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La commission des finances et du budget a mis en relief deux infractions légales dans le prélèvement de fonds des Droits de tirage spéciaux que le Fonds monétaire international avait alloué au Liban en septembre 2021. 

La commission parlementaire des finances et du budget a décidé de soumettre le dossier du décaissement des droits de tirage spéciaux à la Cour des comptes, à cause d’infractions commises par l’Exécutif.

La commission s’est réunie lundi matin en présence notamment du ministre sortant des Finances, Youssef Khalil, et du deuxième gouverneur de la Banque du Liban, Bachir Yakzan, pour discuter de la question des Droits de tirage spéciaux (DTS) alloués au Liban en septembre 2021 à la suite d’une décision du Conseil des gouverneurs du Fonds monétaire international (FMI) pour faire face à la pandémie de Covid-19 et ses effets négatifs sur les économies mondiales.

Il avait alors été décidé de distribuer les allocations de DTS afin de soutenir les liquidités des pays membres, en particulier les plus pauvres. La part du Liban était de 607,2 millions d’unités de droits de tirage, qu’il a vendues pour environ 1,140 milliards de dollars américains. Le gouvernement a déposé cette somme sur un compte spécial ouvert à cet effet à la Banque du Liban (BDL).

Les discussions en commission ont porté surtout sur le volet légal de ces dépenses et sur la responsabilité du gouvernement et de la BDL qui les ont approuvées, sans tenir compte des dispositions des lois correspondantes.

Des sollicitations sans réponse

Au terme de la réunion, le président de la commission, Ibrahim Kanaan, a annoncé que le dossier a été confié à la Cour des comptes, parce que "le décaissement des fonds des DTS par le gouvernement a été effectué en violation de la loi, sans l’autorisation du Parlement". "Aucun contrôle n’est effectué lorsqu’on s’oriente vers des comptes privés à la BDL, en dehors du cadre du Budget. C’est ce qui s’est passé avec les DTS", a-t-il dit, en expliquant qu’en réponse aux questions des députés, le ministre sortant des Finances a indiqué que "les décaissements ont eu lieu sur décision du Conseil des ministres ou sur base de notes de la présidence du Conseil". "Cela constitue une infraction car toute dépense doit être autorisée par une loi votée au Parlement, ce qui n’a pas été le cas", a-t-il ajouté.

Soulignant que toutes les sollicitations des députés sur cette question sont restées sans réponse, M. Kanaan a indiqué que le dossier a été soumis à la Cour des comptes "à cause de deux infractions principales".

Le première se rapporte à "des dépenses opérées sans contrôle préalable et sans en référer au Parlement, en violation du principe de généralité du Budget, conformément à l’article 83 de la Constitution.Ces dépenses peuvent se produire soit par le biais du budget ordinaire, d’une demande d’ouverture d’un crédit supplémentaire ou extraordinaire" La seconde concerne "l’ouverture d’un compte spécial auprès de la Banque du Liban".

Le député a estimé que le gouvernement est censé révéler sur quoi il s’est basé pour débourser environ un milliard et 140 millions de dollars appartenant au Liban. Il s’est également demandé "s’il est permis d’ouvrir un compte spécial dans une banque pour le compte d’une institution ou du gouvernement en violation flagrante de la loi"?

De son côté, le président de la commission de l’administration et de la justice, le député George Adwan a affirmé que des violations de la loi ont bien eu lieu. Il insiste sur le fait que les dépenses "au coup par coup", vont enfoncer le pays davantage dans la crise. Il a considéré que ce qui a été fait lundi en commission s’inscrit dans le cadre du rétablissement de l’ordre général.

Où sont passés ces DTS?

Jusqu’au 11 avril 2022, soit 8 mois après leur réception, le solde des DTS s’élevait à environ 1.140 milliards de dollars, et le gouvernement n’avait encore effectué aucune dépense. Depuis le 12 avril 2022, des montants des DTS ont commencé à être décaissés, et aujourd’hui, il ne reste que 10 % de ce montant, soit environ 125 millions de dollars. Cette information a été confirmée à Ici Beyrouth par des sources du ministère des Finances, qui ont précisé que la majeure partie des DTS a été engloutie par le secteur de l’électricité.

Où sont passées ces sommes colossales? Ici Beyrouth avait obtenu, de sources proches du ministère des Finances, quelques chiffres concernant ce sujet. Ainsi, parmi les utilisations notables, 13,2 millions d’euros ont été alloués au paiement de montants dus à l’Agence française de développement, 48 millions de dollars au règlement de médicaments pour les maladies chroniques, notamment le cancer, ainsi qu’à l’achat d’équipements médicaux, de lait et de matières premières pour la fabrication de médicaments. De plus, 10 millions de dollars ont été investis dans la maintenance d’installations essentielles à l’aéroport international de Beyrouth (AIB), et 6,5 millions de dollars ont été consacrés à l’élimination de produits chimiques des installations pétrolières à Tripoli.

Le gouvernement a justifié ces dépenses en les qualifiant "d’intérêt public".

Il convient de rappeler que le ministère des Finances avait annoncé le 16 septembre 2021 avoir reçu sa part des DTS du FMI, d’un montant de 1,139 milliard de dollars, qu’il avait déposé sur son compte à la Banque du Liban. À l’époque, le gouvernement dirigé par Najib Mikati avait déclaré qu’il n’utiliserait cette somme que pour financer un plan intégré visant à aider le Liban à sortir de sa crise, ainsi que pour financer des projets de développement. Cependant, aujourd’hui, il ne reste qu’environ 125 millions de dollars du montant initial de ces DTS, qui sont désormais inscrits dans la catégorie des engagements de réserves en devises de la BDL. Ces sommes ne peuvent être utilisées librement par la BDL et ne peuvent être débloquées que sur demande de l’État.