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Le gouverneur par intérim de la Banque du Liban, Wassim Mansouri, planche pour le moment sur une nouvelle approche pour résoudre la crise endémique des dépôts bancaires et proposer ainsi un règlement équitable aux déposants.

Entre-temps, à chaque fois que la question du taux de change est soulevée, M. Mansouri  affirme, catégorique, "qu’aucun nouveau taux n’est envisagé", en réponse notamment aux spéculations sur la possibilité, pour le ministère des Finances, de fixer à 25.000 livres libanaises, le taux de change pour les retraits bancaires des dépôts en lollars (les dollars retirés en livres libanaises) au lieu des 15.000 actuelles. Une telle mesure, soit dit en passant, devrait se faire en accord avec la présidence du Conseil des ministres.

Le taux de change officiel reconnu par la Banque du Liban est toujours de 89.500 livres libanaises pour un dollar. Il est en vigueur depuis que les banques ont été contraintes de l’appliquer sur leurs budgets et sur les déclarations financières régulières, en alignement avec le taux de change sur le marché parallèle.

M. Mansouri considère que le Liban a franchi une étape majeure dans le processus d’unification des taux de change, dans lequel la BDL voit un signe de stabilité solide et résiliente.

La question du taux de change des retraits bancaires pose cependant une autre problématique.

Il faut d’abord savoir que les demandes des déposants pour revaloriser le taux auquel ils retirent leurs fonds libellés en dollars, se font de plus en plus pressantes. Ces derniers exigent, dans un souci de protéger la valeur de leurs fonds, un nouveau taux de change équivalent à celui en vigueur, d’autant que le taux de prélèvement, actuel, sur la valeur des dépôts réels, c’est-à-dire les décotes, atteint plus de 80%.

Bien que favorable au taux de 25.000 livres pour les retraits des fonds libellés en dollars, le ministre sortant des Finances, Youssef el-Khalil, refuse d’assumer seul la responsabilité de cette augmentation, exigeant l’accord préalable du Conseil des ministres et du gouverneur de la BDL.

Or Wassim Mansouri reste catégoriquement opposé à cette mesure. Pour lui, le taux officiel reste de 89.500 livres et tout relèvement devrait tenir compte de cet élément. Mais pour pouvoir appliquer le taux officiel aux retraits bancaires, le gouvernement et le Parlement doivent assumer leurs responsabilités à cet égard, en approuvant une série de lois qui permettraient de contrôler la masse monétaire en livres libanaises sur le marché. La loi sur le contrôle des capitaux fait partie des textes qui doivent être votés.

Ces votes devraient cependant s’inscrire dans un plan de réforme global qui stabilise le taux de change et que les autorités s’abstiennent toujours de mettre en place.

Or, tant que les autorités restent réfractaires à la mise en place de réformes, Wassim Mansouri refuse d’approuver toute décision qui entraînerait une déduction importante de la valeur des dépôts bancaires. "Pour fixer un taux de change qui entraînerait une décote sur les dépôts, il est nécessaire que le Parlement adopte une loi à cet effet", insiste-t-il, avant d’ajouter que "si la Banque centrale approuve une décision en ce sens, même si elle est prise par le ministère des Finances en accord avec le Conseil des ministres, elle serait en train de contrevenir au Code de la monnaie et du crédit, ainsi qu’à la réglementation de la BDL".

Entre-temps, la Banque du Liban continue de contrôler le volume de la masse monétaire sur le marché, grâce aux mesures qui ont contribué à maintenir la stabilité du taux de change du dollar sur le marché parallèle depuis plusieurs mois, dans le contexte d’une dollarisation généralisée qui a réduit la demande sur la livre libanaise.

La BDL ramasse toujours les livres libanaises, réduisant ainsi le volume de la masse monétaire de 83 milliards de livres au début de 2023 à environ 61 milliards de livres actuellement.

En coordination avec le ministère des Finances, elle a réussi à couvrir environ 681 millions de dollars, ce qui a également permis de maintenir la stabilité du taux de change.

Ses réserves en devises étrangères ont en outre grimpé à environ 9,5 milliards de dollars, grâce à un contrôle strict de la masse monétaire. Cela a contribué au succès du mécanisme visant à attirer les excédents de dollars des entreprises et des institutions en manque de liquidités en livres libanaises, sans que la BDL ne revienne sur sa décision de ne pas toucher à ces réserves ou de cesser de financer l’État libanais. Cette approche limite aussi la couverture des dépenses aux seuls revenus et comptes disponibles de l’État.

