Malgré l’attentat sur la personne du Premier ministre Rafic Hariri en 2005 et les agressions de 2006, la croissance réelle avait atteint au Liban le seuil record de 9% entre les années 2007 et 2010. Le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, bénéficiait alors de la considération que l’on porte à un héros de la République et du monde arabe. Il faisait la " une " des couvertures médiatiques de l’Orient et de l’Occident. On se bousculait pour le voir le 2 mars 2009, invité à sonner la cloche de Wall Street pour donner le coup d’envoi des cotations de la Bourse de New York.

Riad Salamé, pour rappel, fut nommé gouverneur de la Banque du Liban par le Conseil des ministres le 1ᵉʳ août 1993. Il sera reconduit à son poste par le Conseil des ministres à quatre reprises (en 1999, 2005, 2011 et 2017) grâce à sa politique avisée à la tête de la BDL. Ne l’oublions pas: il a évité au Liban d’être noyé dans la crise des surprimes qui s’est déclenchée aux États-Unis en 2007-2008. Cette crise avait pourtant eu des retombées fâcheuses dans le monde entier.

Il a maintenu, par ailleurs, la stabilité du taux de change de la devise libanaise contre le dollar jusqu’en 2019 malgré les intempéries politiques qui frappaient constamment le Liban. Jusqu’au "sauve qui peut", ou la fuite en avant, du gouvernement après le soulèvement d’octobre 2019 et le défaut de paiement des dettes de l’État. Riad Salamé fut alors montré injustement du doigt comme le principal coupable de l’effondrement financier, alors que c’était bel et bien le gouvernement en place de Hassane Diab qui avait choisi, délibérément ou sous la pression, de s’abstenir lâchement d’assumer ses responsabilités, plaçant les institutions financières au pied du mur face aux échéances imminentes.

Ces pharisiens de notre monde politique libanais se défaussaient ainsi déloyalement et s’adressaient aux foules, directement et via les médias, en leur montrant le chemin de la Banque du Liban. Ce faisant, ils oubliaient ou feignaient d’oublier au passage que depuis 2011, un million et demi de déplacés syriens traversaient les frontières libanaises sans aucun contrôle et sous leurs propres yeux. Ils oubliaient aussi ou feignaient de ne pas voir la contrebande des produits de première nécessité subventionnés par l’État – fuel, produits alimentaires, produits pharmaceutiques, entre autres – qui étaient acheminés à travers les frontières libanaises, sans aucune entrave et avec l’aval tacite des " responsables ", pour être revendus au prix fort de l’autre côté de la frontière.

Ils se sont abstenus de mettre un terme au trafic clandestin vers la Syrie; ils ont embauché dans le secteur public plus de 30 000 fonctionnaires en créant ainsi autant d’emplois fictifs entre 2014 et 2018 dans la perspective des élections législatives; ils ont obstinément maintenu le pays sans commande au sommet de l’État entre mars 2013 et septembre 2021; ils ont dilapidé l’argent de l’État et causé la perte cumulée d’environ 45 milliards de dollars dans le secteur de l’énergie; ils ont été à l’origine du soulèvement d’octobre 2019 qui a permis aux hommes politiques d’en  cueillir les fruits en s’agrippant au pouvoir et en profitant de la fuite des capitaux faute de la mise en application immédiate du contrôle des capitaux; ils ont été à l’origine de la crise du secteur de la santé; ils ont été la source de l’explosion criminelle au port de Beyrouth; ils ont manipulé les taux de change successifs du dollar à travers des agents bien protégés… Et maintenant, ils s’acharnent à vouloir l’achever. Achevez-le, crient-ils sur tous les toits!

Ces Messieurs, les dirigeants politiques, oublient encore, ou feignent d’oublier, qu’à leur demande express, Riad Salamé a dû trouver les moyens, via les opérations SWAP, de soutenir le budget de l’État afin d’assurer les salaires des fonctionnaires, le temps que CEDRE se mette en place.

Achevez-le, disent-ils! Ils oublient cependant qu’ils ont été à l’origine du remaniement de l’échelle des salaires qui coûta plus de deux milliards de dollars américains au Trésor et qu’ils ont été la cause de l’échec de CEDRE parce que les réformes attendues n’ont jamais été entreprises par l’État! Un véritable lynchage public…

Mais attention… Une fois achevé, peut-être nous rendrons-nous compte, hélas tardivement, qu’en l’absence totale et réelle de l’État durant ces dernières années, le gouverneur de la Banque centrale était toujours présent, responsable et conscient, assurant au quotidien une gestion de crise et maintenant le cap malgré les flots qui se déchaînaient de partout. Les temps viendront alors confirmer que la sentence prononcée à son encontre fut purement d’ordre politique et qu’il fut destitué pour résistance à l’autorité établie…

Ayant tous pleuré à chaudes larmes lorsque l’État et ses dirigeants, pour la première fois dans l’histoire du pays, n’ont pas respecté le paiement des eurobonds à l’échéance, le moment sera alors venu de verser des larmes de sang.

Que de souffrances résultant de l’irresponsabilité, de l’inconscience, de l’inaptitude, de l’incompétence, de la corruption organisée, et j’en passe, qui secouent de nos jours le pays et écrasent toute une population meurtrie jusque dans sa moelle. Ne l’oublions pas, nous sommes tous pris en otage au service de ce qui se trame dans les coulisses de nos chers politiques qui cherchent à sauvegarder leurs intérêts et à jeter leur dévolu sur autrui.

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