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Si les tensions actuelles dégénèrent en guerre, le Liban passera de Charybde en Scylla. Dans un scénario de guerre généralisée, les Libanais devront davantage redouter une flambée inflationniste incontrôlable plutôt qu’une dévaluation accrue de la livre par rapport au dollar.

Les Libanais seront confrontés à un chaos et à une forte volatilité des prix des produits et services si la guerre d’usure, commencée en octobre 2023 à Gaza et au sud du Liban, dégénère en une guerre généralisée qui engloberait l’ensemble du territoire national.

Déjà, l’économie du pays du Cèdre fonctionne en mode de survie depuis le déclenchement de la crise multidimensionnelle, en octobre 2019.

Alors que les estimations initiales prévoyaient une croissance comprise entre 1 et 1,5%, celle-ci a diminué, entraînant une perte d’au moins un demi pour cent au cours des derniers mois de 2023. En 2024, ce déclin s’est poursuivi, comme en témoigne la saison estivale – jusqu’en juillet – durant laquelle les recettes touristiques ont chuté d’environ 20% par rapport à l’année précédente.

Cela dit, il est erroné en principe de parler de croissance dans le contexte d’une économie de cash où la balance des paiements est nécessairement biaisée.

Un gouvernement impuissant

Dans une économie de guerre, toutes les attentes se portent sur le gouvernement, censé jouer un rôle central et direct en tant qu’autorité de régulation. Cependant, le gouvernement dirigé par Nagib Mikati se révèle fondamentalement incapable et structurellement impuissant à prendre la décision de déclarer ou non la guerre. Tout simplement, le Hezbollah, au nom de "l’unité des fronts", a usurpé et même confisqué la souveraineté de l’Exécutif en matière de décision. Alors, comment le gouvernement peut-il prétendre contrôler une inflation excessive et prévenir les spéculations et les pénuries pendant une guerre qu’il n’a ni souhaitée ni décidée?

La dollarisation des prix 

Contrairement à ce que pensent certains responsables, la dollarisation de l’économie n’a pas protégé contre la hausse des prix. Selon le professeur Maroun Khater, chercheur en finance et en économie, la dollarisation des prix rend la manipulation plutôt camouflée et difficilement perceptible par le citoyen. "Les fournisseurs de produits (alimentation, etc.) et de services (propriétaires de générateurs, etc.) manipulent les prix à l’insu des consommateurs en utilisant les décimales", explique-t-il, ajoutant que "les consommateurs ne perçoivent pas l’ampleur de ces manipulations tant que les prix sont affichés en dollars, semblant ainsi insignifiants."

Interrogé par Ici Beyrouth, le professeur Maroun Khater fustige l’absence d’une quelconque perspective stratégique du gouvernement, pierre angulaire d’un fonctionnement dans les normes du secteur public. "Il n’existe qu’un budget biaisé, et ainsi une balance de paiement et un compte d’erreurs et d’omissions absents". D’après lui, On ne peut pas parler d’économie politique avec des frontières poreuses. 

Un dollar à 90.000 livres 

Sur le terrain, les commerçants ont déjà anticipé les effets d’une guerre généralisée, affichant dans leurs espaces commerciaux un taux de change de 89.900 ou 90.000 livres pour un dollar, alors que le taux de change officiel des maisons de change agréées par la Banque du Liban est de 88.000 livres pour un dollar. En revanche, une flambée du dollar face à la livre semble peu probable, vu que la masse monétaire en livres en circulation en livres est passée de 80.000 milliards à moins de 60.000 milliards.

Dans le cas où Israël impose un embargo aéroportuaire sur le Liban, la situation sera tout autre et les billets de dollars deviendront plus recherchés.