Facteurs politiques et sécuritaires

La stabilité actuelle du taux de change dépend également de nombreux autres facteurs, politiques et sécuritaires internes, dont bien entendu le risque d’élargissement du conflit avec Israël.

Il est évident qu’une tension potentielle pourrait émerger entre le gouvernement et la Banque du Liban une fois ce conflit terminé, notamment au cas où la BDL serait sollicitée pour financer le redressement économique et sécuriser des dollars à cet effet.

Dans ce dossier, la position de Mansouri reste on ne peut plus claire: il n’est pas question pour la BDL de financer l’État et de toucher à ses réserves obligatoires, même dans des circonstances critiques.

Si, entre-temps, le conflit entre le Hezbollah et Israël s’aggrave et si l’État a besoin de fonds, la BDL est tenue de les lui fournir, partant du fait que la guerre est un cas de force majeure, mais seulement sur base d’une loi qui sera votée par le Parlement.

Cette intransigeance de la BDL s’explique, entre autres, par le souci de préserver les dépôts bancaires, d’autant que le gouvernement actuel, à l’instar de ses prédécesseurs, n’a pas réussi à élaborer un plan équitable garantissant le remboursement de ces dépôts au lieu de les annuler.

Rappelons que le gouvernement Mikati a prévu, dans sa "Stratégie de redressement du secteur financier", élaborée par le vice-président du Conseil, Saadé Chami, l’annulation d’une grande partie des obligations en devises étrangères de la BDL envers les banques, ce qui aurait porté le coup de grâce à ces établissements qui seraient dans l’impossibilité totale de rembourser leurs clients. Le Conseil d’État avait cependant annulé la clause correspondante en raison de son anticonstitutionnalité.

Ces obligations, d’une valeur approximative de 60 milliards de dollars, correspondent aux dépôts des déposants, comme l’a relevé le Conseil d’État dans son jugement.

Finalement, le plan de Saadé el-Chami et du gouvernement Mikati ne diffère ni dans le fond ni dans la forme du plan du gouvernement de Hassane Diab concernant la gestion des dépôts bancaires.

Cette approche était surtout en phase avec le plan mis en place avec le Fonds monétaire international, notamment en ce qui concerne la remise à zéro des compteurs, pour amorcer un redressement. Cela signifie que toutes les pertes auraient été supportées par les déposants et les banques, ce qui aurait entraîné la destruction totale de ce qui reste de ce secteur.

À l’heure actuelle, et dans l’attente de la mise en place d’un plan de restructuration des banques et d’une feuille de route pour la prochaine phase, les déposants s’en remettent aux circulaires 166 et 158. La circulaire 166 permet le retrait de 150 dollars par mois, tandis que la 158 prévoit le retrait d’un montant compris entre 300 et 400 dollars par mois, permettant ainsi aux déposants d’accéder à une partie de leurs dépôts. Cependant, plusieurs complications sont survenues, allant de la suspension totale à l’application partielle par les banques de ces autorisations de retraits mensuels de dollars, après la suspension, au début de cette année, du mécanisme de retrait qui était prévu par la circulaire 151.

Celui-ci permettait une allocation mensuelle de 1.600 dollars, convertis à un taux de 15.000 livres libanaises pour chaque dollar, soit un total de 24 millions de livres. Avec la suspension par la Banque centrale du taux de 15.000 livres libanaises pour le dollar et l’impossibilité pour les banques d’appliquer sans contraintes ni procédures claires le taux de 89.500 livres libanaises, ce mécanisme a fini par être suspendu.

Quant à la circulaire 166 qui l’a remplacé et qui autorise le retrait de 150 dollars seulement en espèces, quel que soit le nombre de comptes dans une ou plusieurs banques, son principal problème réside dans la durée nécessaire pour vérifier l’éligibilité du déposant qui souhaite y souscrire.

Quoi qu’il en soit, le règlement de la question des dépôts et du taux de change reste tributaire des décisions et des plans que le gouvernement est censé adopter et mettre en œuvre, dans la perspective d’un redressement monétaire, financier et économique.

Quant à l’approche sur laquelle planche Wassim Mansouri pour résoudre la crise des dépôts bancaires, elle devrait, pour réussir, être associée d’une série de décisions gouvernementales et de mesures législatives cruciales. Pour l’instant, les contours de cette nouvelle proposition n’ont pas encore été révélés.