Les commissions parlementaires ont entamé mardi à 11h, l’examen d’un projet de loi sur le contrôle des capitaux, un texte qui divise, pour deux raisons principales : D’abord parce qu’il ne s’inscrit pas dans le cadre d’un plan sérieux et transparent de réformes. Un contrôle des capitaux, qui arrive en retard, près de trois ans après le début la crise financière au Liban, doit impérativement aller de pair avec le vote d’une série d’autres mesures à caractère financier et leur intégration au plan global de redressement économique.  Ensuite parce qu’il associe le pouvoir politique à la prise de décisions au niveau des mesures qui touchent directement les déposants, ce qui risque d’ouvrir la voie à l’arbitraire, quand on sait que, trois ans après la crise inédite que vit le Liban, c’est le " business as usual " qui continue de régir la gestion des affaires publiques.

La dernière mouture du projet de loi, amendée en commission des Finances et du Budget, donne des prérogatives extensives à une commission ad hoc – formée du Premier ministre, des ministres des Finances et de l’Économie et du gouverneur de la Banque centrale – qui lui permettent d’accepter ou de refuser l’ouverture d’un nouveau compte bancaire, d’une lettre de crédit, le dépôt d’un chèque, le transfert d’argent, que ce transfert soit en faveur d’un commerçant ou d’un individu. A travers cette commission, on a voulu ainsi limiter le rôle du gouverneur de la BDL – mesure souhaitée notamment par le camp présidentiel qui cherche à se débarrasser de Riad Salamé, le gouverneur de la banque centrale-, en y adjoignant trois autres membres qui relèvent du pouvoir politique. Ces derniers risquent cependant de ne pas être toujours sur la même longueur d’ondes, pour ce qui est des mesures à mettre en vigueur, en fonction de l’évolution de la situation financière du pays. Une telle configuration risque de déboucher naturellement sur un blocage.

Pas de représentation bancaire

Les représentants du secteur bancaire, pourtant le principal concerné par cette loi, ont été écartés de la réunion de mardi, qui s’est ouverte au rythme des slogans de protestation d’un groupe de manifestants hostile à l’application d’un contrôle des capitaux. Les députés issus du soulèvement populaire du 19 octobre ont pris part brièvement au sit-in, afin de marquer leur opposition au texte sous étude.

Normalement, au moment de l’examen d’une loi en commissions parlementaires, des délégués des ministères et des secteurs directement concernés par la mise en vigueur du texte sont conviés afin de formuler leurs points de vue et de contribuer ainsi à son élaboration. Selon le site Lebanon and the world, c’est à la demande du vice-président de la Chambre, Elias Bou Saab, que les représentants de l’Association des banques au Liban n’ont pas été conviés à la réunion.

Quoi qu’il en soit, plusieurs députés ont exprimé de fortes réserves au sujet du texte. Ceux issus de la contestation ont mis en garde " contre le danger que représente ce texte au terme d’une réunion de coordination qu’ils ont tenue le matin. " La formule proposée menace du pire, a averti plus tard le député Ibrahim Mneimné, ce qui nous pousse à tirer la sonnette d’alarme et à appeler l’opinion publique à se tenir prête à réagir ". " L’impact négatif de ce texte ne se limite pas au volet juridique en rapport avec l’argent des déposants. Cette loi, si elle est approuvée, compromet les chances de redressement économique et financier du Liban. Nous sommes aujourd’hui persuadés que ce texte va faciliter le maintien du pays dans un état d’effondrement permanent ", a-t-il insisté. Pour les députés issus du soulèvement, au nom desquels M. Mneimné s’est exprimé, " ce projet de loi a été établi au profit d’un groupe de happy few ". " Un contrôle des capitaux doit être un instrument de régulation des liquidités au service d’une restructuration réfléchie du secteur bancaire et de l’unification des taux de change, dans le cadre d’un plan scientifique, clair et transparent de redressement ", a-t-il ajouté en fustigeant " un texte tronqué et défaillant ".

Celui-ci a été également vivement critiqué par les députés Nadim Gemayel et Marwan Hamadé ainsi que par les syndicats des professions libérales. Dans une déclaration à la chaîne locale MTV, M. Gemayel a vivement critiqué " une procédure gouvernementale qui consiste à proposer au Parlement des lois au détail au lieu de lui soumettre un plan clair de redressement ". Il a précisé avoir des remarques fondamentales sur le texte en question.

" Le pays n’a plus besoin de lois. Un contrôle des capitaux se justifiait il y a trois ans. Nous avons aujourd’hui besoin d’un président et d’un gouvernement appropriés pour le Liban. C’est à ce moment-là que l’action du Parlement redeviendra équilibrée ", a commenté Marwan Hamadé.

Les mêmes observations ont été formulées par les syndicats des professions libérales pour qui il est " impossible " d’approuver cette loi sans " un plan de réforme global qui détermine les responsabilités au niveau des pertes des déposants ".