi et mardi, sur le taux de change. “Il existe des gens qui aiment accuser les banques de tous les maux du pays”, lance-t-il.

Pour Fouad Zmokhol, doyen de la faculté de gestion et de management à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et président du Mouvement international des chefs d’entreprises libanais (MIDEL), il est très difficile de commenter techniquement les fluctuations de dollar, en fonction notamment des applications qui déterminent le taux de change. Pour lui, ces plateformes sont "des jouets aux mains de politiciens et d’individus au Liban et dans la région". "Nous ne savons toujours pas qui les gère, qui les suit et de quelle façon elles fonctionnent. Elles n’ont rien de scientifique, de rationnel, d’économique et de monétaire", confie-t-il à Ici Beyrouth. C’est d’ailleurs pour cette raison que comme Nassib Ghobril, il considère que l’injection de dollars sur le marché par les expatriés n’a pas eu d’impact sur le taux de change.

M. Zmokhol rappelle qu’en novembre 2021, quand la plateforme Sayrafa a vu le jour et que la Banque du Liban avait commencé à fournir des dollars au marché pour faire baisser le taux du billet vert sur le réseau parallèle, celui-ci n’avait de cesse d’augmenter et avait même atteint les 33.000 LL pour un dollar. “Ce qui est illogique et contraire à toutes les lois de l’offre et de la demande. Le plus grand bond de 10.000 LL s’est produit en quelques jours pendant que la BDL injectait des dollars", poursuit-il.

L’écart entre Sayrafa et le marché libre

L’économiste est certain que ceux qui sont derrière ces fluctuations ont pour objectif de créer un écart entre Sayrafa et le marché libre. Plus le taux du marché parallèle augmente, plus les spéculateurs engendrent des gains monumentaux, explique-t-il. Ils achètent le billet vert au taux de la plateforme Sayrafa à 26.100 LL pour un dollar (jeudi) et le revendent au taux du marché parallèle à environ 30.600 LL (jeudi), ce qui leur fait un gain d’environ 4.500 LL par dollar. Aujourd’hui, les plateformes ont donc tout intérêt à augmenter ce cours pour que les gens vendent leurs dollars. Les expatriés qui sont de passage au Liban ont ainsi l’impression que leur pouvoir d’achat augmente, donc ils vendent plus de dollars. Les manipulateurs des plateformes profitent de ce phénomène pour récupérer un maximum de dollars des expatriés et réaliser des gains énormes.

Fouad Zmokhol insiste sur un point selon lequel "des mains noires gèrent ces plateformes". "L’objectif, estime-t-il, est de pomper les dollars des expatriés en relevant le taux de change sur le marché parallèle, sans se diriger vers Sayrafa pour les opérations de vente. Parce qu’à travers Sayrafa, l’argent reste dans le circuit légal".

Il convient de noter que la plateforme Sayrafa de la BDL a accru les conditions d’achat de dollars par les commerçants. Ces derniers doivent désormais présenter beaucoup plus de détails et de documents, que la Banque du Liban examine avant de donner ou non son accord. Elle a également mis un plafond de 500 dollars par mois pour les particuliers selon la circulaire 161.