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Les finances de l’État font le show ces temps-ci. Elles tiennent la vedette, occupent les gros titres des médias et les intros des journaux télévisés avec leur prose à la Ibn Battouta. Tout cela parce qu’on est à l’aube d’une ère nouvelle: le budget de l’État a été présenté et risque d’être adopté à temps, et ce pour la première fois depuis presque 20 ans! Les yeux du monde entier sont ébahis devant cette réalisation. Alors on multiplie les discours d’apparat, les gonflages des poumons, les postillonnages sur les caméramen. Il est donc grand temps qu’on remette l’horloge financière à l’heure, s’il y en a encore une qui tourne dans la sphère étatique:

  • Nagib Mikati, étincelant de fierté pour sa gestion des affaires, estime que 2023 a connu un excédent des finances publiques, pour la première fois depuis des décennies. Première remarque: vous n’êtes pas obligés de le croire. C’est que, depuis 2005, il n’y a pas eu de ‘clôture des comptes’ de l’année, un document qui doit être dûment vérifié et approuvé par la Cour des comptes et le Parlement, comme le stipule la Constitution. En attendant, on peut dire n’importe quoi.
  • À supposer que cela soit vrai, cet excédent serait le fruit d’une pratique financière qui va au-delà de l’austérité, et s’approche de la tricherie. Pour réduire ses dépenses, le gouvernement n’honore plus ses engagements sur les eurobons ni les intérêts des bons de trésors (en LL) à la banque centrale, ne fournit plus de quoi subsister aux municipalités, aux hôpitaux, aux écoles, à la CNSS… et à sa propre armée de fonctionnaires. Ne prend même pas la peine de boucher un trou béant sur l’autoroute, déboucher les conduits d’eau de pluie, ou éclairer un tunnel. Et il ne calcule pas les ‘avances de trésor’ qu’il distribue aux ministères, en supposant qu’ils sont récupérables alors qu’ils ne vont jamais l’être.
  • Mikati n’enorgueillit même à Davos qu’il a pu gérer le pays en 2022 avec des dépenses de 750 millions de dollars, alors que le budget de 2019 était de 17,2 milliards. ‘Gérer’ dans ce cas est un euphémisme monumental. Mais cela provoque quand même une question fondamentale: si on peut gérer le pays avec 750 milliards de dollars, cela voudrait-il dire qu’on a dilapidé 16,5 milliards en 2019?
  • Rebelotte pour le budget 2024 en passe d’être promulgué par le Parlement, ou, à défaut, par le gouvernement. Rien ne va changer, à part une plus lourde fiscalité qui va accentuer l’évasion fiscale (on y reviendra dans un autre laïus). Mais les responsables restent optimistes. Ils prévoient que le déficit prévu au départ risque de se muer en excédent pour au moins deux raison visibles: d’abord on a découvert au ministère des Finances une nouvelle rentrée d’argent, ou une erreur de calcul. Question de calculatrices défaillantes probablement.

Deuxième apport dans le chapitre recettes, les cadastres, principale source de revenus, vont rouvrir leurs portes. Ce qui est étonnant, c’est qu’il a suffi d’un appel du ministre des Finances pour reprendre du service. Un appel tardif qui survient après 14 mois de fermeture et 50.000 dossiers accumulés.

Mais, pourquoi avoir tant attendu pour débloquer la situation? Cela reste un mystère pour certains. Mais, en réalité, ça ne l’est pas vraiment, il s’agit juste d’une façon, encore une, de sanctionner une région (le Mont-Liban) qui est le cœur économique du pays, et de poursuivre l’œuvre de déconstruction de l’État.

  • Côté dépenses, le budget n’en prévoit presque aucune dans le volet investissement, justement le genre de dépenses qui favorise la croissance. Même les projets pluriannuels programmés vont être à l’arrêt. Le ministre des Travaux publics, pourtant d’une inefficacité rigoureuse, crie au désespoir. Le budget 2024 ne couvrirait que 20% des besoins minimaux d’entretien des routes.  Ce qui n’est pas nouveau, le trou qui a fait éclater vos pneus en 2020 est toujours là, et l’affaissement de la voirie sur l’autoroute de Chekka bloque toujours la circulation sur ce tronçon.
  • Pour pallier les besoins insatisfaits, le gouvernement compte donc toujours sur les assistances internationales, considérant que c’est un droit acquis. Or, la communauté internationale commence à en avoir marre de financer cette addiction à la drogue des aides dans ce pays qui ne sait pas gérer au minimum ses affaires.

Et le bal s’est ouvert avec le programme d’aide aux pauvres Aman. Mais, le ministre des Affaires sociales ne l’entend pas de cette oreille et crie au scandale lorsqu’on lui apprend que les 147 millions de dollars annuels vont être réduits à 33 millions. Ce qui fait qu’on en a encore de l’argent disponible seulement pour fin mars.  Il faisait même semblant d’être choqué.

Selon le scénario le plus plausible, on a dû lui expliquer que des évènements dramatiques se passent ailleurs dans le monde, que des tragédies monumentales sollicitent leur aide, et que leurs budgets sont déjà minés par l’inflation, alors que leurs propres populations perdent de leur pouvoir d’achat.

Et il a dû leur répondre ce que ce mendiant dans le célèbre musical londonien ‘Fiddler on the Roof’ a répliqué à un voisin qui lui a filé un Kopek (ancienne petite monnaie en Europe de l’Est):

– …But last week you gave me two Kopeks!

– I had a bad week

– If you had a bad week, why should I suffer?

[email protected]

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