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Le Conseil d’État a rejeté un recours visant à obtenir la levée de la suspension d’une décision unilatérale du Premier ministre sortant, Najib Mikati, de renvoyer, au Parlement, la loi libéralisant les loyers non résidentiels et préservant les droits des anciens propriétaires.

On constate une évolution significative au niveau du dossier des baux commerciaux. En effet, le Conseil d’État a adopté, le 30 mai dernier, une décision avant dire droit, numéro 215, pour rejeter un recours contre une autre décision avant dire droit qu’il avait prise le 4 avril 2024 et qui porte le numéro 160. Dans cette dernière, il avait suspendu l’exécution d’une décision du gouvernement prévoyant le renvoi à la Chambre de la loi qui libéralise les loyers non résidentiels et préserve les droits des anciens propriétaires. Elle avait été adoptée le 15 décembre 2023 par le Parlement.

Après avoir examiné le dossier du recours, le rapport du conseiller-rapporteur et celui du commissaire du gouvernement, le Conseil d’État a relevé qu’aucun élément nouveau – pratique ou juridique – ne justifiait de revenir sur la décision de suspendre l’exécution du décret-loi litigieux renvoyant au Parlement la loi sur les loyers non résidentiels.

La décision du Conseil d’État, qui doit encore statuer sur le fond, est importante dans la mesure où elle montre que cette instance jugerait la loi sur les baux commerciaux comme étant exécutoire et devrait être publiée au Journal officiel, conformément aux règles.

Elle met surtout en relief le sempiternel problème entre les locataires et les propriétaires de vieux bâtiments, dans lequel le Premier ministre sortant, Najib Mikati, est cette fois, devenu partie.

Ce problème ne fait que s’aggraver depuis que M. Mikati a cédé à la pression de plusieurs anciens locataires, en renvoyant la loi votée au Parlement, en accord avec le président de la Chambre, Nabih Berry.

Des recours

À l’époque, le Parlement avait adopté quatorze projets et propositions de loi, lors de sa réunion qui s’était étalée sur deux jours, les 14 et 15 décembre dernier. Le 19 décembre, le Conseil des ministres avait décidé de promulguer ces lois au nom du président de la République. Mais, à la suite de nombreux recours qui lui sont parvenus et de consultations qu’il avait lui-même menées, M. Mikati s’était contenté d’en promulguer 11 seulement et avait chargé les services concernés de la présidence du Conseil des ministres de les publier dans le Journal officiel.

Les lois que le Premier ministre sortant avait refusé de promulguer sont les suivantes: deux portant amendement de certaines dispositions des lois en rapport avec le corps professoral des écoles privées et l’organisation des budgets scolaires de ces établissements, dans le but d’alimenter la Mutuelle des enseignants du privé et d’accorder une aide financière à ces derniers et une troisième portant amendement de la loi sur les loyers non résidentiels.

Celle-ci détermine, dans le détail, les taux sur la base desquels les loyers doivent être fixés: un premier taux estimé est de 8% réparti sur une période de quatre ans. Ainsi, si le loyer estimé est de 100.000 dollars, par exemple, pour un bien commercial, le locataire paierait 25% de cette somme la première année, 50% la deuxième année, puis 100% les troisième et quatrième années. Si le propriétaire décide de renoncer à son droit à l’augmentation, le locataire continue à occuper un local, avec le même statut, pendant deux ans. En revanche, s’il accepte l’augmentation, le locataire y restera quatre ans.

"Une atteinte à la Constitution" 

Commentant la décision du Conseil d’État, Patrick Rizkallah, président du syndicat des propriétaires, a estimé qu’elle "représente un premier pas vers l’invalidation du décret-loi renvoyant la loi au Parlement, au motif qu’il émane d’une autorité non compétente, surtout que la loi en question avait été promulguée par le Conseil des ministres".

Il a considéré que M. Mikati avait "violé la Constitution en enfreignant unilatéralement la décision du Conseil des ministres de promulguer toutes les lois votées au Parlement, d’une manière contraire aux pratiques législatives et gouvernementales habituelles".

M. Rizkallah a en outre vu, dans le refus du Premier ministre de publier le texte en question au Journal officiel, "un précédent dangereux dénotant une volonté de contrôler les centres de décision et d’agir de manière individuelle".

Le syndicat des propriétaires d’immeubles et de bâtiments loués au Liban fait porter à Najib Mikati la responsabilité de la situation déplorable dans laquelle les propriétaires se trouvent aujourd’hui, alors que le Parlement a assumé les siennes, selon lui, en adoptant une nouvelle loi sur la libéralisation des loyers non résidentiels. Il lui reproche notamment d’avoir essayé de priver les propriétaires des revenus de la location de leurs propriétés dans ces circonstances difficiles.

Pour ces derniers, le silence de M. Mikati sur cette question, semble témoigner d’une indifférence à leurs souffrances. Ils l’ont appelé à publier la loi dans le prochain numéro du Journal officiel, tout en exhortant les députés à intervenir dans ce contexte.