"Quoi qu’il en coûte!". Une phrase devenue emblématique de l’ère Covid. Quand les pays plus ou moins capables, dont en premier lieu la France, se sont répandus en générosités démesurées, distribuant des subsides aux entreprises et travailleurs pour compenser le manque à gagner dû à l’épidémie. De sorte que le déficit budgétaire a crevé les plafonds autorisés ou même raisonnables. Mais c’était le prix à payer pour juguler une récession rampante et maintenir le pouvoir d’achat. C’est même devenu une doctrine économique à part entière, débattue par les grands spécialistes.

Autre pays, autre ambiance, mais même devise. Au Liban aussi cette formule magique a gouverné le pays et reste en vigueur, quelles que soient les circonstances. Un petit récit contemporain, pour en mesurer cette fois les ravages.

Un gouvernement démissionnaire qui se réunit juste pour avaliser quelques nécessités médicales d’urgence. Et c’est le tollé de ceux-là mêmes qui entravent l’élection d’un président: "Une hérésie constitutionnelle" disent-ils. Une position en flèche maintenue quoi qu’il en coûte aux cancéreux agonisants en manque de soins.

On bousille tout plan électrique alternatif depuis des années parce que Selaata n’y est pas inclus, et que l’Autorité de régulation n’est pas à notre goût. Un entêtement maintenu quoi qu’il en coûte en dégâts fatals pour l’économie.

On empêche répétitivement l’élection d’un président ou la formation d’un gouvernement, parce que notre quota n’est pas respecté et un tel portefeuille ne nous est pas accordé, et l’on maintient l’obstruction pendant des mois, quoi qu’il en coûte au pays en termes d’économie à l’arrêt.

On perpétue une politique de subventions, âge d’or de la contrebande, au nom d’un populisme désuet, quoi qu’il en coûte aux réserves monétaires d’un pays déjà au bord de l’effondrement.

On aligne les ‘plans de redressement’ les uns après les autres, refusant toute participation de l’État aux pertes, et même toute exploitation des actifs de l’État, des actifs depuis toujours mal gérés, pillés, ou simplement abandonnés en friche. Et on s’obstine à vouloir puiser dans les dépôts bancaires, quoi qu’il en coûte à l’épargne de toute une vie des citoyens honnêtes, à la survie du secteur bancaire, aux activités des entreprises, ou à la réputation du pays.

On bloque le plan de relance CEDRE, après Paris 1, 2 ou 3, car les projets risquent d’échapper à notre contrôle, ou seront inscrits au crédit d’une partie adverse, quoi qu’il en coûte en occasions ratées pour repêcher une infrastructure laissée à l’abandon.

On laisse pourrir toute une décennie le projet de l’exploitation gazière, parce qu’un tel détail n’est pas en notre faveur, ou que notre ministère de l’Énergie ne sera pas le maître de céans, quoi qu’il en coûte en manque à gagner au pays croulant sous les dettes.

On lance le ministère des Affaires étrangères et autres crieurs à l’attaque contre des pays amis depuis toujours, plagiant le parrain perse, quoi qu’il en coûte en investissements dans un Liban quémandant désormais quelques denrées pour survivre.

Sur l’autre rive de la rivière, des résistants du secteur privé et de la société civile s’activent encore, contre toute raison, à reconstruire l’économie et maintenir le pays à flot, quoi qu’il leur en coûte en efforts de Sisyphe. La maigre croissance enregistrée cette année en est au moins la récompense inespérée.