Sauver les dépôts bancaires des Libanais, et en même temps, contribuer à relancer l’économie : est-ce possible de réaliser ces deux objectifs majeurs à la fois ? Quelques propositions récentes semblent le confirmer.

Proposition de Tony Frangieh

Une première, partielle, est venue à travers une proposition de loi déposée au Parlement par le député Tony Frangieh en novembre dernier. En résumé, elle ouvre la possibilité aux déposants d’utiliser leurs dépôts, ou une partie, pour acquérir des actions dans des sociétés qui vont établir des unités de production électrique (gérées par des sociétés internationales). Ces actions seraient cotées à la bourse, et donc échangeables à souhait. Selon le texte, le déposant actionnaire pourrait avoir un retour sur investissement de 5% par an et récupérerait donc tout son argent au bout de 20 ans (s’il ne cède pas ses actions entre-temps). Ce système pourrait être élargi à d’autres domaines à l’avenir, comme le transport public.

Proposition de Habib Zoghbi

Une deuxième proposition, plus large, vient de l’économiste Habib Zoghbi, président honoraire de l’Association des diplômés de Harvard au Liban. Il suggère qu’une société anonyme cotée en Bourse soit constituée, dans laquelle les banques et la BDL placeraient une grande partie de ce qu’elles possèdent comme biens immobiliers propres et ceux qu’elles ont récupérés des emprunteurs défaillants. Ensuite, les actions de cette société seraient cédées aux déposants en remplacement d’une partie de leurs dépôts. Les banques et la BDL continueraient à utiliser ce dont elles ont besoin en les louant auprès de cette société. M. Zoghbi estime la valeur de ces propriétés à 10 milliards de dollars. A titre d’exemple, selon le magazine français Challenges, la BDL seule possède 1.200 propriétés.

Ainsi, la BDL et les banques auront une opportunité de rembourser à sa juste valeur une partie non négligeable de leur dette envers les déposants.

Ces propriétés seraient transférées donc à une seule société opérant sur le marché boursier, avec un dividende annuel de 3%. M. Zoghbi propose qu’en première étape chaque déposant jouirait du droit d’échanger 10% à 15% de son dépôt par ces actions.

Lorsque ces actions seront émises, les déposants pourront les vendre s’ils le souhaitent ou les hypothéquer afin d’obtenir de l’argent liquide. Le déposant bénéficierait aussi de la hausse des prix des actions lorsque le marché immobilier s’améliorera.

Cela permettra aussi aux banques et à la BDL de gagner du temps pour se réorganiser et se restructurer, et à l’État le temps d’obtenir des crédits extérieurs et de se refaire une santé.

Proposition de Carlos Ghosn

Au sommet de la pyramide, Carlos Ghosn, qu’on ne présente plus, a une idée encore plus globale et ambitieuse, qu’il a présentée lors de quelques apparitions publiques. Son intérêt est qu’elle est éprouvée puisqu’il l’a utilisée maintes fois au cours de son cheminement professionnel.

En guise d’introduction, M. Ghosn affirme d’abord que ‘’la nation libanaise n’est pas en faillite. Celui qui est en faillite c’est l’État libanais. Ce sont deux choses tout à fait différentes.’’

Il poursuit : ‘’Sortir du problème des dépôts bancaires apparemment irrécupérables est très simple. Comment ? Avec les actifs de l’État qui sont beaucoup plus importants que ce que les comptables prétendent. Les actifs de l’Etat englobent la Banque centrale, la MEA, les télécoms, les infrastructures… et 20% du territoire national. Mais il faut faire attention : pour la MEA, par exemple, ce n’est pas la compagnie d’aviation qui rapporte, c’est le monopole qu’elle a ; idem pour les télécommunications, c’est le monopole que l’État détient ; idem pour le port, l’aéroport, les permis de tout ordre que l’État donne ou ne donne pas aux exploitants. Un total qui ne sera plus 40 milliards de dollars comme le prétendent les comptables, mais beaucoup plus.’’

Selon la formule de M. Ghosn, la moitié de ces actifs pourront être conservés par l’État, et l’autre moitié sera cédée aux déposants, en remplacement de la dette qu’il leur doit. La cession serait effectuée sous forme d’actions dans des sociétés ad hoc, et les déposants auraient le droit d’acquérir, avec leur argent bloqué dans les banques, des actions au Casino du Liban, au port, à l’aéroport, sur les terrains de l’État…

L’ensemble de ces actifs, constitués en sociétés séparées, devront être gérés par des professionnels/exploitants qui seraient payés… 1 dollar par an. ‘’Ils seront en fait rémunérés en stock-options sur la valeur de ces actifs dans 5 ans s’ils font bien leur boulot.’’ Supposons que le Casino du Liban vaut aujourd’hui, selon les calculs des comptables, 200 millions de dollars. ‘’Je dis au directeur je vous paie 1 dollar et vous avez 5 ans pour redresser cette institution, et de 200 millions de dollars je veux qu’elle vaille 2 milliards, vous serez alors payé sur la plus-value’’. Cela signifie qu’on ne paie pas les managers avec l’argent du peuple, on les paie avec la valeur qu’ils vont apporter à ces actifs. Les déposants vont être remboursés, voire rémunérés au-delà de leur mise de départ : ‘’On fait une vente aux enchères à laquelle seuls peuvent participer ceux qui ont leur argent bloqué dans les banques.’’ Cela devrait revaloriser le ‘’lollar’’ et permettre aux gens de se positionner.

Carlos Ghosn conclut : ‘’Les solutions existent et elles sont simples. Ce sont des solutions de marché. Elles fonctionnent dans les entreprises, elles fonctionnent dans les pays. Les déposants vont tellement s’enrichir avec les actifs de l’État qu’ils vont en demander plus. Et ils ne vont pas fuir le Liban mais y investir.’’

D’autres solutions de ‘’pensée parallèle’’ dans la même veine sont émises parfois par des penseurs économiques. Est-ce qu’elles sont proposées directement aux responsables ? L’un de ces penseurs raconte : Lorsque j’ai expliqué mon idée à un responsable, je m’attendais à un refus de sa part ; en fait non, il n’a juste pas compris ce que je racontais, c’était comme si tout cela ne l’intéressait pas.