Le Liban a raté de peu, et injustement, un Nobel d’économie cette année. À la place, le prix prestigieux a été décerné à trois économistes américains. Une distinction sous prétexte qu’ils ont compris et analysé le fonctionnement des banques, les risques en cas de crise financière, et les mesures à prendre ou à éviter.

Mais voyons en bref ce que les lauréats Ben Bernanke, Douglas Diamond et Philip Dybvig ont bien pu dire à ce sujet. Divers enseignements pourront être tirés. Et, heureuse coïncidence, c’est comme s’ils dissertaient sur notre cas.

D’abord, une crise frappant la monnaie nationale ou la dette publique reste gérable avec des dégâts limités. Mais elle peut se transformer en une détresse économique qui touche les entreprises, les individus et tous les pans de la société.

Il suffit pour cela qu’il y ait une ruée pour des retraits massifs de dépôts sans qu’il y ait une initiative des autorités pour réguler ce flux. Cela est de nature à neutraliser le rôle des banques. Et cette ruée ne devient massive et irraisonnée que lorsque la confiance dans le système bancaire se perd. C’est à ce moment qu’une crise plus grave s’installe. Autrement dit, la neutralisation des banques n’est plus un effet de la crise, mais son catalyseur et son déclencheur le plus néfaste.

Ce phénomène de non-confiance s’installe autour d’une thématique courante, massivement exprimée par les gens, disant: " Mais où sont donc passés nos dépôts? " Même les gens les plus cortiqués perdent le minimum de bon sens. Ce dernier disant que leur argent déposé hier sera utilisé aujourd’hui (après avoir ôté les frais et les réserves règlementaires) en un crédit octroyé à un autre client qui désire acheter une voiture, quitte à rembourser son emprunt sur cinq ans. Le dépôt initial n’est donc plus disponible.

En régime normal, cela ne pose pas de difficultés particulières, puisque les déposants retirent de la banque juste ce dont ils ont besoin instantanément. Toutefois, lorsqu’un doute s’installe sur la capacité d’une banque à faire face à ses engagements, les clients vont chercher à récupérer tous leurs fonds, ce qui peut provoquer une panique bancaire.

Les banques apparaissent alors comme fragiles, voire insolvables, même les plus solides et les plus prudentes d’entre elles, celles qui ont passé avec succès l’ensemble de ce qu’on appelle dans le jargon les stress tests.

Bernanke a montré donc comment ces retraits massifs étaient un facteur décisif dans la prolongation et l’aggravation de la crise. Le rush bancaire n’est plus alors un résultat de la crise financière, il est la cause d’une crise économique beaucoup plus grave que la première. D’où son concept disant : "Éviter l’effondrement des banques est vital". Il n’est pas que nécessaire ou important… mais vital. Ses théories sont basées sur des cas réels, dont son analyse de la Grande Dépression de 1929.

Les deux autres nobélisés ne se sont pas contentés de donner une explication aux paniques bancaires. Ils ont établi un modèle sous leur nom commun ‘Diamond-Dybvig’, qui fournit deux pistes pour les éviter. La première dit que les clients ne pourraient pas retirer l’intégralité de leurs dépôts (autrement dit ‘contrôle de capitaux’). La seconde est la garantie des dépôts, généralement jusqu’à un certain plafond.

Selon la première mesure, on donne à chaque déposant le droit de retirer un montant unique par mois, disons 1000$. Ce qui semble équitable. Mais ça ne l’est pas vraiment. Car un déposant X attend de recevoir ces 1000$ pour passer ses vacances en Turquie, alors qu’un autre Y a besoin de 5000$ pour régler la scolarité des enfants.

La deuxième mesure, une garantie étatique sur les dépôts, disons jusqu’à 100 000$, est plus efficace, car tous ceux dont le compte ne dépasse pas ce plafond, n’auront plus aucune raison de se ruer sur les banques. Une fois la ruée jugulée, chacun peut retirer juste ce dont il a besoin, et la banque peut lui donner satisfaction.

Cette garantie a été généralisée dans presque tous les pays développés. Au Liban, on a bien une garantie jusqu’à concurrence de 50 000$ (ou 75 millions LL), selon une loi récente. Mais comme personne n’a confiance dans la capacité du gouvernement à indemniser tout le monde en cas de faillite bancaire, cela ne sert à rien.

Terminons avec une dernière théorie, celle d’un certain Vilfredo Pareto, un économiste italien du début du XXe siècle, que nos lauréats citent aussi, sur le même thème des relations banque-clients.

Son concept, ‘optimum de Pareto’, introduit la notion d’une ‘allocation des ressources sans alternative’, c’est-à-dire que tous les agents économiques sont dans une situation telle qu’il est impossible d’améliorer le sort de l’un d’entre eux sans réduire la satisfaction d’un autre. Il établit même des formules mathématiques complexes qui déterminent la relation inversement proportionnelle entre la satisfaction de l’un et l’insatisfaction des autres.

Travaux pratiques: l’écervelé braqueur qui obtient satisfaction à la banque va réduire le bien-être de la horde des applaudisseurs, agglutinés sur le trottoir d’en face.

L’Académie royale des sciences de Suède, qui a donc hésité entre les théories des trois économistes et la pratique libanaise face à la crise, a finalement opté pour les premiers.

On ne peut pas gagner à tous les coups.