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Aucun acteur sur la scène locale ne serait prêt à se lancer dans des supputations sur la durée de stabilité du taux de change sur le marché parallèle. Un mystère impénétrable, sauf pour un cercle fermé d’initiés, confient des sources à Ici Beyrouth. Chat échaudé craint l’eau froide, d’autant que la vision de la ligne de la politique monétaire et de crédits après le 31 juillet, date à laquelle le mandat du gouverneur de la Banque du Liban (BDL) prend fin, n’est pas claire.

Une zone d’ombre plane sur la politique monétaire post-Riad Salamé dont dépendront le taux de change du dollar et celui de l’inflation. A priori, le départ définitif du gouverneur actuel de la Banque du Liban (BDL) n’est pas tranché. Les hypothèses de son maintien à son poste pour une période transitoire, d’une prolongation technique de son mandat, de son accréditation au titre de consultant auprès de la BDL ou au titre de conseiller de l’ombre se multiplient. Toutefois, le pire scénario d’un vide institutionnel à la tête de la banque centrale a été totalement écarté par plusieurs sources sondées par Ici Beyrouth, même si l’on sait que le gouvernement de Nagib Mikati est un gouvernement démissionnaire dont les prérogatives se limitent à l’expédition des affaires courantes et aux dossiers de grande urgence.

Le Conseil central de la BDL

Entre-temps, il ne faut pas être dans le secret des dieux pour savoir qu’au sein du Conseil central de la BDL, les relations entre ses membres ne sont pas au beau fixe. La problématique est celle de la politique monétaire en attendant une régularisation de la vie politique et institutionnelle. Dans ce contexte, il faut savoir que le Conseil central est formé, outre du gouverneur de la BDL et de ses quatre vice-gouverneurs, du directeur général du ministère des Finances et du directeur général du ministère de l’Économie.

Mésentente

La mésentente sur la politique monétaire et du crédit au sein du Conseil central de la BDL s’est exacerbée au lendemain de la décision du Conseil d’État portant sur la recevabilité dans la forme du recours en annulation intenté par l’Association des banques du Liban (ABL) contre la décision du gouvernement de supprimer une grande partie des engagements en devises étrangères de la BDL à l’égard des banques commerciales. Le Conseil d’État avait également reconnu sa compétence "à contrôler les actions du gouvernement portant sur des décisions qui l’exempteraient de l’obligation de rendre l’argent des déposants". Le Conseil d’État a ainsi mis l’État au pilori, même si l’autorité judiciaire devra encore statuer sur le fond du recours en annulation.

Injection de dollars

D’un point de vue académique, la relative stabilité du taux de la livre face au dollar, depuis le 21 mars dernier, est due à la masse monétaire grandissante en dollars disponible sur le marché du travail.

D’abord, la banque centrale est en train d’injecter à travers Sayrafa, sa plateforme de change, environ 1.500.000 dollars par jour de travail. Cela sans compter les 800 millions de dollars qu’elle verse chaque an au titre de contribution à l’application de la circulaire 158, qui permet aux déposants éligibles de retirer 400 dollars en espèces et quatre cents autres dollars en livres sur base d’un dollar à 15.000 livres.

D’ailleurs, le gouverneur de la Banque centrale a explicitement souligné, lors d’une interview télévisée, que la BDL a les moyens de résorber d’un seul coup la masse monétaire en livres en circulation, évaluée à quelque 75 mille milliards de livres, qui s’est nettement rétrécie.

D’où viennent les dollars?

Les billets verts injectés par la BDL sur le marché proviennent en partie de ses réserves en devises étrangères. Une autre partie provient de ses achats antécédents sur le marché local, que ces achats aient été effectués directement ou via les maisons de change ou de transfert de monnaie. La BDL se serait procurée également des billets verts via certaines ingénieries financières, dont elle seule détient les rouages, selon des sources qui ont requis l’anonymat et qui ont été incapables de déterminer ce montant. Cela dit, il faut garder à l’esprit que la Banque centrale détient 99% des actions de la compagnie aérienne nationale MEA, qui l’alimenterait en devises fortes.

Par ailleurs, les entreprises privées, qui se sont fortement désendettées en remboursant leurs crédits aux banques au taux de 1.505,7 livres pour un dollar, ont délié leur bourse en payant des salaires en dollars frais dans le but de relancer la dynamique de consommation – une mesure qui aurait contribué à alléger la pression de la demande sur le billet vert sur le marché parallèle.

Changement de politique monétaire    

La politique monétaire suivie pour gérer la crise, qui a éclaté au quatrième trimestre de 2019, sera-t-elle maintenue après le 31 juillet? Rien n’est sûr. Une des orientations des membres du Conseil central de la BDL serait de supprimer Sayrafa, la plateforme de change de la BDL, et de laisser flotter le taux de change du dollar, comme le réclame le Fonds monétaire international (FMI). Cette suppression aura une retombée immédiate sur le marché de change, la valeur de la livre devant recommencer à perdre des piliers face au dollar. Dans ce contexte, pour retrouver un taux d’équilibre, tout se joue dans un marché libre où l’offre et la demande se confrontent. L’aléa premier dans un régime de monnaie flottante est celui d’un système politique instable et incapable de réguler l’économie du pays, comme c’est le cas de l’Exécutif au Liban en ce moment. La spéculation y devient permanente et les risques plus forts.

Un point positif au paysage quand même: un système de taux de change flottant n’exige pas que la banque centrale engrange des réserves importantes en devises étrangères. La Banque du Liban n’aura à intervenir que dans le cas de fluctuations majeures de la monnaie nationale face au dollar.