Écoutez l’article

Les publicitaires attendaient l’année 2023 avec un certain enthousiasme après une année 2022 relativement encourageante. Les élections parlementaires, la facturation progressive en dollars frais et une période de fêtes très active avaient stimulé un net progrès l’année dernière, après la chute spectaculaire des investissements publicitaires média en 2020 et 2021 (-90%), à la suite de la crise financière qui avait frappé le pays en 2019. Tous les signaux étaient passés au vert et annonçaient une nouvelle année dynamique. Retour sur une année chaotique où tout n’a pas été si simple.

Le premier trimestre a été l’un des plus catastrophiques des débuts d’année, en termes d’investissements publicitaires. La chute vertigineuse de la livre libanaise, atteignant 140.000 LL le dollar en mars, a complètement perturbé les marchés et mis les commerçants à rude épreuve. Ajoutez à cela un tremblement de terre et un hiver rigoureux… vous aurez toutes les conditions nécessaires pour rendre les consommateurs encore plus frileux qu’ils ne l’étaient déjà. Il faut signaler aussi que les possibilités de faire la promotion des marques en début d’année (soldes, Saint-Valentin, fête des mères, Pâques) ne sont plus très prisées par les annonceurs qui ne voient plus un retour sur investissement.

La situation s’est heureusement améliorée à partir de mai-juin pour atteindre un sommet en juillet-août avec l’arrivée des émigrés et des touristes. Nouvelles campagnes, nouvelles marques, nouveaux produits ont stimulé le marché publicitaire. Signe de confiance: les grands annonceurs multinationaux (Procter & Gamble, Unilever, Nestlé, L’Oréal…) ont entamé des campagnes, certes encore timides en affichage, pour la première fois depuis trois ans. Certaines banques ont également lancé des campagnes prudentes pour promouvoir des cartes de paiement en dollars frais.

Nouveau coup dur en octobre. Alors que les réservations pour la période des fêtes de fin d’année allaient bon train, la guerre à Gaza et ses répercussions au Liban-Sud ont entraîné des annulations de campagne en masse.

Année confuse donc avec ses éclaircies et ses zones d’ombres.

Pour finir, l’année a connu une croissance notable dans le domaine des investissements publicitaires média, atteignant un total évalué à 34-35 millions de dollars. Cela représente une augmentation significative (+46%) par rapport à l’année précédente (24 millions de dollars), bien que toujours nettement en deçà des années prospères lorsque ces investissements culminaient à 150 millions de dollars.

La répartition des dépenses

Comment se sont réparties ces dépenses publicitaires? Quels médias ont bénéficié de cette croissance? Ces questions sont abordées à travers une analyse basée sur des données fiables collectées par Ici Beyrouth auprès des principaux acteurs du marché publicitaire, offrant ainsi un aperçu clair de la situation au Liban.

La publicité TV est en croissance avec un total de 13-14 millions de dollars d’investissements et reprend sa place de média numéro 1 au Liban. La publicité "Affichage" est en forte baisse – la publicité politique avait boosté l’année 2022 – et est évaluée à 8 millions de dollars (-33% en moyenne). Les afficheurs vont connaître une année difficile avec une augmentation considérable des frais de location et des taxes de la part des municipalités. La publicité radio et la presse écrite stagnent à environ 1 million de dollars par type de média.

C’est historique! La part de la publicité numérique dans le total des investissements représente désormais un tiers du volume total et devient un média prédominant au Liban. Elle a enregistré un bond substantiel et sert de locomotive à tout le secteur. Un marché évalué à 10-11 millions de dollars. Cette évolution, après trois ans de chute, s’explique par plusieurs facteurs: la mise en circulation de cartes de paiement en dollars frais, la mode des ventes en ligne à laquelle se sont habitués les Libanais durant la période de Covid-19, la facilité des transactions sur les plateformes internationales (Facebook, Instagram, Google…) et une efficacité maximale pour un moindre coût. Ce secteur attire aussi bien les gros annonceurs, que les petites entreprises, les commerçants et les influenceurs. Seul bémol mais qui est de taille: ces investissements profitent aux grands groupes étrangers (90% des investissements) et ne sont donc pas réinjectés dans l’économie locale. Il y a donc une occasion tangible pour les sites Web locaux de saisir leur part du gâteau publicitaire en se réinventant et en offrant aux annonceurs davantage de formats attractifs.

À noter qu’une autre embellie est venue du secteur hors médias avec la reprise des salons et évènements culturels qui avaient d’ailleurs commencé fin 2022 offrant ainsi de nouvelles possibilités de promotion et de partenariat aux annonceurs: le e-motor show – salon des voitures électriques, le Whisky Live, le Vinifest, Beyrouth Livres, Royal Wedding Fair, Beirut Cooking festival, le Salon du chocolat, Horeca…

En dépit de la conjoncture toujours incertaine, l’année dernière a donc témoigné d’une résilience remarquable du secteur publicitaire libanais. Les défis ont été nombreux, mais les avancées notables indiquent un potentiel de croissance encore plus grand pour l’avenir, envisageant ainsi une perspective optimiste pour le paysage publicitaire au Liban.

* Naji Boulos est Président de l’IAA (International Advertising Association) Chapitre Liban