Parmi ces infrastructures étatiques qui se morfondent dans leur médiocrité, l’aéroport tient une place à part. Un exemple de mal-gouvernance, de contrats douteux, et d’un branding de mauvais goût.

Certains disent que notre aéroport est à l’image du pays. D’autres disent le contraire, que le pays est à l’image de son aéroport. En tout cas c’est l’impression qu’a tout voyageur en partance ou à l’arrivée. Un choc culturel qui se produit même si le voyageur s’est absenté juste une semaine.

Un aéroport mal conçu à l’origine, car on avait demandé à l’époque (milieu des années 1990) au constructeur, la très sérieuse entreprise CCC, des modifications de dernière minute alors que la construction était déjà bien entamée (sans oublier les constructions illégales au bord de la piste d’atterrissage).

En plus, il était prévu pour six millions de passagers par an, alors que le nombre a dépassé les huit millions pendant des années (avant le Covid) sans que personne ne bouge. Jusqu’à la dernière tentative avortée de l’actuel ministre du Transport Ali Hamieh, qui ambitionnait de faire passer le contrat juteux d’un nouveau terminal, hors de tout appel d’offres, de quoi assurer à son clan politique, déjà maître des lieux, des revenus supplémentaires.

Viennent ensuite des épisodes de gabegies caractérisées. En commençant par la compagnie nationale, la MEA, qui a accumulé des pertes pendant des années, alourdie comme elle était par des milliers de fonctionnaires inutiles, avant que la BDL ne soit chargée, contrairement à son statut, de sauver la compagnie de la faillite en épongeant les pertes et en injectant des dizaines de millions de dollars pour remercier ces inactifs pour leur inactivité.

Puis ce fut le feuilleton à épisodes successifs de l’espace hors-taxe. Un premier appel d’offres dans les années 1990, gagné par l’actuel opérateur, la société libano-irlandaise PAC. Puis un contrat prolongé de facto avec une redevance scandaleusement sous-évaluée. Puis un appel d’offres concocté sur mesure, abouti mais contesté puis invalidé des années plus tard par la Cour des comptes. Puis un nouvel appel d’offres, annulé peu après en raison d’une erreur d’évaluation. Puis encore un autre en préparation avec de nouvelles conditions. Depuis, rien ne change. On dirait que le temps s’est arrêté et que cette mission impossible est vouée à l’échec.

Puis vient l’épisode du parc de stationnement géré depuis le début par une entreprise koweitienne qui a bien respecté le cahier des charges. Mais pas l’État qui n’a pas pu empêcher les voitures de stationner n’importe où. Ce qui lui a valu de casquer une indemnité en millions de dollars à l’entreprise gérante.

Puis tout récemment, survient l’épisode des tests PCR, passés aux frais des voyageurs même si ceux-ci avaient fait le test le même jour dans le pays de partance. Résultat: un pactole de 50 millions de dollars qui se sont perdus dans la nature. Cette somme devait revenir en principe aux professeurs de l’Université libanaise, mais depuis, on cherche en vain le labyrinthe qui l’a engloutie.

Enfin, inutile de disserter sur les ‘images de marque’ de l’aéroport, depuis les toilettes délabrées, jusqu’à la climatisation et autres équipements qui sont souvent en panne, jusqu’à la voix ringarde qui est toutes les cinq minutes ‘’heureuse et honorée’’ de nous recevoir, entrecoupée par la voix au bord de la crise de nerfs criaillant répétitivement son ‘’last and final call’’ pour le passager Mahmoud Itani et famille, qui doivent rejoindre la porte 5 dans la minute qui suit, jusqu’aux agents qui vous engueulent si vous protestez, coinçant en particulier dans un réduit les aide-ménagères étrangères interdites de toilettes ‘’car elles peuvent s’échapper par la fenêtre’’, jusqu’à la multiplication des contrôles du passeport parce que les quatre services de sécurité sur place ne se font pas confiance les uns aux autres, jusqu’à l’agent qui vous donne son numéro personnel au cas où vous avez un excédent de produits qui devraient être dédouanés (mais qui ne le seront pas), jusqu’à la jungle mafieuse des taxis sur laquelle une dizaine de ministres de Tourisme se sont cassés la gueule…

Faits anecdotiques peut-être, mais mis ensemble, ils constituent un capharnaüm qui donne au voyageur une idée du pays avant de se fondre dans le paysagisme de la Banlieue sud sur son chemin vers la ville. Ce n’est pas pour rien que les pays déversent des fortunes pour améliorer leur branding, à commencer par leur aéroport.

Le plus drôle est que tout ceci devait être géré par une Autorité de régulation indépendante, selon une loi qui n’a jamais connu un début d’application. Une option, considérée à un moment donné, serait de confier l’ensemble de la gestion, de la mise à niveau, des extensions, à un opérateur international, à l’image d’ADP (Aéroports de Paris), une société semi-privée qui a déjà à son actif 27 aéroports à l’international.

Et puis pourquoi les deux autres aéroports, Kleyaat et Riyak, sont oubliés? Deux études du CDR, du temps de Rafic Hariri, avaient conclu à l’opportunité de ces investissements, de 150 millions de dollars chacun, à confier selon une formule BOT (Build, Operate, Transfer) à des entreprises privées. Ce qui permettrait en plus de développer deux régions qui en ont grandement besoin.

Parfois, on a l’impression que ce ‘last and final call’ est tellement pressant, désespéré, qu’il s’adresse à tous ces citoyens agglutinés dans le hall d’arrivée, attendant leurs proches, comme s’il les pousse à prendre le premier avion en partance: ‘’c’est le dernier appel, votre dernière chance pour déguerpir, prendre n’importe quel avion! Mais que faîtes-vous donc encore là?!’’ Et pourtant certains restent, s’accrochent, s’enracinent, en se disant, un peu blasés, qu’après tout on en a vu d’autres…

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