À mesure que la guerre ukrainienne perdure, on constate combien le monde d’aujourd’hui est devenu économiquement interdépendant.

L’interdépendance n’est pas un sujet qui date d’hier. Même le théoricien du XVIIIe siècle Adam Smith y a dédié des réflexions. Et le thème ne cesse de gagner en pertinence et en envergure dans notre ère mondialiste. Puis vint le conflit russo-ukrainien pour rappeler brutalement que la tendance globalisante est devenue LE phénomène principal, le plus pesant en ce XXIe siècle avec des effets sur le niveau local de tous les pays.

Les greniers de l’Europe

À mesure que le conflit ukrainien s’étire en longueur, on constate tous les jours un peu plus l’acuité et l’étendue du phénomène né de l’interdépendance du monde. De nombreux pays dépendent des deux pays belligérants pour leur alimentation. Ils fournissent par exemple 25% du blé, 19% de l’orge et 85% de l’huile de tournesol. L’Ukraine seule est responsable de 20% des exportations mondiales de maïs, 20% de colza et 50% de tournesol. La hausse des prix devient une conséquence lamentable. D’autres matières sont moins visibles: l’Ukraine fournit par exemple 50% du gaz néon, qui est utilisé pour produire des puces semi-conductrices. Les gouvernements et les grandes entreprises se bousculent pour obtenir des approvisionnements alternatifs, mais l’offre se resserre et les prix augmentent.

Même si la Russie ne connaît pas la guerre sur son propre territoire, les sanctions internationales ont fortement perturbé ses exportations, et parfois aussi sa production, enflant par la même occasion les perturbations générées par l’interdépendance. Ce qui est problématique car la Russie est parmi les premiers exportateurs de pétrole, de gaz et de charbon.

Les conséquences, selon les services de l’ONU, touchent désormais 140 pays. Dans le monde arabe, le Liban, l’Algérie, l’Égypte et la Tunisie sont déjà particulièrement touchés par la pénurie de blé. Au Yémen, on prévoit même une vague de famine. En France, deux mois après le début de la guerre, les prix de l’engrais azoté ont augmenté de 380%, des phosphates de 208% et de la potasse de 167%. Ceci va contribuer largement à une baisse des rendements des récoltes. La hausse des prix mondiaux du pétrole et du gaz entraîne de son côté toute une série de crises. On craint même que la pénurie de denrées alimentaires n’engendre une vague migratoire majeure.

Alors l’interdépendance est-elle un fardeau?

Les aspects négatifs de l’interdépendance, mis en exergue avec la crise actuelle, ne doivent cependant pas occulter l’autre revers de la médaille. En réalité, un des aspects de l’interdépendance est ce qu’on appelle la division internationale du travail, quand on fabrique une marchandise (ou une pièce) dans un pays pour la finaliser dans un autre. Le procédé s’est largement généralisé à l’ensemble du processus de production, car la plupart des biens que nous consommons tous les jours sont bien fabriqués en plusieurs étapes correspondant souvent à autant de pays différents. Une voiture dépend sur non moins de 200 fournisseurs pour être fabriquée.

Schématiquement, la production manufacturière se concentre en Asie, la conception et la production de biens à forte valeur ajoutée dans les pays développés, et la fourniture de matières premières et de production spécialisée en Afrique et en Amérique du Sud. Mais le schéma réel est loin d’être aussi simple. Car les pays en développement ont acquis une assise industrielle et le phénomène a gagné en complexité. En tout cas, il suffit qu’un chaînon manque à l’appel pour que toute la production s’arrête. Passée donc la première période de la guerre ukrainienne, où le souci était concentré sur la fourniture de blé et autres denrées vitales, les industries du monde entier s’inquiètent désormais pour leur activité. Si l’on ajoute l’internationalisation des flux financiers et humains, on arrive à un degré de connexion jamais atteint dans l’histoire.

La Banque mondiale encourage ce commerce international, soulignant l’importance du libre-échange pour le développement. Selon ses rapports, la libéralisation des échanges se traduit par une augmentation des revenus de 10 à 20% après une décennie. Le commerce aurait ainsi augmenté les revenus de 24% dans le monde depuis 1990, et de 50% pour les individus les plus pauvres. En conséquence, depuis 1990, plus d’un milliard de personnes sont sorties de la pauvreté grâce à une croissance économique soutenue par de meilleures pratiques commerciales. Donc, si l’on oublie les affres de la crise actuelle, l’interdépendance, loin d’être un fardeau, reste un raccourci vers la croissance.

Il n’empêche qu’avec la crise actuelle, les appels à l’autosuffisance, ou à moins de dépendance, fusent dans la plupart des pays. L’Europe occidentale va multiplier ses efforts dans le domaine de l’énergie, d’autres pays pensent à une certaine sécurité alimentaire, d’autres veulent relocaliser des industries parties ailleurs dans le passé, et d’autres encore veulent rouvrir leurs mines de matières premières. Mais ces appels à l’autosuffisance, ou à moins de dépendance, quoique fréquents ces temps-ci, risquent de faire long feu et leur effet restera limité à terme. L’interdépendance est tellement ancrée qu’elle a atteint un point de non-retour.

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