Le Liban officiel a fait comprendre à la communauté internationale qu’il ne peut plus supporter cet afflux massif de réfugiés syriens. Le plan gouvernemental consiste à ramener 15 000 Syriens dans leur pays tous les mois. C’est compréhensible, d’autant que notre pays est en crise économique depuis trois ans. Les séquelles économiques, sociales et politiques ont empiré, rendant insupportable cette présence, arguent les autorités.

Tout ceci est bien entendu légitime. Mais, comme d’habitude, notre incompétence légendaire nous empêche de convaincre la communauté internationale du bien-fondé de notre position, surtout que les normes et conventions internationales jouent contre nous.

Économiquement, il est difficile de scruter les détails des pertes (et des profits) liées à la présence syrienne au Liban. Difficile mais pas impossible, si l’on se donne les moyens. Or les statistiques officielles sont rares et peu précises, malgré les centaines de fonctionnaires qui ont été recrutés à cet effet. Alors, tout un chacun parmi nos responsables s’amuse à ajouter des milliards de dollars par-ci ou des centaines de milliers de réfugiés par-là, croyant aligner des arguments infaillibles. Peine perdue, personne n’est dupe, et personne ne croit plus à la parole officielle libanaise depuis longtemps.

Bilan de pertes et profits

L’une des rares études sur les pertes et profits liés à la présence syrienne a été publiée par Infopro en 2018 (et dirigée à l’époque par l’auteur de ces lignes). Alors, pour mettre quelques points sur quelques i, voyons ce qu’on peut tirer des 237 pages de cette étude, sortie en livre et distribuée aux responsables à l’époque, mais que personne n’a lue.

D’abord, pour chacun des secteurs étudiés, il y a un côté pertes, et un autre profits. Pour l’immobilier, par exemple, l’activité générale s’est tassée depuis 2012, mais les Syriens plus ou moins fortunés ont acheté ou loué des appartements par milliers. Pour la main d’œuvre, la concurrence avec la libanaise s’est corsée, mais les professionnels de la construction, de l’industrie et de quelques services en ont profité pour réduire leurs coûts. L’éducation publique a souffert, mais des milliers d’instituteurs, payés par des organismes internationaux, ont été recrutés pour assurer des cours aux enfants syriens l’après-midi. Puis les aides internationales, à hauteur de 1 milliard de dollars tous les ans en moyenne, s’ajoutent aux profits.

Le bilan reste quand même négatif: selon l’étude, en moyenne 1,5 milliard de dollars de pertes par an depuis 2012 et jusqu’en 2018 ont été enregistrées. C’est énorme, mais on est encore loin des élucubrations de nos dirigeants.

La faute aux autres

Ensuite, on a tendance au Liban à mettre tous nos maux depuis 2011 sur le dos des réfugiés syriens. Une façon pour les responsables de se disculper. Or ce n’est pas le cas. Rappelons que cette décennie était jalonnée par des crises politiques continues provoquées par le Hezbollah et ses alliés, dont une vacance de la présidence pendant 30 mois. Une source de perte persistante et colossale. Pour arriver enfin à la débâcle fin 2019, qu’aucun rapport international n’attribue à la présence syrienne; au pire, on mentionnait que c’était un élément aggravant.

L’étude en question, qui s’arrête donc en 2018, gagne à être mise à jour, car l’extension simple n’est pas valable. Beaucoup de données sur le terrain (mais pas toutes) ont changé. En pire. C’est que depuis 2020, s’y est ajoutée la contrebande massive vers la Syrie, profitant de cette absurdité de subventions sur les produits. Une pratique qui dure encore, avec la complicité active de cette milice qui contrôle les frontières, mais aussi des ministères concernés, et de quelques commerçants.

Ceci dit, un allègement de la présence syrienne reste une bonne initiative. On dit allègement car, rappelle-t-on, les ouvriers syriens, permanents ou saisonniers, ont toujours été sur le marché du travail au Liban, principalement dans l’agriculture et la construction. En attendant, et parallèlement à cet effort nébuleux de refoulement, le plus logique est d’essayer de minimiser les sources de pertes, et de maximiser les sources de profits. La Turquie a su trouver quelques astuces qui ont servi son économie. On les entend rarement se plaindre du poids des réfugiés. Il faut dire que c’est une spécialité étatique libanaise de jeter la faute sur autrui. Cela demande moins d’effort intellectuel qu’une stratégie bien pensée, et leur QI, déjà faible, n’est point sollicité.