Un dollar à plus de cent mille livres n’est qu’un détail. Les Libanais s’y attendaient. Le taux de change $/LL est-il sans plafond? Oui. Et l’inflation est sans bornes.

En deux mots, la livre libanaise qui a dépassé depuis mardi la barre des 100 000 LL pour un dollar, n’attire plus ni les individus ni les entreprises qui cherchent à s’en débarrasser à n’importe quel prix. Comme conséquence logique, la demande sur le billet vert s’accroît et l’inflation caracole vers de nouveaux sommets. Donc, plus de liasses de livres sont disponibles sur le marché, plus la monnaie nationale se déprécie et le billet vert s’apprécie. Le taux de change du dollar contre la livre est passé de 42 000 LL pour un dollar en début d’année à 102 000 LL le 14 mars 2023, soit une hausse de 142 %, en près de 72 jours.

Une valeur de confiance

La livre libanaise, comme tout billet de banque, ne possède pas de valeur intrinsèque. Elle a la valeur faciale qui y est inscrite et garantie par la banque centrale. Il s’agit alors d’une valeur de confiance.

Cela dit, la valeur de la monnaie se définit par ses fonctions. Elle tend à perdre de sa valeur à mesure que les rôles qu’elle joue se relâchent.

Par définition, la monnaie remplit trois fonctions: elle est un moyen d’échange, une unité de compte et une réserve de valeur. Il est clair que la livre libanaise a perdu ces fonctions dans un pays entièrement dollarisé, en proie à une crise multifacette fulgurante qui a emporté dans son tourbillon tous les fondements de l’État.

Désormais, les individus font usage de la livre libanaise dans des perspectives de spéculation. Ils sont à l’affût du moment où la BDL rouvrira ses vannes pour injecter des dollars frais, puisés dans ce qui reste de ses réserves.  La livre libanaise devient ainsi la base d’une inflation sans bornes, alors que les individus s’évertuent à épargner en billets verts, dans la perspective de jours encore plus sombres.

Effectivement, le Liban est entré dans une phase réellement abyssale et l’effondrement, accéléré, sera sans précédent, car le dollar enregistrera des chiffres effrayants dans sa hausse. Les zéros supplémentaires sur le taux de change deviendront simplement le reflet de la désintégration structurelle de la société et de l’économie. Plus d’émigrations, plus de chômage, plus de pauvreté et une détérioration plus intense des services de base tels que l’électricité, l’eau et les communications.

Silence assourdissant des politiques

Qu’est-ce qui a changé dans le paysage socio-économico-monétaire dans la nuit de lundi à mardi pour que le dollar dépasse la barre 100 000 LL mardi matin? Concrètement rien.

Évidemment, son taux de change sur le marché domestique est l’otage de l’impasse politico-financière qui prévaut depuis le déclenchement de la crise en octobre 2019 et qui continue de s’exacerber. Mais, il est tout aussi vrai qu’il est la conséquence de facteurs psychologiques, en l’occurrence l’absence de confiance dans l’avenir. En un mot l’incertitude du lendemain.

Pour contrer les flambées épisodiques du taux du dollar, le pays est encore au stade des décisions et circulaires tactiques de la Banque du Liban (BDL). Une stratégie globale de redressement monétaire se fait toujours attendre, parce que tout simplement le plan de redressement n’est pas la priorité de la classe dirigeante. Entre-temps, le maintien de la plateforme de change de la BDL, qui présente des inconvénients sur un plan macroéconomique, apparaît nécessaire, du moins pour le moment, parce qu’elle tient le rôle du ministère des Finances et celui du ministère des Affaires sociales. À condition, bien entendu, que son accès soit autorisé aux seuls 320 000 fonctionnaires répartis entre civils et militaires, afin d’alléger un tant soit peu la pression sur ce qui reste des réserves de la banque centrale.