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Il y a quelques mois, nous avons entamé, candidement, une série économique sous le label ‘retour de la confiance’. Le premier épisode était consacré aux candidats à la présidence: qui inspire plutôt confiance, et qui va provoquer une fuite généralisée rien que par sa petite personne, son discours étant en tout cas incompréhensible? On était béatement optimiste, croyant qu’on allait assez vite passer à la prochaine étape.

Mais la série s’est arrêtée là, car l’Histoire s’est figée. Plus rien ne se passe. Cela ne va pas nous empêcher de revenir à cette histoire de confiance, car c’est la clé de la relance économique.

Toute l’économie et la vie sociale, en fait, sont basées sur la confiance. La relation de confiance non seulement précède, mais détermine la possibilité même de l’échange économique, social, amical…

Mais faisons d’abord un petit tour de cette notion parmi les grands de ce monde économique, pour en montrer l’importance.

Un des premiers théoriciens de l’affaire, Kenneth Arrow, a vu dans la confiance une "institution invisible" qui ne peut pas être achetée. Puis il affirme que parmi les facteurs caractérisant les sociétés en retard de développement économique figure le manque de confiance, qui rend plus difficile les échanges entre tout genre d’institutions, publiques ou privées.

D’autres économistes ont même réalisé une étude empirique sur 41 pays et ont trouvé une augmentation moyenne de croissance du PIB de 1 point pour chaque augmentation de 15 points de la confiance généralisée sur la période étudiée. Le revenu moyen augmente en proportion.

Un adepte de la confiance comme facteur économique, le professeur à Stanford Davis Kreps, s’est même amusé à établir une formule mathématique de la confiance avec des X et des Y, comme en algèbre (si ça vous chante, faites une petite recherche…).

Un autre économiste, Francis Fukuyama, est encore plus catégorique: ‘’Le bien-être d’une nation tient à un seul trait culturel général: le niveau de confiance inhérent à la société.’’ Pour d’autres, dont la Nobel d’économie Elinor Ostrom, la confiance explique les ‘miracles économiques’ dont l’histoire abonde, même dans des pays peu divins. C’était peut-être notre cas à un moment donné, mais maintenant?! On y arrive.

À qui peut-on faire confiance au Liban? Pas aux institutions de l’État, ce serait ridicule. Ensuite, la plupart des gens ne font plus confiance, non plus, aux banques, même si, paradoxalement, les comptes ‘externes’ grossissent tous les jours un peu plus. En tout cas, cela ne change rien puisque les banques sont peu opérantes actuellement.

Reste la confiance entre les acteurs du secteur privé. C’est le seul lien qui fait fonctionner maintenant l’économie. On a toujours dit que ce secteur est résilient, entrepreneur… mais cela est surtout vrai à cause de la confiance entre ses membres.  Et il est d’autant plus important chez nous que, faute de crédits bancaires, les crédits fournisseurs ont pris partiellement le relais: on fournit de la matière première ou des services à un entrepreneur sans exiger un paiement immédiat – on lui fait confiance.

Mais comment bâtir la confiance? Une façon de le faire est normalement de tâter l’eau du bain: une première transaction économique restreinte qui amène les partenaires, si elle est réussie, à augmenter leur engagement économique.

Dans un pays normal, ces partenaires de la transaction s’arment aussi d’une flopée d’avocats et de dispositions, de façon à boucler une bonne garantie d’exécution du contrat. Au Liban, on le fait aussi, mais sans grande conviction, car en cas de contentieux, ce ne sont pas nos tribunaux qui vont trancher (voir ci-haut l’État zombie).

En période de crise économique, c’est encore pire car la confiance prend un sens pluriel: confiance dans les autres, dans les individus, les institutions, le pays lui-même… et l’avenir.

Autrement dit, les ménages et les entreprises ont-ils suffisamment confiance dans l’avenir pour continuer à consommer et à investir? Les déposants risquent-ils tous d’aller entasser leurs nouvelles économies ailleurs? Y aurait-il encore dans quelques années des consommateurs assez aisés pour acheter mes produits? Tout se passe comme si la confiance était un ressort qui, s’il se grippe, bloque la machine tout entière. Justement, il semble qu’on n’en est pas là au Liban.

Ceci dit, faute d’un État de droit, la confiance chez nous repose sur l’existence de menaces de nature non juridique qui contraignent les agents à respecter les contrats, même tacites. Cette menace, c’est la réputation.

Dans un petit pays où tout le monde se connaît, rien ne peut être camouflé, ni une bonne, ni une mauvaise réputation. Le marché fait un triage et la machine reprend sa marche. C’est la garantie absolue, en réalité la seule, ce qui fait que des observateurs extérieurs, même bardés de diplômes, ont du mal à bien percevoir ce qui se passe et encore moins ce qui risque de se passer. Ça ne suit pas les règles acquises à Harvard.

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