Avec plus de mille produits, l’industrie pharmaceutique libanaise jouit d’un potentiel de croissance important sur le marché. Marché local d’abord pour combler les pénuries des médicaments importés, puis international. Reste à minimiser les effets secondaires générés par l’absence d’un État.

Le Liban faisait partie des marchés pharmaceutiques de la région MENA dont la croissance est la plus rapide, avec une taille annuelle du marché de 1,5 milliard de dollars, du moins avant le déclenchement de la crise financière. Pour 2020 et 2021, les statistiques sont moins précises.

Au-delà des chiffres globaux, il est intéressant de noter le rôle de plus en plus essentiel de l’industrie locale. Un succès entre autres imputable au savoir-faire technique et à la variété des produits. Selon le syndicat des industries pharmaceutiques du Liban (SPIL), cette industrie a connu une augmentation de 30% de ses ventes en 2020 par rapport à l’année précédente, mais sa part sur le marché, qui n’était que de 11% avant la crise, reste bien inférieure aux importations, même s’il est difficile de l’estimer correctement.

Côté officiel, en juin dernier, une décision du ministère de la Santé imposait, entre autres mesures, la fin des importations de médicaments lorsque ceux-ci possèdent deux équivalents issus de la production locale. Une décision pas toujours mise en œuvre. La production locale profite aussi depuis 2019 des subventions de la BDL sur l’importation des matières premières. Encore une décision qui est partiellement appliquée. Il reste que le prix des médicaments locaux est souvent, mais pas toujours, plus avantageux que celui des génériques importés. La présidente du SPIL, Carole Abi Karam, s’est d’ailleurs engagée à fournir une alternative abordable et de qualité aux Libanais. Contactée à ce sujet pour fournir plus de détails, elle n’a pas souhaité s’exprimer.

Les principaux acteurs

Le Liban peut compter actuellement sur 11 sociétés locales. Benta Pharma Industries, Algorithm, et Pharmaline, dont les parts de marché cumulées atteignent 80 % du marché local, en sont les trois principaux acteurs. Arrivent ensuite Alfa Laboratories, Arwan, Chapha, Mediphar Laboratories, Mephico, Pharmadex, Pharma M et Serum Products. Ces entreprises proposent une gamme diversifiée de produits accrédités (voir la lise PDF ci-jointe). Ainsi Benta Pharma et Arwan produisent des médicaments biosimilaires, c’est-à-dire similaires à des médicaments biologiques obtenus à partir d’une cellule ou d’un organisme vivant. Alfa Labs et Serum Products, quant à eux, élaborent des produits plus industriels comme des solutions intraveineuses. Au total, plus de 1160 remèdes sont fabriqués localement. Certains le sont sous licence. Pharmaline dispose par exemple d’accords avec Pierre Fabre en France et Merck en Allemagne. D’autres, ou les mêmes, fabriquent des génériques propres à eux. Près de 21% des génériques sur le marché sont fabriqués localement.

Les obstacles

Mais l’industrie locale se heurte à un certain nombres d’obstacles du fait des coûts de production élevés. Ceux-ci sont dus à des difficultés financières et logistiques, dont ce fameux secteur électrique chaotique. A cela s’ajoute une méfiance, parfois injustifiée, du consommateur et du médecin local envers les médicaments génériques ou locaux. Selon un rapport de Blombank paru en 2018, les médicaments originaux sont prescrits dans 61% du total des ordonnances. Les pharmaciens que nous avons interrogés déclarent cependant que la méfiance des consommateurs vis-à-vis des produits locaux est en train de s’estomper progressivement.

Secteur en mutation

Cette situation favorable contraste cependant avec une situation étrange : les médicaments produits localement connaissent eux aussi une pénurie.Cela s’explique par différentes causes, comme des difficultés à suivre le rythme de la demande alors que les investissements sont devenus plus laborieux, vu la difficulté d’obtenir des crédits bancaires ou des dollars frais. Une autre raison est que les entreprises locales préfèrent parfois exporter une partie de leurs produits afin d’augmenter les bénéfices ou d’obtenir ces dollars frais dont ils ont besoin. Une autre raison est liée à la contrebande vers la Syrie (ou d’autres pays) qui touche à la fois les produits importés et locaux.

Le secteur pharmaceutique libanais est donc en pleine mutation. Plus que jamais, ses principales entreprises se tournent vers l’international. Les pays arabes en sont les principaux clients. En 2017, 83% des exportations libanaises de médicaments y étaient destinées, selon un rapport de l’Autorité des investissements au Liban (IDAL), paru en 2018. L’Irak arrivait en tête (23%), suivi des Emirats arabes unis (21%) et du Koweït (19%). Mais certains marchés restent difficilement accessibles. C’est le cas de la Jordanie et de l’Egypte dont les gouvernements protègent la production locale. Selon le rapport précité, les exportations ont connu un taux de croissance annuel moyen de 11% entre 2014 et 2017 (contre seulement 4% pour les importations).

Malheureusement, comme indiqué, les statistiques pour les années de crise, à partir de fin 2019, sont peu fiables et trop fragmentaires pour qu’ils puissent permettre une comparaison crédible. Avec l’activité de la contrebande, le flux d’aides en médicaments qui ont parfois inondé le marché, les subventions détournées de leur objectif, on est arrivé à une situation un peu chaotique. Il n’en demeure pas moins que la crise actuelle reste une opportunité pour un essor durable de l’industrie locale.

Sociétés pharmaceutiques libanaises (1)