La crise couvait depuis un mois déjà, mais aujourd’hui tous les clignotants sont au rouge. Les stocks de blé du Liban ont atteint un niveau périlleux, au point que certains minotiers et boulangers ont dû dès lors stopper leurs opérations. 

Le pays du Cèdre se retrouve une nouvelle fois sur la corde raide. La banqueroute de son système économique et financier continue d’avoir des incidences graves sur les besoins élémentaires de sa population, faisant aujourd’hui vaciller sa sécurité alimentaire. Avec sa principale source d’approvisionnement en blé ukrainien totalement annihilée et l’absence de réserves stratégiques, le pays est actuellement engagé dans une course contre la montre pour renflouer ses stocks, créant des perturbations au niveau domestique.

Des stocks sous pression 
Il y a encore un mois, les stocks cumulés par les douze minotiers du pays s’élevaient à environ 75.000 tonnes, soit seulement un mois et demi de réserves. Trente jours plus tard, les quantités se sont presque taries menant à une situation très préoccupante.

Contacté par Ici Beyrouth, Ahmad Hoteit, président du syndicat des minotiers, a tenté de dresser l’état des lieux et a lancé un cri d’alarme. "Chaque moulin possède son propre stock, explique-t-il. Certains ont des réserves pour 15 jours, d’autres pour un mois et d’autres encore n’ont plus du tout de blé. Certains ont cessé d’opérer et ne livrent plus de farine. Une situation qui mènera dès vendredi à une pénurie de pain."

Concernant la cargaison déchargée puis suspectée d’être avariée, Ahmad Hoteit assure que les résultats des laboratoires indiquent que le blé est finalement de bonne qualité et apte à la consommation. Une confusion qui a eu toutefois pour effet de compresser davantage un marché déjà en difficulté. De sources proches, le propriétaire de la cargaison ferait l’objet d’une enquête.

Appel à la grève 
Dans ce climat chaotique, l’agitation sociale commence à poindre. Le syndicat des employés des minoteries au Liban a lancé dans un communiqué un appel à la grève ouverte "en solidarité avec les employés des minoteries qui ont cessé de travailler, compte tenu de l’extrême tension à laquelle le secteur est confronté au Liban et des difficultés provoquées par les continuels reports de paiements des cargos de blé par la Banque centrale".

Le président du syndicat des propriétaires des boulangeries du Liban-Nord, Tarek el-Mir, a pour sa part commenté l’arrêt des opérations du moulin al-Taj en déclarant être surpris par cette décision. "Le moulin al-Taj couvre 60% des besoins en farine du Liban-Nord, explique-t-il. Cela entraînera, sans aucun doute, une pénurie de pain en raison du manque de farine dans les boulangeries de ces régions-là et, par conséquent, une nouvelle crise pour les citoyens." Il s’est dit en outre préoccupé par la situation et totalement solidaire, en tant que président du syndicat des propriétaires des boulangeries du Liban-Nord, de la position de ce dernier, et ce, jusqu’à la réouverture du moulin al-Taj.

Le président du syndicat des boulangers, Ali Ibrahim, affirme de son côté que les boulangeries ne sont pas en grève et continueront de distribuer du pain jusqu’à ce que les stocks de farine soient épuisés. Cela étant, un nombre important de boulangeries disséminées dans plusieurs régions du pays n’arriveraient déjà plus à produire, car ayant reçu, pour la deuxième semaine consécutive, un stock insuffisant de farine.

Défauts de paiements 
Pour rappel, le Liban importe environ 650.000 tonnes de blé par an, dont 80% proviennent d’Ukraine. Une denrée cruciale qui est encore subventionnée à 100% par l’État libanais à un taux préférentiel de 1.500 livres pour un dollar. Seulement, aujourd’hui, le pays est en faillite. La Banque centrale n’a plus les moyens de sa politique et n’arrive donc plus à subventionner les achats de blé pour son marché local. Les reports de paiements incessants qu’elle fait subir aux compagnies exportatrices de blé ukrainien ont fini par décourager ces dernières de prendre le risque d’insolvabilité du pays. Nombre d’entre elles réclament aujourd’hui d’être directement payées en argent comptant par les minotiers libanais avant ou au moment du chargement.
C’est sur base de la mise en place de ces nouveaux accords avec les sociétés exportatrices que le secteur privé s’est entendu avec la Banque centrale pour payer lui-même, dans un premier temps, les cargaisons en argent comptant directement aux exportateurs, puis se faire rembourser, dans un second temps et dans un court délai, par la BDL.

Ahmad Hoteit, a pu apporter plus d’éclairage sur la situation. "Certains minotiers ont actuellement en leur possession du blé qui n’est pas subventionné, dit-il. Les navires ont déchargé les cargos sur base d’un accord stipulant que la BDL est dans l’obligation de transférer l’argent dans un délai de 15 jours. Jusqu’à nouvel ordre, ce virement n’a pas été exécuté, alors que le mécanisme mis en place entre le Premier ministre et nous consiste en un transfert rapide des fonds par la BDL. Or il semblerait qu’il y ait actuellement un problème entre le gouvernement et la Banque du Liban, cette dernière exigeant que le contrat d’emprunt soit signé par le cabinet, chose qui n’a pas été faite. En représailles, la Banque centrale a décidé d’arrêter les transferts des factures de blé." Ahmad Hoteit assure toutefois qu’il existe des quantités de blé, mais que celles-ci ne sont pas subventionnées. Une situation qui pourrait très probablement avoir de fortes répercussions sur le marché local, comme une flambée du prix du pain.

Banque mondiale 
De son côté, suite à une série de réunions entre ses représentants et le syndicat des minotiers – concernant les moyens d’assurer une stabilité au niveau de la sécurité alimentaire du pays – la Banque mondiale a prévu de débloquer 150 millions de dollars pour couvrir les besoins du Liban en blé pour une période de six mois. Des aides dont le déblocage reste toutefois conditionné par une série de mesures exigées par l’institution internationale et qui concerneraient la mise en place du contrôle des capitaux.

À toutes ces tentatives de renflouage, s’ajoute l’initiative du cabinet Mikati de mettre en place un appel d’offre pour 50.000 tonnes métriques de blé. Le Premier ministre a d’ailleurs fait une demande dans ce sens à la Banque centrale pour un financement à hauteur de 15 à 20 millions de dollars. Le dossier est encore sans réponse.