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Une fois de plus, l’économie libanaise paie cher, voire très cher, le prix de la guerre entre le Hezbollah et Israël. Les pertes se chiffrent à quelque deux milliards et demi de dollars, selon les premières estimations, dans un pays exsangue.

Le conflit militaire entre le Hezbollah et Israël est certes loin d’être fini pour pouvoir en évaluer l’impact sur un Liban en butte à de nombreuses difficultés. Les premières estimations du coût des destructions découlant des attaques israéliennes contre le pays, depuis que le Hezbollah a décidé d’ouvrir le front sud, sont cependant révélatrices. Plusieurs instituts de recherche et de statistiques s’accordent à dire qu’elles tournent autour de deux milliards et demi de dollars sans oublier la contraction évidente de l’économie.

L’économiste en chef de la Byblos Bank, Nassib Ghobril, évoque ce dernier point, en soulignant que le 7 octobre, date à laquelle le Hamas a lancé une attaque contre Israël, a changé la donne au Liban. "Selon mes estimations, la croissance économique devait atteindre 2% en 2023, ce qui aurait été la première année de croissance depuis 2017 grâce à l’activité touristique et la reprise dans les secteurs de l’industrie, des services et de l’agriculture", indique-t-il, avant d’ajouter que "la stabilité du taux de change a contribué à une activité positive jusqu’au 7 octobre" 2023.

L’ouverture du front sud a balayé tous ces espoirs. "Après le choc, c’est le secteur touristique qui a le plus souffert puisqu’en octobre les touristes étaient encore au Liban. Des conférences et des ateliers de travail étaient prévus dans le pays. Même la consommation a changé. Les Libanais se sont concentrés sur les achats essentiels. Un coup de frein a été également donné aux investissements", relève M. Ghobril, pour qui, tout au mieux, la croissance serait d’environ 1%. Il souligne toutefois qu’il est un peu tôt pour donner un chiffre exact. "L’activité au dernier trimestre 2023 a connu un ralentissement avec une activité économique pratiquement paralysée au Liban-Sud. Les conséquences de cette guerre qui, même si elle est concentrée dans la partie méridionale du pays, se répercutent sur l’ensemble du pays. Nous sommes dans l’incertitude la plus totale. Tout le monde attend", indique-t-il.

Selon lui, trois scénarios se profilent pour l’économie libanaise. Le premier se rapporte au statu quo actuel, c’est-à-dire à la poursuite de la guerre au Liban-Sud, à laquelle il donne une probabilité de 40%, avec une contraction économique de 0,5%. Le deuxième scénario est une guerre totale avec une probabilité de 40%. Pour lui, ce serait un véritable désastre qui induirait une contraction de l’économie de 20%. Le troisième serait un cessez-le-feu définitif qui entraînerait une croissance d’environ 1% au Liban.

M. Ghobril soutient que plus la guerre se prolonge, plus le coût sera lourd, même si l’activité économique semble normale. "Il existe un manque à gagner, des opportunités perdues, des projets d’investissement repoussés et un manque de confiance", insiste-t-il.

Le secteur agricole touché de plein fouet  

Le secteur agricole a été le plus touché par les bombardements au Liban-Sud. Cette région, qui bénéficie de conditions agro-climatiques favorables, est hautement productive. Elle représente environ 80% du produit intérieur brut (PIB) du Liban-Sud. Près de 65% de la population du sud travaille dans le secteur agricole.

Le ministre sortant de l’Agriculture, Abbas Hajj Hassan, évalue les pertes du seul secteur agricole à "plusieurs milliards de dollars", en insistant toutefois sur le fait qu’il s’agit d’une estimation théorique puisque la guerre n’a pas pris fin. Ce qui est certain, c’est que la destruction des récoltes et de terres agricoles, la pollution chimique, à cause des bombes au phosphore notamment, ainsi que l’impact sur le bétail ou l’apiculture menacent gravement l’économie locale.

Selon des sources au ministère de l’Agriculture, les incendies ont ravagé six millions de mètres carrés de forêts, des oliveraies et autres plantations. Les chiffres préliminaires sont affolants: 60.000 oliviers et entre 4.000 et 5.000 arbres de diverses espèces (chênes et pins) ont été détruits. En outre, 55% des bois ont été brûlés et 35% des arbres fruitiers ainsi que 10% des herbes aromatiques (persil, menthe, coriandre) ont été endommagés, selon les mêmes sources.

Les cultivateurs de tabac ne pourront pas non plus planter cette année puisqu’ils ne peuvent pas accéder à leurs terrains (la production est d’environ deux millions de kilos de tabac, ce qui représente 55% de la production à l’échelle du pays et engendre plus de dix millions de dollars de revenus).

Pour ce qui est des fruits et des agrumes, sur une superficie cultivée de 7.500 hectares, le sud génère, à lui seul, 72% des revenus de ce secteur (16.250.000 dollars sur 22.500.000 dollars au total). Le sud produit 22% des fruits et agrumes du Liban et 38% des olives du pays. Toutes ces cultures génèrent des revenus vitaux pour les habitants de la région, en particulier dans les villages frontaliers.

À noter que ces derniers fournissent 5.000 des 25.000 tonnes d’huile d’olive produites chaque année au Liban. Ainsi, les pertes subies lors des bombardements peuvent affecter jusqu’à un cinquième des bénéfices de la production libanaise d’olives, qui s’élèvent à près de 23 millions de dollars.

Déclin des exportations

Interrogé par Ici Beyrouth, un expert agricole explique qu’il est possible de replanter les terres, mais qu’il faut d’abord nettoyer et vérifier que le sol et l’eau n’ont pas été contaminés par le phosphore blanc. D’importants investissements financiers et techniques sont nécessaires pour rétablir la pleine productivité.

Le Pnud estime, dans un rapport, que la destruction et la pollution ont non seulement affecté les cultures, mais également le bétail, les volailles et l’aquaculture, avec une menace directe sur la santé humaine et animale. Les bombes au phosphore blanc ont rendu certaines zones inadéquates aussi bien à l’agriculture qu’à l’élevage.

De même, et toujours selon le ministère de l’Agriculture, 340.000 poules et 970 têtes de bétail ont été tuées, alors que 91 serres et 310 ruches ont été détruites.

Destruction de bâtiments

Outre l’agriculture, le Conseil du Sud avance le chiffre de 900 bâtiments totalement détruits et 10.000 maisons sérieusement endommagées. Près de 20% de ces demeures sont inhabitables et présentent un risque d’effondrement. Une vingtaine d’usines et de sociétés ont été détruites. Les bombardements israéliens ont également anéanti des centaines de voitures et de machines agricoles.

La guerre a en outre porté un coup dur à l’industrie touristique, qui représente 20% du PIB du pays. Si les expatriés libanais reviennent au pays, les touristes étrangers, eux, ne seront pas au rendez-vous, tant que les hostilités se poursuivent.

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