L’une des tactiques des autorités, bien éprouvée maintenant, consiste à monter des pans de la population les uns contre les autres: patients vs hôpitaux, consommateurs vs commerces, parents d’étudiants vs écoles… Et, champ de cerisiers sur le gâteau, déposants vs banques.

Comment font-elles? C’est facile. En haut lieu, on ne résout aucun problème suscité par la crise, et on laisse pourrir la situation. Comme ces autorités n’ont jamais rien résolu, et que la pourriture est une de leurs spécialités, leur tactique est survenue tout naturellement.

Le grand duel

On va s’intéresser dans quelques lignes à la dernière catégorie de ce duel, sous un angle purement financier: qui, des déposants et des banques, sort financièrement gagnant et qui sort perdant de cette confrontation quotidienne, à travers les transactions habituelles? Encore une façon de casser ces préjugés qui, les réseaux sociaux aidant, s’incrustent dans la conscience populaire.

Dans une première série de transactions, les déposants peuvent retirer leurs dollars bancaires au taux de 8.000 selon la circulaire 151, ou de 12.000 LL (plus 400$ cash) selon la 158. Au regard de l’inflation (autour de 1000% depuis fin 2019 selon les derniers chiffres disponibles), les premiers perdent au change, alors que les seconds y gagnent un peu. Les banques, de leur côté, y perdent dans les deux cas car dans leurs comptes un dollar est toujours égal à 1.500 LL. Le bilan pour ce premier match est donc de 2 à 1, en faveur des déposants.

Une autre série de transactions concerne les débiteurs en LL, en particulier ceux qui ont contracté des prêts logement. Ceux-ci continuent à rembourser le même montant mensuel. Sauf que ces 2 millions, par exemple, de traite mensuelle initiale ne pèsent plus rien maintenant. A peine un dîner familial en ville. Il suffit en plus que le prêt ait été contracté un peu avant la crise pour que le logement de ce déposant, bien sûr très en colère contre les banques, ait alors été acquis presque gratis. Et le gain de l’un équivaut au déficit de l’autre (rien ne se perd, rien ne se crée…), les banques perdant énormément sur cette opération. Résultat du match: 1 à zéro, en faveur des déposants.

Les débiteurs (individuels) en dollars sont encore plus favorisés. Ils peuvent toujours rembourser leur dette dollarisée, mais en LL au taux de 1.500. Encore des pertes pour "l’ennemi". De plus, certains débiteurs proposent de verser 20.000$ en cash, par exemple, pour rembourser un prêt de 100.000$. Et certaines banques acceptent le deal pour servir les clients qui bénéficient de la 158. Bilan du match: 1 à zéro, en faveur des déposants.

Le bébé et l’eau du bain

Devant ces charges qui pèsent donc sur les bilans des banques (presque toujours négatifs), la réaction épidermique de la majorité serait alors: "C’est bien fait pour elles". Réaction compréhensible et, somme toute, logiquement justifiée, puisque les banques portent une part de responsabilité dans le déclenchement de la crise (part variable selon les analystes), alors que les déposants n’en portent aucune.

Il n’empêche, un facteur est oublié. C’est que personne n’a intérêt à voir des banques arriver à la faillite. Avec des conséquences dramatiques alors pour tous les déposants.

Ensuite, dans tous les plans de redressement, le secteur bancaire est supposé contribuer à résorber les pertes financières du pays, causées, rappelons-le, par la corruption incurable de l’État. Si, entre-temps, les banques sont saignées à blanc, leur contribution sera diminuée d’autant.

Et ce n’est pas l’État qui pourra compenser, mais le pauvre déposant, encore lui. Car l’État est déjà en faillite et, bizarrement, heureux de l’être. En haut lieu, on n’a jamais été aussi serein.