Banque mondiale: l'insoutenable légèreté d'un rapport

Deux interventions la semaine passée méritent qu’on s’y attarde un peu: le rapport trimestriel de la Banque mondiale (BM) et une intervention de Saadé Chami à la tribune de l’USJ.
Les deux se rejoignent, tentant de présenter des brins de solutions qui n’en sont pas toujours. À la place, on a eu droit à une bonne dose de positions incompréhensibles, d’assomptions approximatives, de contre-vérités et de mauvaise foi. Mais on va se contenter ici-bas d’analyser la première, celle de la BM, la seconde n’en étant qu’un pâle écho de perruche.
La Banque mondiale ne fait pas dans la dentelle dans son plus récent ‘Lebanon Economic Monitor’. Mais avant de rentrer dans les détails, posons deux questions essentielles: est-ce vraiment la position officielle de la BM? Et est-ce qu’on peut échapper, dans notre recherche d’une solution, à la primauté, voire l’inéluctabilité d’une obéissance aveugle aux préceptes de la BM et son cousin germain le FMI?
Pour la première question, la page 4 du rapport y répond: «Les constatations, interprétations et conclusions exprimées dans cet ouvrage ne reflètent pas nécessairement les vues de la Banque mondiale (…) ou de son Conseil d'administration. La Banque mondiale ne garantit pas l'exactitude, l'exhaustivité ou l'actualité des données incluses dans ce travail.»
Le document a été, en fait, réalisé par les membres du staff, Dima Krayem, Naji Abou Hamde et Ibrahim Jamali, avec la collaboration d’une équipe d’économistes. Voilà qui donne un éclairage nouveau à ce rapport, loin de la sacralisation qu’on attribue généralement aux rapports onusiens.
Pour la seconde question, un petit survol historique permet d’apporter des nuances. Certains pays ont bien suivi les recommandations du FMI et de la BM et ont réussi, d’autres ont échoué, comme l’Argentine qui en est à son 22e plan de sauvetage du FMI. D’autres pays ont négocié et partiellement suivi les préceptes du FMI, et d’autres encore, comme la Malaisie, les ont refusés et se sont bien secourus eux-mêmes. Arrêtons donc de réciter des dogmes immuables à ce propos.
Passons maintenant à quelques détails du rapport qu’on a trouvés largement obtus:
- Le secteur bancaire demeure insolvable: Si on parle là des banques commerciales, comment peut-on faire une telle assertion avant d’avoir opéré un audit banque par banque, comme c’est d’ailleurs prévu dans l’accord préliminaire avec le FMI? Et puis qui a dit que toutes les banques sont identiques? Certaines peuvent s’avérer insolvables, d’autres souffrant juste d’un problème de liquidité, suite à une ruée bancaire subite.
-  Le rapport, qu’on va donc désormais re-signer (au lieu de la BM) ‘D. Krayem et al’ (selon la formule latine consacrée voulant dire ‘’…et coauteurs’’), stipule que les pertes du système sont à compenser immédiatement et entièrement par les actionnaires des banques, et nécessairement aussi les ‘gros déposants’, mais sans participation de l’État, alors qu’il est l’acteur du péché originel, commis sans même la feuille de figuier.
La BM répond ainsi à une récente circulaire de la BDL qui donne aux banques cinq ans pour se refaire une santé.

Donc, d’un côté une mise à mort sans même des soins palliatifs, versus une possibilité de réanimation.
- Selon le rapport, l'une des sources de pertes du secteur bancaire, qui le rendrait donc insolvable, est constituée par les «pertes substantielles» sur les crédits bancaires du secteur privé. C’est vrai, mais le rapport n’ose pas aller à l’origine de cette perte, lorsque les autorités ont obligé les banques à accepter le remboursement des crédits en devises par chèque lollar, ou même en LL au taux de 1500, alors que la restitution des dépôts devait se faire en dollars frais! 
-  Le rapport critique ceux qui veulent faire porter à l’État la responsabilité des pertes: risible position. Doit-on donc, par un simple trait au Bic rouge, faire abstraction d’une dette étatique de 35 milliards de dollars et de 90 trillions de LL? Ou disculper l’État de sa responsabilité envers la BDL?
- Il rejette l’idée, donc, de privatiser les actifs et revenus futurs de l’État à cette fin. Mauvaise foi. La proposition du secteur privé n’est pas de vendre les actifs mais d’en confier la gestion à des acteurs privés pour en tirer des revenus, alors qu’ils sont actuellement soit mal gérés, soit pillés, soit abandonnés en friche. Une initiative qui doit être réalisée avec ou sans crise.
- «Le sauvetage du secteur financier via les actifs publics, étatiques, revient à distribuer l’argent des pauvres (contribuables) aux riches (déposants)». Une assertion créée de toutes pièces, absurde, puisque la dette étatique, puisée à l’origine dans les dépôts bancaires, a servi à toute la population. De même, les subventions de la BDL, puisées là aussi dans les dépôts, sont supposées avoir secouru les plus pauvres pendant trois ans (à part les contrebandiers…). Enfin, la plus grande partie des taxes provient des contribuables riches et pas des smicards. On se croirait dans l’Albanie d’Enver Hodja!
- «Les banques ont été les gagnants en vendant les eurobons qu’elles détenaient aux fonds étrangers».  Faux, les banques ont dû vendre à perte ces eurobons pour assainir un tant soit peu leur bilan. 
- Par une perversion évidente des faits, le rapport cite, parmi les gagnants: le secteur financier, les actionnaires des banques, et les riches déposants. Encore fausses allégations, doublées d’une mauvaise foi. Le secteur financier perd chaque jour de l’argent sur les crédits publics et privés, sur la chute de la valeur de la livre, et sur les dépôts restitués selon les taux des circulaires de la BDL. Les actionnaires, de leur côté, ont déjà perdu les trois quarts de la valeur de leurs actions (qui sont passées de 20 à 4 milliards de dollars); et les riches déposants ont leur argent bloqué à la banque, comme tous les autres déposants. 
- Enfin, le mot-guillotine est lâché, alors qu’il était à peine en sous-entendu tout au long du rapport de D. Krayem et al: «La population face aux banques zombies». Un qualificatif facebookien, qu’on n’imaginait pas figurer avec autant de légèreté dans un rapport d’une agence onusienne.
Cependant, lorsqu’on opte pour l’absurde, tout devient permis.
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