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Une idée farfelue qui revient épisodiquement sur le tapis est celle de créer de nouvelles banques. Déjà le plan de Hassan Diab en 2020 prévoyait la création de cinq nouveaux établissements financiers.

On sait qu’à l’époque cette clause avait été ajoutée in extremis à la demande du Hezbollah. C’est en soi un mauvais signe sur les intentions de cette Wagner locale. Le Hezb croyait que l’idée ferait son chemin sans difficulté, car ces cinq banques seraient réparties entre les grandes formations politico-communautaires du pays, avec un privilège évident pour lui, qui en est dépourvu, et ses alliés.

Cependant, l’idée fut ensuite oubliée, avec tous les Diab et louveteaux de l’époque. Ça ne méritait pas davantage.

Mais il semble que le concept chatouille encore l’esprit de quelques-uns, faisant ainsi des réapparitions furtives de temps en temps, via des responsables, des économistes, dans la commission parlementaire des Finances, ou ailleurs. Une idée qui peut être dangereuse s’il en est. Voyons pourquoi.

1- D’abord, en termes de prérogatives, ce n’est ni le gouvernement ni le Parlement qui ont le droit d’octroyer des licences bancaires. Seule la Banque centrale (BDL) est habilitée à le faire selon la législation en vigueur. Des interventions extérieures seraient néfastes en tout cas.

2- Créer une nouvelle banque mettrait toutes les autres en difficulté. Cet établissement serait amené normalement à accepter uniquement les dépôts frais. Comme c’est une banque qui n’a pas d’histoire, pas de passif, pas de problème de confiance, avec un bilan vierge, elle aura toutes les chances de suppléer toutes les autres banques, les mettant en danger de survie, et avec elles tous les anciens dépôts qui s’y trouvent.

On estime qu’il existe actuellement près de 200.000 comptes frais totalisant quelque deux milliards de dollars. Autant d’argent, rare source de revenus pour les banques actuelles, qui risque ainsi de migrer vers la ou les nouvelles banques.

3- Un hic cependant: après presque quatre ans de crise, qu’est-ce qui garantit aux déposants potentiels que cette nouvelle banque ne va pas être entraînée elle aussi dans les méandres d’un État impotent qui a tout fait pour affaiblir le secteur bancaire?

La réponse est que, quoi qu’on fasse, on ne peut vivre sans banque. Et l’alternative de compter sur une banque à l’étranger n’est que partiellement faisable. Tout le monde n’a pas d’abord accès à une banque étrangère. En plus, il est difficile de mener des opérations efficaces permanentes via une banque à l’étranger.

4- Entretemps, une idée avancée dans les différents plans de redressement consiste à liquider les banques dites insolvables, à la grande joie des responsables, et/ou de les fusionner avec d’autres banques existantes. Une idée irréalisable, car, soyons réalistes, aucune banque n’a intérêt à ajouter les tracas d’une banque chancelante à ses propres problèmes.

5- Pour sortir de ces dédales, une autre proposition pourrait être étudiée. C’est d’octroyer des licences à une ou des banques étrangères, ou à des investisseurs-banquiers reconnus et complètement fiables, au-dessus de tout soupçon.

Cela devrait cependant se faire à condition que ces intervenants, au lieu d’établir une nouvelle banque à partir de zéro, rachètent des établissements existants, les fusionnent dans une nouvelle institution, injectent des capitaux frais et redémarrent ainsi les opérations bancaires normales. Ce serait une façon de sauver ces banques et les anciens dépôts qui s’y trouvent.

6- Mais quel est cet établissement de commandos qui va oser prendre une telle initiative, et quel serait son intérêt? Ce ne serait pas mieux pour lui d’aller prospérer dans un pays ‘normal’?

Effectivement, l’idée est osée, à la limite téméraire. Mais pensez-y sur le long terme. Tout autre pays est déjà saturé pour les services bancaires. En y allant, ces investisseurs devront trimer pour pouvoir concurrencer des établissements déjà existants, avec une clientèle fidélisée, et une connaissance éprouvée du marché. Alors qu’au Liban le marché est largement ouvert. Les clients n’attendent que cela, un nouvel établissement sans passif. Un avenir brillant lui est pratiquement acquis.

7- Autre interrogation: pourquoi les banquiers actuels vont-ils aller brader leurs établissements à un nouveau venu alors qu’ils ont péniblement bâti leur entreprise, parfois depuis des générations? Surtout si ces établissements sont encore solvables, souffrant uniquement d’un problème de liquidités.

Certains auront effectivement du mal à s’en séparer. Mais d’autres en ont probablement marre, avec une situation inextricable qui dure, un État ennemi, des pertes qui s’accumulent, un horizon toujours bouché. Ils préféreraient limiter les dégâts et sortir du marché. Puis aller peut-être investir ailleurs.

8- Une condition cependant est absolument prérequise, c’est de promulguer des législations pour protéger cette nouvelle banque, mais aussi et surtout les autres banques existantes qui n’ont adhéré à aucune formule d’acquisition-fusion. L’objectif est, encore une fois, de préserver l’argent des déposants, anciens et nouveaux. Car l’expérience nous a appris que le pouvoir est d’une telle médiocrité qu’il peut provoquer une nouvelle crise tous les jours. Une créativité à vous couper le souffle.

Une telle législation devrait comporter une loi de contrôle de capitaux. Mais pas seulement. Des régulations devront instaurer un plan de résolution bancaire au profit des banques existantes, relancer l’activité de crédit, ainsi que d’autres mesures qui seront aussi nécessaires, si on prend la peine de laisser tomber cette idée de liquider le passé comme un vieux torchon.

Certains clamaient à une époque la nécessité de ‘’l’imagination au pouvoir’’. On n’en demande pas tant. Juste un peu moins d’inepties.

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