L’une des manifestations de la crise libanaise réside dans le fait que les propos de fin de monde, d’enfer de Dante, et autres gouffres abyssaux sont beaucoup plus nombreux que les propositions de solutions. Ici, on va redonner la parole à l’une de ces possibles solutions, la ‘caisse d’émission’.

Avec l’effondrement de l’économie et de la livre libanaise, une solution devra être nécessairement trouvée tôt ou tard. Parmi les remèdes proposés, le ‘currency board’ (ou ‘caisse d’émission’ en français) semble attirer l’attention de certains économistes, de Steve Hanke au niveau international, à Dan Azzi ou Patrick Mardini au niveau local.

De quoi s’agit-il ?

Une caisse d’émission est un régime de taux de change rigidement fixé. Le pays en crise s’engage à un attachement crédible à une monnaie d’ancrage, en général le dollar. Les réserves de change en dollars doivent couvrir l’ensemble de la masse monétaire nationale – c’est-à-dire la quantité de monnaie circulant au sein du pays – pour assurer une convertibilité totale, de sorte que tout montant de monnaie nationale puisse être échangé dans la devise d’ancrage, et vice versa, au taux fixe à tout moment.

À l’instar d’une banque centrale, une caisse d’émission est l’autorité monétaire d’un pays et émet des billets et des pièces. Toutefois, cette caisse ne peut émettre des montants supplémentaires de la monnaie nationale au gré des demandes des autorités du pays. En particulier, le gouvernement ne peut demander comme bon lui semble d’imprimer de l’argent pour couvrir ses dépenses au-delà de son budget. La discipline budgétaire sera des plus stricts. Toute nouvelle émission de monnaie nationale doit être couverte par des dollars en quantité suffisante selon le taux de change déjà fixé. Et si cette couverture supplémentaire n’est pas disponible, le gouvernement devra trouver des LL ailleurs, en levant des impôts ou en faisant des économies sur d’autres dépenses.  Une caisse d’émission peut fonctionner seule ou en parallèle avec une banque centrale.

Les avantages

Les régimes de caisse d’émission sont souvent loués pour leur stabilité et leur nature fondée sur des règles précises. Les caisses d’émission offrent des taux de change stables, qui favorisent le commerce et l’investissement, et leur discipline limite également les actions des gouvernements dilapidateurs. Les caisses d’émission sont réputées pour garder l’inflation sous contrôle. Un système de caisse d’émission peut de même résoudre le problème du manque de transparence puisqu’il implique un engagement fort envers le taux de change fixe, tout comme il peut être efficace pour réduire la probabilité d’une attaque spéculative contre la monnaie.

Les inconvénients

Rappelons que lorsque la demande d’un bien augmente alors que les quantités de ce bien ne varient pas, le prix dudit bien va hausser. Le problème de la fixation du taux de change, comme toute politique de blocage des prix, c’est qu’elle l’empêche de s’adapter à l’offre et à la demande de devises. Un autre problème serait de trouver le taux de change convenable. Parfois, une caisse d’émission peut causer encore plus de dégâts. Par exemple, si les investisseurs se déchargent de leur devise locale rapidement et en même temps, les taux d’intérêt peuvent augmenter brusquement. Cela compromet la capacité des banques à maintenir des réserves légalement requises et des niveaux de liquidité appropriés.

Étude de cas : la Bulgarie

En 1996, la Bulgarie était en pleine crise bancaire et entrait dans une période d’hyperinflation. La mise en place d’une caisse d’émission en 1997 a joué un rôle nécessaire mais non suffisant pour sortir de la crise. Des contraintes budgétaires ont immédiatement été imposées. Du coup, la Bulgarie a bénéficié d’une situation budgétaire équilibrée en 1998.

Les données du FMI montrent que cette politique a réduit le taux d’inflation à 13% au milieu de 1998, puis à 1% à la fin de la même année, tout en reconstituant les réserves qui sont passées de 800 millions à plus de 3 milliards de dollars. Le taux d’intérêt de base de la banque centrale bulgare, qui avait été supérieur à 200 % à l’apogée de la crise, est tombé à 5,3% en octobre 1998. Qui plus est, le processus de stabilisation de la Bulgarie n’a pas été significativement interrompu par la crise financière russe de la mi-1998.

Une solution pour le Liban ?

Comment l’application d’une caisse d’émission se traduirait-elle au Liban? Pour Patrick Mardini, président de l’Institut libanais pour les études de marché, la mesure la plus importante pour mettre un terme à la dépréciation de la livre libanaise – et donc à la hausse des prix — est la mise en place d’un système de caisse d’émission.

Un taux de change fixe au Liban se traduirait a priori par des taux d’intérêt plus bas car la monnaie serait interchangeable avec le dollar. Néanmoins, le taux d’intérêt de la livre sera toujours plus élevé que celui du dollar, pour couvrir le risque politique du pays. Par conséquent, certains détenteurs de dollars voudraient déposer de l’argent en LL pour profiter de taux d’intérêt plus élevés. Contrairement aux pratiques des dernières années au Liban, la livre libanaise serait entièrement adossée au dollar.

Cependant, il faut mettre en évidence trois points. Premièrement, les caisses d’émission nécessitent des préparations plus nombreuses et différentes que d’autres types de programmes de stabilisation. Deuxièmement, étant donné que des changements juridiques sont impliqués, une caisse d’émission nécessite un large soutien politique et parlementaire. Troisièmement, une caisse d’émission n’est qu’un élément d’un programme de stabilisation, et sa survie dépend donc de la mise en œuvre de mesures d’accompagnement bien conçues. Ainsi, on revient encore une fois au point de départ : il nous faut un plan global, crédible et soutenable, pour que nous puissions obtenir l’assistance financière du FMI et des autres donateurs, essentielle à une caisse d’émission, comme à toute autre formule de sauvetage.