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La décision du Conseil d’État invalidant l’article sur la suppression d’une grande partie des engagements en devises de l’État envers la Banque du Liban, énoncée dans le plan de redressement économique du gouvernement en date du 20/5/2022, tranquillise un tant soit peu les déposants et les banquiers. Quant aux questions de quand et comment récupérer les dépôts, elles demeurent "récurrentes" et "légitimes".

Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas, disait un philosophe chinois. C’est ce qu’a fait le Premier ministre sortant, Najib Mikati, en endossant les conclusions de la décision du Conseil d’État moins de quarante-huit heures après sa publication, mardi dernier.

Celui-ci avait accepté, sur la forme et le fond, un recours présenté par l’Association des banques du Liban (ABL) contre un article du plan de redressement du gouvernement prévoyant la suppression des engagements de la Banque du Liban, en devises, à l’égard des banques libanaises. La conséquence directe de cette mesure aurait été l’élimination des dépôts bancaires et une destruction du secteur.

Najib Mikati s’est donc placé sous l’autorité de la loi, sachant que la décision de la juridiction administrative est contraignante pour le pouvoir Exécutif. Elle est opposable à toutes les parties et bénéfice de l’autorité de la chose jugée.

Dans son jugement, le Conseil d’État a considéré l’article sur la suppression des engagements financiers de la Banque du Liban (BDL) envers les banques comme une violation des dispositions de la Constitution libanaise et d’une série de lois en vigueur, dont le Code de la monnaie et du crédit qui régit, entre autres, les relations entre la BDL et les banques. Ainsi, la décision de la juridiction administrative a confirmé le caractère "sacré" des dépôts, consacré dans la Constitution sous le chapitre relatif à la propriété privée.

Des fonds dépensés

Le chef du gouvernement d’expédition des affaires courantes a reconnu mercredi, lors d’une rencontre avec des journalistes économiques, que "les dépôts bancaires de 140 milliards de dollars se sont évaporés, et l’État en est responsable à cent pour cent".

Plus nuancés sont les propos de l’avocat de l’ABL, Akram Azouri, qui a indiqué que "les fonds empruntés par l’État à la BDL ont été dépensés", un fait souligné dans le rapport d’audit juricomptable du consultant Alvarez & Marsal.

Il est donc clair que les dispositions du jugement du Conseil d’État n’ont pas d’effets immédiats, mais elles posent les jalons d’une étape de sortie de crise.

La crise de 2019

Ce qui est arrivé au quatrième trimestre de 2019 est une crise "systémique", qui a touché de plein fouet, entre autres secteurs, celui des banques. Ce dernier s’est retrouvé en butte à une crise de liquidités sans pareille dans son histoire. En d’autres termes, la crise, qui s’est déclenchée en octobre 2019, était une crise latente, de longue date.

Constitution graduelle

Le principe de la dette de l’État envers la BDL étant à présent acquis et confirmé, la reconstitution des dépôts et leur restitution graduelle coulent de source. Cela dit, les dommages collatéraux de la crise systémique subis par les déposants ne peuvent pas être effacés. La détermination des délais relève des détails qui seront fixés par le rythme de recouvrement de la santé des actifs de l’État.  

Un système corrompu

Vu les conditions conjoncturelles de corruption dans lesquelles se trouve aujourd’hui le Liban, une restructuration des banques s’avère inefficace, parce que pratiquement toutes les banques ont perdu leurs capitaux propres. Parallèlement, toute injection de liquidités de la part des actionnaires actuels des banques ou d’entités financières étrangères n’est pas envisageable.

A priori, l’État, dans toutes ses composantes, doit arrêter ses interférences auprès de la BDL et reprendre en main le contrôle de ses infrastructures aéroportuaires, en laissant le secteur bancaire se refaire une santé, fondée sur la confiance.

C’est cette confiance qui avait fait des banques libanaises le fleuron du secteur au Proche-Orient.

Un défaut de paiement peut se faire, mais seulement d’une manière organisée, ce qui n’a pas été le cas sous le gouvernement de Hassane Diab.

La semaine prochaine, l’ABL prendra la place de la BDL dans le cadre d’un recours auprès de la juridiction administrative afin de contraindre l’État à lui rembourser sa dette.

Ce recours s’inscrit dans le cadre d’une action menée par onze banques libanaises qui ont lié le contentieux, il y a deux mois, pour le préjudice subi comme prêteur de la BDL, du fait que celle-ci n’a pas réclamé à l’État le remboursement des montants qu’elle lui a prêtés.