La confusion sur le sort de l’argent des déposants a fait planer mercredi une ambiance de malaise généralisée sur l’ensemble du pays. La livre a perdu du terrain face au billet vert, qui s’échangeait dans l’après-midi de mercredi à plus de 26.300 LL pour un dollar alors que plusieurs banques ont arrêté de fournir des dollars en espèces sur le taux de la plateforme de la BDL, Sayrafa.

"Les Libanais ignorent les réalités, il faut les leur dire". C’est ce qu’ont martelé mercredi les députés Georges Adwan et Ibrahim Kanaan, à l’issue du refus des députés des Forces libanaises (FL) et du Courant patriotique libre (CPL) de poursuivre l’examen du projet de loi sur le contrôle des capitaux par les commissions parlementaires des Finances et de l’Administration et du Budget avant d’être informés de la teneur du plan global de redressement. Les formules, qui ont fuité depuis le début de la semaine au grand public, montrent un abandon par l’État de ses responsabilités et son refus de socialiser les pertes d’une crise financière et monétaire sans précédent. Par conséquent, c’est aux banques et aux déposants, grands et petits, d’éponger le gaspillage des deniers publics !

Divulguer les réalités signifie faire la lumière sur les comptes publics et celui de la Banque centrale. En d’autres termes, expliquer aux gens où l’argent est allé, ce qui va se passer et quel serait le rôle des banques jusqu’à la mise en application du plan de redressement.

Pas d’annulation de la dette

La suppression de la dette de la Banque du Liban et de l’État représente dans le cas du Liban la suppression des dépôts bancaires du fait que les fonds ont été déposés par les banques commerciales auprès de la Banque centrale. Faut-il souligner que dans le cas d’une annulation de la dette, il faut l’acceptation du créancier (le déposant envers la banque et la banque envers la BDL) et son indemnisation et ce, dans des cas précis comme l’expropriation dans l’intérêt public.

" L’argent est un avoir, une propriété privée, protégée et garantie par la Constitution libanaise", comme l’explique le professeur Nasri Diab, avocat spécialisé en droit bancaire et financier, dans une étude menée en 2020 sur le haircut. Tout déposant est habilité à demander la récupération de son dépôt auprès du dépositaire en qui il a eu confiance. Toute loi énactée après que le dépôt a eu lieu, et qui a un effet rétroactif, en vertu duquel le déposant peut s’abstenir de récupérer son dépôt est anticonstitutionnelle, relève l’étude susmentionnée, qui ajoute que toute distinction spécieuse entre grands et petits déposants enfreint le principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi, un principe consacrée par la Constitution.

Quant à Samir Aïta, expert économique, il évoque un problème d’équité entre grands et petits déposants faisant valoir qu’il n’y a pas de loi qui garantit les petits déposants au Liban. Si on efface leurs dépôts, ils n’auront plus rien.Ainsi, on casse l’économie et la consommation.

Les banques iront jusqu’au bout

Les banques, qui ont fait savoir clairement mardi au Premier ministre leur refus de leur faire supporter avec les déposants la totalité des pertes en épargnant la Banque du Liban et l’État, ont évoqué le recours à la justice pour faire valoir leur droit. Une source bancaire a fait savoir à Ici Beyrouth que les banques en concertation entre elles ont l’intention d’aller jusqu’au bout et auront recours à l’escalade en adoptant des comportements négatifs imprévus. Un État ne peut pas être en faillite même lorsqu’il est en défaut de paiement,car s’il ne peut pas payer ses dettes, il ne disparaît pas et ses actifs représentent bien plus que le volume de son endettement.

Il est impératif qu’une parfaite entente soit instaurée entre l’État et le secteur bancaire concernant les mesures qui seront prises pour relancer le système financier, afin que les banques puissent à nouveau jouer leur rôle vital au service de l’économie, et que les déposants récupèrent leurs droits perdus. L’expérience du plan de redressement Lazard, qui avait été adopté par le gouvernement de Hassan Diab, a prouvé que la formulation d’un plan de sauvetage par l’État seul, sans en référer aux agents des secteurs productifs, censés le mettre en œuvre, conduit à un plan miné, à une perte de temps et à un report de la solution indéfiniment.

La mémoire des investisseurs 

"L’Etat dessine les plans directifs de la politique économique du pays et oblige les banques à suivre la voie. Quant aux banques, ce sont des institutions commerciales qui recherchent le profit dans le cadre de la loi, et on ne s’attend pas à ce qu’elles définissent des politiques générales, des réformes et des projets de développement ", souligne Ghassan Ayache, ancien vice-gouverneur de la Banque centrale.

Toutes les distorsions auxquelles nous assistons aujourd’hui dans la situation bancaire au Liban sont le résultat de distorsions fatales dans la performance de l’État, de sa négligence face à ses responsabilités les plus simples envers la société.

Il n’est pas question de gagner ou de perdre une bataille au niveau national. Le moment est plutôt à la mise en application d’une véritable réforme pour redonner vie au système financier. Sachant que la mémoire des investisseurs locaux et étrangers n’est pas courte, la confiance dans le système doit prendre le dessus sur toutes les autres considérations.