Dans ce troisième et dernier épisode de la série ‘crises financières’, analysées à titre comparatif, nous allons nous pencher sur le cas de l’Islande, après avoir passé en revue les cas chypriote et grec.

À première vue, il semble paradoxal qu’une île nordique de près de 300.000 habitants et jouissant d’un niveau de vie élevé subisse un blizzard économique sans précédent. La crise islandaise (2008) a semé la terreur partout, puisqu’elle a montré que le secteur privé et le secteur public peuvent être induits dans l’erreur ensemble. Si l’Islande est sujette à une telle secousse, alors aucun pays n’en est à l’abri.

Les banques se déchaînent

En dépit de sa densité démographique minuscule, l’Islande a érigé, suite à la privatisation en 2003, un système bancaire colossal dont le total des actifs avait atteint 10 fois le PIB du pays. En même temps, la croissance atteignait 6,4 % par an en moyenne.

Évidemment, cela ne suffit pas pour déclencher une crise. Pour cela, il faut opérer un retour en arrière. En 1999, le Housing Financial Fund (HFF), une agence étatique, a été créé dans le but "d’assurer la sécurité du logement et l’égalité pour tous les Islandais grâce à des prêts ". Le HFF bénéficiait de garanties gouvernementales sur sa dette (des obligations), ce qui a entraîné une réduction des charges d’intérêt pour les emprunteurs, de sorte que près de 90 % des ménages islandais en ont profité.

En 2001, cet excès s’est envenimé quand la Banque centrale a annoncé que sa garantie comme prêteur de dernier ressort, qui couvrait déjà le HFF, sera appliquée aussi aux banques. Cette garantie dérégulée a incité les banques à prendre des mesures plus risquées, à emprunter des marchés financiers et à attirer des dépôts d’autres pays, afin de prêter davantage à long terme, alors qu’elles empruntaient à court terme.

En 2004, les trois plus grandes banques, Glitnir, Kaupthing et Landsbanki, sont entrées sur le marché hypothécaire. Leurs conditions étaient plus séduisantes que celles du HFF, avec des intérêts inférieurs et des échéances plus longues. C’est ainsi que le secteur financier a atteint, comme indiqué ci-dessus, 1000 % du PIB.

La crise s’est déclenchée lorsque les banques sont devenues incapables de refinancer leurs dettes en devises étrangères. La Banque centrale et le gouvernement ne pouvaient plus, eux aussi, garantir le paiement de ces dettes, ce qui a conduit à leur effondrement.

On estime que les trois grandes banques détenaient, en 2008, une dette supérieure à 50 milliards d’euros, contre un PIB islandais de 8,5 milliards d’euros.

Un volcan de dégâts

L’Islande avait une économie moderne florissante. Mais, soudainement, les étagères des supermarchés se sont vidées, les banques ont fermé leurs portes. La couronne islandaise s’est effondrée, perdant 85% de sa valeur en 12 mois. Le marché boursier a chuté de 90 %. Les taux de chômage et d’émigration ont grimpé en flèche. Les Islandais ont perdu d’un coup une bonne partie de leurs économies. Ils se sont mis alors à se ruer sur les devises étrangères, tout en thésaurisant les produits de première nécessité.

Plus encore, cet effondrement économique a affecté le reste de l’Europe, dans la mesure où les banques islandaises, vu l’exiguïté du marché interne, avaient étendu leurs services de détail et d’investissement sur tout le continent.

La première mesure prise par le gouvernement a été de nationaliser les trois banques principales. Puis il a gelé les retraits pendant la crise, ce qui a provoqué une dispute avec des pays voisins, car près de 400.000 déposants britanniques et néerlandais avaient des comptes auprès de la banque Landsbanki lorsqu’elle s’est effondrée. Plus tard, un accord a été conclu, et les déposants étrangers ont pu récupérer leur argent.

L’État a dû créer de nouvelles banques en y transférant les dépôts et actifs (intérieurs) des trois principales banques. Les fonds propres de ces nouvelles banques ont été partiellement fournis par le gouvernement. La transition était transparente et les services étaient maintenus sans aucune interruption.

Les créanciers des anciennes banques ont accepté, en échange de leurs dettes, des participations dans deux nouvelles banques, Arion Banki et Íslandsbanki. L’État a aussi acheté des obligations émises par ces deux établissements et a pris une participation majoritaire dans une troisième, Landsbanki.

Une sortie douloureuse

Parallèlement, le gouvernement a introduit des contrôles de capitaux qui ont duré neuf ans, après des allègements progressifs. La Banque centrale a restreint les opérations de change et les mouvements transfrontaliers de capitaux. Mais les dépôts ont pu être progressivement sauvés à moyen terme.

En même temps, l’Islande a diminué ses dépenses publiques et a fait appel au FMI, qui lui a prêté 2,1 milliards de dollars, plus 3 milliards accordés par d’autres pays nordiques. En plus, suite aux capitaux publics injectés dans les banques, l’endettement public a dépassé 100 % du PIB. Le tourisme, surtout lié à l’éruption en 2017 du volcan au nom imprononçable (Eyjafjallajokull), a aidé l’économie à redémarrer.

L’Islande étant un pays où la justice est prise au sérieux, les tribunaux ont été impitoyables envers les dirigeants. Des responsables politiques et financiers ont été sanctionnés, certains emprisonnés, dont 36 banquiers.

Tout comme Chypre et la Grèce, la crise islandaise était une crise de mal gouvernance et de dette, mais cette fois, la dette était privée, bancaire. Pour Chypre, c’était un endettement public, doublé d’une grande prise de risque dans deux grandes banques. Pour la Grèce, c’est la dette de l’État qui a tout provoqué, les banques n’étaient pas profondément impliquées, mais elles ont subi les conséquences quand même.

Dans les trois cas, dont la nature et les causes étaient différentes, les effets ont été similaires sur la population et les entreprises. La morale de La Fontaine est qu’une faillite, causée par la mal gouvernance, est un virus d’une contagiosité effrayante, qui s’étend immanquablement sur tous les pans du pays : ils ne meurent pas tous, mais tous sont frappés.